News - 01.11.2021

Pr Samir Allal: Lutter contre le changement climatique pour sortir de la crise et rendre l’avenir désirable

Pr Samir Allal: Lutter contre le changement climatique pour sortir de la crise et rendre l’avenir désirable

1- La COP 26 à Glasgow ambitionne de remettre la cause climatique au cœur de l’agenda mondial

Six ans après la signature de l'accord de Paris, la communauté internationale a rendez-vous à Glasgow pour la 26e conférence des parties (COP), qui doit marquer "une accélération de la lutte contre le réchauffement climatique", "augmenter l’aide financière des pays pauvres" et "finaliser les règles du marché carbone".

La conférence de Glasgow ambitionne de remettre la cause climatique au cœur de l’agenda mondial. Notre compréhension des enjeux autour du « bien commun essentiel » qui est le climat est en train d’évoluer en tenant compte des avancées scientifiques, de la poly-crise, et sous pression de la société civil (génération climat). La société civile (très active sur la question climatique et la lutte contre les inégalités), souvent en avance sur les politiciens en termes d'ambition et lassée par l'incertitude, demande de la clarté et une participation à la définition des orientations à long terme.

Lutter contre le changement climatique c’est faire obstacle aux ajustements de marché à partir d’une gouvernance « mondiale polycentrique ». L’"Anthropocène" pour les uns, le "capitalocène" pour les autres ce n’est pas seulement le dérèglement climatique c’est également l’âge des pandémies à répétition et des inégalités accrues dans le monde.

Au-delà d’une gouvernance renouvelée du monde, il s’agit de revoir radicalement l’action climatique, repenser l’action publique et de faire de nouveau des services publics de véritables biens communs. Se nourrir, se loger, se soigner, se déplacer, s’éduquer : voilà désormais les pôles d’activité autour desquels le monde, l’économie, et la société souhaitent se recomposer, pour la gestion de ce bien commun qui est le climat.

" Sur tous nos objectifs climatiques, nous avons encore du chemin à faire et nous devons accélérer l'allure", ne cesse de répéter le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, et de tirer la sonnette d'alarme sur le risque de "catastrophe climatique" et en pointant la "responsabilité particulière" des pays du G20. Un échec de cette COP, "constituera sans aucun doute un aller simple vers le désastre", préviens le secrétaire général de l'ONU, tant le fossé reste encore grand entre le rythme réel de ces changements et l’ambition nécessaire.

Tous les pays sont invités à faire partie d’un mouvement global et inéluctable. Sa mise en œuvre peut achopper sur la crainte de ne pouvoir concilier politiques climatiques et priorités sanitaires, économiques et sociales. La transition énergétique et écologique souhaitée et le concept de « neutralité carbone » soulèvent de nombreuses questions dans chaque pays où ils font l’objet de débats publics, tous les segments de la société et les différents niveaux de gouvernement cherchant à mieux comprendre les implications spécifiques à court terme de tels engagements et leurs rôles respectifs dans leur réalisation.

Atteindre la neutralité carbone, ou du moins s’en rapprocher, tout en garantissant une certaine indépendance énergétique, à un coût qui soit supportable tant pour la compétitivité que pour le portefeuille des ménages, fait de plus en plus l’unanimité. Sortir de la crise passe désormais par des changements massifs dans tous les secteurs, opérés dès aujourd'hui afin d’évoluer vers une économie décarbonée et préparer le pays à affronter les effets du changement climatique, dans un contexte énergétique économique et sanitaire en forte tension.

Les pays résilients ont élaboré des stratégies de long terme et ont fait l'expérience directe des bénéfices domestiques de cet exercice. Ces stratégies ont permis aux gouvernements de cadrer le débat et de construire un récit national légitime sur la transition vers un avenir sans carbone. Lorsque le pays s'engage dans un tel exercice, il en retire des avantages supplémentaires, notamment la possibilité de fournir une perspective stratégique sur les politiques publiques nationales et les changements nécessaires à court terme.

Un tel exercice peut servir également, d'outil pour créer et maintenir un dialogue inclusif entre les différentes parties prenantes nationales afin de construire une vision consensuelle de la transition. En effet, les parties prenantes impliquées dans ce processus peuvent aider à fixer un objectif de réduction d’émission, ainsi que des jalons temporels cohérents avec les capacités, les contraintes et les priorités de développement dans chaque pays, formulant ainsi une stratégie crédible.

Les investisseurs, les banques et les banques multilatérales de développement souhaitent utiliser ces stratégies de long terme comme des substituts aux plans d'investissement et comme une opportunité d'aligner leur portefeuille pour qu'il soit pleinement compatible avec l'Accord sur le climat et de réduire leur exposition aux risques liés à la transition. Ils sont à la recherche de garanties pour éviter des décisions indésirables à court terme qui conduiraient à des verrouillages dans des activités carbonées et à des actifs échoués, ce qui pourrait compromettre la réalisation des objectifs à long terme de Paris, y compris l'objectif de 1,5°C.

La lutte contre la pandémie mondiale et la remise en route des économies ont constitué deux priorités auxquelles aucun gouvernement n’a pu se soustraire. D’où la crainte exprimée à la veille de la COP 26 que le climat passe à nouveau derrière les urgences du court terme et que le redémarrage économique favorise un « effet rebond » des émissions. La présidence britannique de la COP 26 va saisir ce moment et mettre cette question à l'ordre du jour afin que les efforts des cinq dernières années soient amplifiés et que l'écart entre les trajectoires actuelles et la limitation de l'augmentation de la température à 1,5°C se réduise rapidement au fil du temps.

2- La plupart des plans de transition écologique ont une ambition: continuer à faire tourner les économies tout en préservant la planète

Demander aux pays de soumettre une stratégie de réduction nette d’émission met la pression sur les économies, non seulement pour que ces pays prennent des engagements « zéro émission nette », mais aussi pour qu'ils démontrent comment ils ont l'intention de les tenir dans le temps avec des objectifs précis et un leadership incontestable. La plupart des plans de transition écologique ont une ambition : continuer à faire tourner les économies à plein régime tout en préservant la planète, en contrôlant les interactions naturelles à l'aide des NBIC – nanotechnologies (N), biotechnologies(B), sciences de l'information (I) et de la cognition (C)… « Une tentative de rationalisation productive et marchande ».

Un rapport intitulé « Des technologies convergentes pour améliorer la performance humaine » est apparu en 2002. Il a irrigué les cercles des gouvernants, chercheurs, industriels et militaires : une révolution technoscientifique à laquelle on se réfère par les termes de « convergence NBIC », «deep techs « ou «  quatrième révolution industrielle ». Il s’agit d’un ensemble de prospectives scientifiques et techniques visant à établir la suprématie militaire, scientifique et géopolitique des États-Unis. L’Europe et la Chine leur ont emboîté le pas et, les financements n’ont pas manqué, bon nombre de ces projets sont aujourd’hui en cours de réalisation pour lutter contre le dérèglement climatique. 

De multiples fertilisations croisées ont lieu et donnent naissance à la plupart des technologies sur lesquelles porte désormais la concurrence internationale et la lutte contre le changement climatique : géo-ingénierie, matériaux avancés et impression 3D, intelligence artificielle et machine learning, Big data, biotechnologie de synthèse, robotique, Internet des objets, informatique quantique, blockchain, véhicules autonomes, réalité augmentée…

Les divers scénarios de transition (AIE, Banque Mondiale, UE..) proposent tous peu ou prou ces techniques, qui, penses-t-on, nous permettront de répondre aux enjeux contemporains, en particulier concernant le climat et la biodiversité. Selon ce paradigme, grâce aux avancées scientifiques et techniques, l'économie pourrait continuer à croître alors que notre empreinte écologique diminuerait. C'est sur ce postulat que se fondent « les stratégies « zéro carbone », le Pacte vert pour l'Europe, le Green New Deal américain, et plus généralement les approches se réclamant de l'« écomodernisme » .

Une société « zéro carbone » repose massivement sur des changements des modes de production et de consommation, la sobriété, la valorisation de ressources locales, et la création de valeur partagée au niveau des territoires et la mise en œuvre de solutions frugales. La plupart des éléments de transition dans ce cas, visent à valoriser des ressources diffuses : les énergies renouvelables tirées du soleil, l’économie circulaire et les matériaux locaux, ou les services tirés des écosystèmes.

Il ne s’agit pas seulement de pousser une technologie sur le marché pour la diffuser, mais d’organiser un système d’acteurs, de coopération et d’échange de connaissance pour permettre la mise au point et la diffusion de l’innovation technique et sociale. L’objectif n’est pas de favoriser la diffusion des champions mondiaux, de favoriser tel ou tel pays, de détenir des brevets technologiques clés donnant accès à de nouvelles rentes de situation, selon le principe de « gagnant celui qui prend tout ». Mais d’encourager plutôt, toutes formes d’innovation qui ne reposent pas seulement sur la concentration du pouvoir et des capitaux.

Concevoir l’innovation à partir du seul marché mondial, conduit à ignorer les couches nationales et locales où se situent des gisements d’emplois et création de valeur partagée. Des technologies disruptives aussi bien que des technologies frugales peuvent contribuer massivement au découplage (économie/environnement /développement), si elles s’insèrent dans des innovations des modèles organisationnels et économiques.

3- La croissance verte est un leurre: Seul un changement radical de perspective, une évolution anthropologique et philosophique profonde, permettra d’arrêter notre fuite en avant dans la dégradation du climat

La « croissance verte » souhaitée, misent sur un changement de paradigme technologique, sans modification des structures socio-économiques, sans remise en cause des modes de production et de consommation, alors que seul un changement drastique de perspective permettrait de limiter la catastrophe climatique. Pour le dire autrement, le capitalisme né il y’a environ deux siècles repose sur le développement continu des marchés et des technologies, et ce n’est pas en cherchant des réponses seulement dans la rationalisation productive et marchande que l’on peut espérer infléchir notre trajectoire. Il nous faut penser autrement.

Ces sciences et techniques sont à la fois prométhéennes et réductrices, même si elles se réclament des théories de la complexité qui envisagent les phénomènes, naturels et sociaux comme résultant d’une multitude d’interactions dont le résultat agrégé est imprévisible, du fait de l’existence du hasard et de non-linéarités engendrant des dynamiques « à l’avenir ouvert » et souvent irréversibles. La puissance accrue des sciences et techniques nous permet d’instrumentaliser la matière et les processus du vivants dans ce qu’ils ont de plus intime, dans l’espoir de contrôler les grands équilibres biogéochimiques de la Terre aussi bien que les interactions écosystémiques. Un espoir vain si l’on prend au sérieux ce que sont des systèmes complexes.

Prenons un exemple. La nouvelle approche de la conservation de la nature entérinée par la convention sur la biodiversité biologique, promeut l’utilisation « d’instruments de marché », afin d’inciter les agents économiques à bien se comporter. L’idée est que la nature nous rend des « services « appelés « écosystémique » ; leur préservation ne sera effective que si leur valeur est connue et qu’ils ont un prix. Cette approche repose sur la foi dans l’efficacité des mécanismes de marché. Malgré la multiplication récente de ce type d’arrangements institutionnels, le climat se réchauffe et la biodiversité continuent de disparaître…Cet exemple met en lumière une approche anthropocentrique et utilitariste de la nature, l’être humain est placé au centre, trônant au-dessus de toutes les autres formes de vie, les instrumentalisant à sa guise.

S’y dévoile aussi un réductionnisme scientifique sous estimant la complexité des interactions naturelles et surestimant dans le même temps notre capacité à les contrôler, dans une posture d’apprentis sorciers comme dans le cas de la géo-ingénierie ou la biologie de synthèse. Or, c’est précisément cette position, qui a émergé au début de l’ère moderne carboné, qui a participé à nous mener là où nous sommes aujourd’hui. Seul un changement radical de perspective, une évolution anthropologique et philosophique profonde, permettra d’arrêter cette fuite en avant pour refonder notre rapport à la nature.
4- Trouver un équilibre entre adaptation et atténuation : des progrès à faire du côté des dons et l’accès aux financements pour réussir la COP 26 à Glasgow   
Le sujet des financements du climat et la lutte contre la pandémie est un autre point crucial à l’ordre du jour de la conférence climat COP 26. C’est un sujet explosif. Il reflète des questions d’équité, alors que les pays en développement sont en première ligne d’un réchauffement climatique dont ils ne sont pas historiquement responsables. Cet objectif, est devenu la base de la confiance entre États et l’un des moteurs de l’action climatique. Beaucoup de pays n’ont pas d’autre choix que de s’adapter au changement climatique s’ils veulent survivre. Et les nations développées doivent s’engager à les aider.

Les financements sur le climat du Nord vers le Sud n’ont rien à voir avec de la générosité, c’est une part intégrale et essentielle d’une politique mondiale de lutte contre le changement climatique et de lutte contre les inégalités. Ces derniers mois, la frustration n’a cessé de grandir parmi les pays du Sud, face à des pays du Nord qui ne parviennent pas à tenir un engagement pourtant pris il y a douze ans, en 2009.

En 2019, les États ont totalisé seulement 79,6 milliards de dollars, selon l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), du fait d’une baisse des financements publics bilatéraux et des financements privés. Selon l’OCDE, les pays riches arriveraient à 106 milliards de dollars en 2023, 113 milliards en 2024 et 117 milliards de dollars en 2025, dans un scénario où « les financements publics augmentent conformément aux informations fournies » et que les financements privés croissent également. Au total, entre 2021 et 2025, les sommes mobilisées s’élèveraient à 521 milliards. Un autre scénario prévoit une hausse moins rapide de ces financements, sous l’effet, notamment, des conséquences de la pandémie de Covid-19, avec un total de 497 milliards sur cinq ans.

En 2019, seulement 25 % des fonds climat ont été mobilisés pour aider les pays à s’adapter aux impacts de la crise climatique, contre 64 % pour aider les États à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre, ce que l’on appelle l’atténuation. Or, l’accord de Paris prévoit un équilibre entre adaptation et atténuation, d’autant plus crucial que les catastrophes climatiques se multiplient et déstabilisent les pays les plus vulnérables.

Malgré leurs bonnes intentions, les pays riches ne démontrent pas de manière convaincante comment ils comptent enfin respecter leurs engagements (nouveaux et additionnels à l’aide publique au développement). De même, si les dons étaient en hausse, ils restent encore largement minoritaires, représentant 27 % des financements publics pour le climat en 2019 contre 71 % de prêts, ce qui augmente la dette des pays en développement. Enfin, ce plan préparé par la présidence britannique de la COP ne compense pas le déficit de l’année 2020 pour les pays en développement (de 20 milliards de dollars), or chaque année qui passe sans honorer cet engagement augmente la facture finale, « car les impacts climatiques vont se multiplier et s’intensifier ». Les besoins se chiffrent en milliers de milliards de dollars, et on n’a pas épuisé toutes les sources de financement.

A la COP26, les négociateurs devront aborder un autre sujet épineux : les financements climat post-2025. Au regard des engagements actuels, les pays riches n’atteindront que 93 à 95 milliards de dollars par an d’ici à 2025. Cela signifie que les pays vulnérables pourraient se voir privés de 68 à 75 milliards de dollars au total entre 2020 et 2025. Pour réussir cette COP il faut un sursaut des pays développés, et ne peut pas se contenter du statu quo. Alors que la France par exemple, a indiqué qu’elle consacrerait 6 milliards d’euros par an au climat jusqu’en 2025, les ONG l’appellent à augmenter cette enveloppe à 8 milliards, dont 50 % consacrés à l’adaptation et 35 % de dons contre 15 % actuellement. Le 15 septembre, la Commission européenne a annoncé que les financements climat des 27 États membres passeraient de 25 à 29 milliards d’euros par an d’ici à 2027. La plus part des pays vulnérables et ou en transition dresse ce même constat d’échec et appelle la présidence de la COP26 à aborder « cette question de manière urgente » sans quoi le sujet risque d’« empoisonner la COP ».

Plus fondamentalement, un discours productiviste et développementaliste est en train de polluer cette conférence, porté par le biais d’un « néo-développementalisme vert » soutenu parfois par des ressources financières. Son pari est le trickle-down effect ou théorie du ruissellement, suivant laquelle l’enrichissement des premiers de cordée dégoulinera inévitablement vers les plus vulnérables. Or, les externalités vertes positives mises en évidence sont loin de compenser un ensemble d’externalités négatives, voire régressives, pour la construction des écosystèmes humains durables. L’accountability et la bonne gestion des ressources qui en découlent ne compensent pas les formes de domination politiques, économiques et sociales sous-jacentes.

Il en résulte une hausse de la pauvreté, un renforcement du décalage entre les pauvres et les riches, une accentuation des inégalités de revenus et un usage sans partage de la rationalité formelle (procédures d’évaluation préétablies par les instances internationales suivant un positivisme scientifique), qui écarte toute participation des populations dans la confection des méthodes d’affectation des ressources et d’évaluation de leurs usages.

La question sociale, à savoir l’absence de liberté politique, les inégalités grandissantes puis l’exclusion urbaine des pauvres font partie, autant que la question climatique et la protection de l’environnement, de la construction des écosystèmes humains durables. Ne pas en tenir compte rend le Green Deal  peu soutenable.

Pr Samir Allal
Université de Versailles/Paris- Saclay

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