Le système éducatif Tunisien: benchmarking et propositions de nouvelles techniques d’enseignement
Par Mayssa Ben Mrad - De nos jours, nous nous retrouvons de plus en plus face à des étudiants accablés par le stress et la pression. L’amour de l’école, du savoir et de l’apprentissage est en train de s’estomper progressivement de nos établissements scolaires pour céder la place à l’angoisse causée par les examens ou bien à l’ennui qui mène à l’indifférence et donc dans certains cas au décrochage scolaire. Contrairement à la république de Singapour, à la Finlande, à l’Estonie, au Japon et au Canada qui occupent les premières places du classement PISA des systèmes éducatifs qui évalue leur efficacité et leurs performances, la Tunisie se place en bas du tableau en se classant à la 65ème place sur un total de 70 pays et a même régressé par rapport à 2013. Ceci prouve davantage que le système éducatif tunisien présente de nombreux dysfonctionnements et qu’il devient impératif de l’améliorer, le réformer, et ce en s’inspirant des pays les plus performants si on espère vraiment voir un jour notre cher pays se hisser parmi les Etats les plus développés au monde. Le point commun entre les systèmes les plus performants au monde c’est qu’ils sont basés sur la collaboration, la relation de confiance établie entre les enseignants et les élèves, la créativité, la pensée critique, le bonheur et la passion au lieu des tests et des examens interminables qui peuvent nuire à la santé mentale de l’élève en lui causant un stress horrible qui peut même parfois se traduire en dépression, anxiété et d’autres troubles psychiques.
Pour commencer, il faut arrêter le bourrage et le sur-stockage d’informations qui invitent les élèves à reprendre tout ce qu’on leur apprend sans prendre le temps nécessaire de réflexion qui permet de développer les capacités intellectuelles, langagières et l’esprit critique des élèves qui va non seulement leur servir à faire face aux futurs challenges de la vie qui vont rencontrer sur leur chemin, prendre des décisions avec sagesse sans précipitations, mais également former des citoyens de demain bien éduqués, qui ont l’avenir de toute une patrie et même du monde entier entre leurs mains. Des citoyens qui prennent du plaisir à travailler. Des citoyens qui peuvent facilement trouver des solutions constructives à tout problème quelle que soit sa complexité tout en y mettant de la créativité et de l’innovation et ne paniquent devant aucune crise. Mais la case départ à tout cela reste bien évidemment l’éducation. C’est pour cela qu’il devient de plus en plus crucial d’améliorer le système éducatif et peut-être deviendrions-nous un jour l’une des puissances mondiales. Tout cela peut paraître utopique, mais prenons l’exemple de Singapour qui en poursuivant une politique de croissance bien déterminée est passé du tiers-monde au pays des miracles et records sur tous les plans en l’espace d’une génération. Lee Kwuan Yew, le premier ministre de la république de Singapour a fait preuve de beaucoup de détermination, d’engagement envers son peuple et n’a pas baissé les bras devant l’énorme responsabilité qui pesait sur ses épaules à cause du rejet de la Malaisie, de la crise monétaire, et du désespoir qui régnait sur tout le pays. La clé du succès de Singapour est l’union de tout un peuple et l’éducation sachant qu’ils y consacrent 20% du budget national et offrent à tous les élèves quelque soient leurs appartenances sociales un enseignement de haute qualité qui ne cesse de s’améliorer en faisant de plus en plus à la créativité et la pensée critique.
Jetons un coup d’œil sur le système Finlandais, qui ne cesse d’impressionner le monde entier en révolutionnant l’univers de l’enseignement et en développant l’un des systèmes les plus performants et ce en réduisant le nombre d’heures de cours pour les élèves, en leur donnant moins de devoirs et d’examens. Sachant que les notes ne sont pas toujours communiquées pour vraiment se concentrer sur la formation, avec des récréations plutôt longues car ils estiment que la qualité de la récréation détermine la qualité de la concentration. Les professeurs peuvent même se mêler à leurs élèves pour jouer avec eux et ainsi créer des liens forts qui auront un impact sur leurs progrès. La dernière réforme suggère même la suppression des frontières entre les matières afin de les aborder d’une manière transversale autour d’une thématique par exemple le BREXIT devrait permettre, non seulement d'enrichir les connaissances en histoire et en géographie mais représente, également l’occasion de pratiquer plus l’Anglais. En Tunisie, le volume horaire consacré aux examens est énorme. Beaucoup trop d’examens aux dépens de la formation, et des acquis scientifiques et techniques. C’est pour cela que je suggère que les élèves passent seulement les devoirs de synthèse ou bien que le système devienne semestriel afin de se concentrer plus sur la formation plutôt que sur la mémorisation et pour que non seulement soient plus détendus et ne considèrent pas l’école comme étant un fardeau mais également trouvent le temps pour faire ce qu’ils aiment et ce qui les passionnent ; que ce soit par rapport à un sport, un art, ou bien une association et tout ceci bien évidemment va l’aider à se forger et se retrouver.
Techniques d’enseignement
Il devient de plus en plus crucial d’adopter de nouvelles techniques d’enseignement pour améliorer la qualité de l’éducation et la formation et faire en sorte que les élèves aiment l’école et deviennent motivés pour y aller tous les jours. Pour commencer, il faut faire en sorte que les élèves apprennent d’une manière ludique tout en s’amusant. C’est pour cela qu’il faut développer tout ce qui est visuel, manuel … et qui capte l’attention de l’élève.
Prenons l’exemple des «Maths Sympathiques». A Amiens, un couple d’enseignants réalisent des mini jeux vidéo pour chaque leçon pour leurs élèves et ne cessent d’innover leurs idées. Ils s’inspirent de l’univers des jeunes et tout ce qui les intéressent en matière de films, séries… puis construisent leurs cours autour d’un thème. Par exemple, en s’inspirant des films «Fast and Furious», ils ont créé le jeu vidéo «Maths and Furious» et ont mis des exercices qu’ils ont trouvés dans le manuel scolaire qui ont un rapport avec les voitures. Chacun choisit son garage en fonction de son niveau. Le garage numéro 1 ayant l’exercice le plus facile, et le 3ème étant réservé pour ceux qui ont tout compris. Ils ont même mis un QR code sur la feuille des devoirs à faire pour que l’élève ne se perde pas lorsqu’il compte les travailler à la maison.
Ils ont créé un autre jeu où super-héros et lycéens s’affrontent en duel. Bien évidemment, tout le monde se porte volontaire pour participer et aller au tableau. On peut même apprendre les suites à l’aide d’un jeu qui donne l’impression d’être à Fort Boyard à l’aide de bâtonnets… Ainsi, les notions classiques seront transmises sous forme de jeux auxquels tous s’intéressent, et même ceux qui détestent les maths finissent par apprécier cette matière et deviennent contents d’assister au cours. Le cours est mieux assimilé et l’information mieux retenue. C’est pour cela que je suggère vivement que les cours soient accompagnés de petits jeux ou bien de petites pièces théâtrales ou bien que chacun ramène quelque chose en rapport avec la leçon pour vraiment attirer l’attention et la curiosité de l’élève et lui permettre de bien comprendre le cours et les notions compliquées.
Je propose également que concernant les matières qui visent à enrichir la culture générale comme l’histoire et la géographie, on adopte plus les films, les documentaires, les vidéos et s’il n’y a pas les moyens de les regarder en classe, les professeurs, au lieu de nous demander d’apprendre la leçon par cœur pour la prochaine séance, peuvent nous donner des «devoirs sympathiques» en nous demandant de regarder un film historique en rapport avec le cours puis le discuter les faits historiques qu’il a abordés en classe ce qui va développer l’esprit critique, ou bien faire un quiz ou un jeu avec des questions sur le film. Il n'est pas question d’apprendre par cœur, il faut penser et s’exprimer. Ça sera bien plus efficace car en se forçant à apprendre par cœur pour un examen, l’élève finit par tout oublier tout de suite après alors que l’objectif est tout d’abord de bien nous instruire et enrichir notre culture générale et nos connaissances. Je propose qu’on développe des concours et des compétitions entre les élèves et les établissements scolaires qui vont davantage les encourager à déployer des efforts ; et pourquoi ne pas faire des conférences où les élèves pourront s’exprimer librement.
Je propose également qu’on opte plus pour les projets qu’ils soient individuels ou en groupe puisqu’ils permettent non seulement à l’élève de laisser libre cours à sa créativité et la développer mais également, développer chez l’élève l’esprit de synthèse, les inciter à la curiosité, l’esprit de recherche et de partage, l’autonomie et la communication. La discussion d’un projet étant basée sur la pensée critique, va apprendre aux élèves à former leurs propres points de vue et à recevoir des critiques positives qui vont les aider à s’améliorer. De surcroit, ça va développer les soft skills et l’intelligence sociale et émotionnelle de l’élève, booster sa confiance en soi, et renforcer les liens entre camarades. L’objectif étant de nous mettre ; face à un environnement d’apprentissage basé sur la collaboration, la formation et surtout l’épanouissement et le bien-être tout comme le recommande les pédagogies Montessori et Freinet.
Ensuite, il faudrait identifier les difficultés que rencontre chaque élève et l’aider à les dépasser. En Finlande, la détection précoce des problèmes est très importante et tout un système de remédiation est mis en place pour les accompagner et les aider. Les élèves ont droit à une forme d’aide personnalisée qui prouve la pédagogie Montessori qui explique que chacun évolue à son propre rythme et a ses propres caractéristiques qui font sa différence et son unicité. On ressent vraiment une grande attention portée sur l’enfant et son évolution et tout ceci s’explique par le fait qu’après la deuxième guerre mondiale, la Finlande a dû se relever d’une énorme crise en n’ayant pas de ressources naturelles ; ils ont dû miser sur l’éducation et les ressources humaines exactement comme Singapour après l’abandon de la Malaisie et les voilà aujourd’hui au sommet.
Ensuite, je propose qu’on intègre plus la technologie, la robotique et le coding chez les élèves dès leur plus jeune âge puisqu’ils s’imposent de plus en plus dans la société d’aujourd’hui et qu’ils incarnent l’avenir et le développement. Je sais très bien que, pour l’instant, il est encore difficile de munir chaque élève d’une tablette sur laquelle il va travailler en classe comme à Singapour où la technologie est instaurée comme un outil dans l’éducation mais on peut prendre l’exemple de l’Estonie alias «la Digital Nation» où on apprend aux enfants à programmer dès l’âge de 7 ans en créant le projet «Tiger Leap».
Je propose qu’on n’attende pas le lycée pour introduire les élèves au monde de la programmation et que dès le primaire, on remplace les cours d’informatique classiques par des séances de programmation à l’aide d’un logiciel qui paraîtra aux enfants plutôt amusant. Ils peuvent par exemple faire des dessins à l’aide de la programmation… De plus, il faut développer l’enseignement en ligne pour que les élèves soient en contact avec leurs enseignants de façon qu’ils puissent les appeler à la rescousse s’ils ont un problème et pour qu’ils ne ratent pas leurs cours si leurs professeurs ont dû s’absenter.
On peut également développer le système des plateformes en ligne et des groupes Facebook grâce auquel les enseignants auront la possibilité d’envoyer leurs cours au lieu de les dicter en classe et ainsi gagner du temps et envoyer tout ce qui pourrait servir à l’élève entre autre des films, des documentaires, des vidéos qui montrent des expériences et des phénomènes scientifiques, des court-métrages en rapport avec la leçon et les discuter en classe ou bien dans l’espace commentaire ou bien sur une plateforme d’enseignement en ligne. Tout ceci dans le but d’encourager l’élève à penser, analyser et s’exprimer. On peut même leur donner des «devoirs sympathiques» en leur demandant de faire une vidéo où ils parleront d’un certain sujet ou bien dans lequel ils reproduiront des expériences ou filmeront un endroit en rapport avec la leçon : S’ils vont par exemple dans un musée et qu’ils retrouvent plusieurs choses qui portent sur ce qu’ils sont en train d’étudier à l’école, ils peuvent faire un petit blog comme le font les Youtubeurs et le publier dans le groupe pour que tout le monde en bénéficie.
C’est vraiment en s’inspirant de l’univers des jeunes et en étant créatifs qu’on réussira à capter leur attention et qu’on fera en sorte que l’éducation devienne pour eux une source d’épanouissement, de bien-être et de développement personnel et non une source d’ennui et d’angoisse.
Concernant la chaîne télévisée éducative, pourquoi ne pas innover et créer de nouveaux concepts sympathiques qui vont attirer plus de jeunes, les inciter à apprendre et leur permettre de mieux comprendre. On peut par exemple créer un concept de jeu télévisé après chaque leçon où des élèves se porteront volontaires pour participer et dans lequel il y aura des quiz et ça sera l’opportunité également pour ceux qui sont à la maison pour s’auto-examiner. On peut également inviter les jeunes à s’exprimer sur un sujet et à nous faire part de leur créativité. Ceci peut sembler insensé mais prenons l’exemple de Singapour où la police nationale a même publié un clip vidéo sympathique pour prévenir les citoyens du vol, les mobiliser et les encourager à ne pas rester à ne rien faire lorsqu’ils en seront témoins et agir sachant que c’est l’un des états les plus sûrs au monde. Je suggère aussi que le ministère de l’éducation fasse des collaborations avec des associations et des organisations. Par exemple si vous allez faire une leçon sur la chaîne télévisée à propos de la pollution, ça sera toujours bien plus intéressant et plus spécial si vous invite des membres d’une association qui travaille pour cette cause afin qu’ils traitent ce sujet.
J’estime que le système éducatif tunisien nous prépare beaucoup plus aux examens qu’à la vie future. Je propose qu’on commence à inviter les élèves à plusieurs professions et leur faire des séances d’orientation afin qu’ils puissent bien choisir le domaine dans lequel ils vont exprimer tout leur potentiel et se rendre utile à notre pays adoré et prendre les bonnes décisions afin de choisir leur future vocation. A Singapour, l’institut d’enseignement technique de pointe implique même les entreprises dans l’élaboration de leur programme d’études afin de préparer les élèves à des perspectives d’emploi à l’avenir. On peut même retrouver des élèves initiés à l’entreprenariat avant même de faire partie d’une université, des élèves qui essaient d’améliorer la qualité d’un détergent, des élèves qui manipulent des mannequins généralement utilisés pour les études de médecine… Du côté de la Finlande, l’école finlandaise est une école de la vie. Tous ont des cours de cuisine, de ménage, de menuiserie, de repassage, de couture… Ils les préparent non seulement à leur vie d’adulte mais également renforcent les liens entre camarades et leur offrent une autre forme d’amusement et d’épanouissement.
Environnement
On remarque que les systèmes les plus performants au monde se concentrent sur des environnements de collaboration et de confiance où élèves et enseignants s’épanouissent. En Finlande, les relations inter-personnelles sont d’une très grande importance et sont travaillées dès le plus jeune âge à l’aide de différentes activités. De plus, on veille à ce que les principes soient bien instaurés. Apprendre à respecter les autres malgré leurs différences, être gentil et poli avec tout le monde, apprendre les normes et les règles du vivre ensemble, ne pas embêter ses camarades, aider les personnes en difficulté… Ainsi, l’élève verra l’école comme étant un environnement chaleureux et ne sera pas une proie ou une victime du harcèlement scolaire qui persiste toujours et qui affecte bien des élèves et ne développera en aucun cas une phobie scolaire. C’est pour cela qu’il faut que le corps enseignant fasse en sorte que les principes soient bien ancrés et qu’ils interviennent immédiatement en cas de problème. De surcroît les écoles finlandaises personnalisent certaines salles car ils estiment que différents environnements permettent de stimuler le cerveau. Chaque salle a son propre thème.
Ça peut être le château d’Harry Potter ou d’un café américain des années 50. Je propose que les élèves laissent libre cours à leur imagination, et contribuent, chacun à sa façon, à rendre l’établissement scolaire un endroit sympathique qui correspond à leur univers. Je propose également que chaque établissement scolaire organise ses propres événements, ses propres devises et chansons et pourquoi pas même sa propre mascotte à l’américaine pour en faire un environnement de vivacité et d’énergie qui motivera encore plus les élèves et leur fera ressentir un sentiment de fierté, d’appartenance, d’union, de partage… Je propose également qu’on développe plus les clubs et les sports et pourquoi pas même organiser ou participer à des compétitions. De plus, il faut faire attention à la santé mentale et physique des élèves.
A Singapour, ils partent vraiment du principe d’un «esprit sain dans un corps sain» et ne s’arrêtent pas qu’à la santé mentale de l’élève mais se soucient également de sa santé physique. On observe de près la taille et le poids de chaque élève et ceux qui sont obèses sont vivement encouragés à se nourrir plus sainement et des posters sont accrochés dans les établissements à ce sujet. C’est pour cela que je propose que des visites médicales soient effectuées pour surveiller la santé des élèves, prévenir les maladies, et même accompagner ceux qui souffrent psychiquement.
Les enseignants
Et comme on dit le meilleur pour la fin, je termine avec la partie qui est sans doute la plus importante à savoir le corps enseignant car sans eux rien de tout cela ne sera possible. Sans eux, nous deviendrons tels les êtres humains primitifs analphabètes peut-être deviendrions nous-même des êtres barbares ignorants sans aucune notion de la vie, sans aucun savoir-faire ni savoir vivre. Sans eux, tout le savoir que l’humanité a réussi à collecter finira par se dissiper. C’est pour cela qu’il faut les valoriser, leur donner toute l’importance, l’attention et le respect qu’ils méritent et encourager leurs efforts. Il faut également leur assurer la formation nécessaire en matière pédagogique. En Finlande tout comme à Singapour, l’enseignement est une profession très prestigieuse, très recherchée et sélective. Les enseignants sont hautement considérés dans la société. Ils ont un statut social très élevé.
Un regard sérieux doit être enfin porté par nos décideurs, aussi bien, sur le contenu des programmes, les techniques d’enseignement, les méthodes pédagogiques, l’environnement, la condition et les compétences des enseignants. Une vision stratégique doit commander les décisions en matière de réformes. Et pour boucler je dirais «on ne bâtit pas des nations fortes avec un système éducatif faible et vulnérable».
Mayssa Ben Mrad
Elève Lycée Pilote Hammam-Lif LPHL
NDLR: cet article a été bel et bien rédigé par une lycéenne de 16 ans pur produit de l'école publique tunisienne, nous l'avons vérifié nous-mêmes après un entretien avec elle.
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