News - 02.08.2021

Ahmed Ounaïes: ...Et pourtant, la Tunisie avait donné toute sa chance au parti islamiste

Ahmed Ounaïes: ...Et pourtant, la Tunisie avait donné toute sa chance au parti islamiste

La Tunisie se distingue, dans l’ensemble de la région, en ayant admis que les islamistes, organisés en partis politiques, participent aux institutions de l’Etat pourvu qu’ils s’astreignent aux règles démocratiques. A ce titre, la décennie qui s’étend à 2021 est riche d’enseignements. Nulle autre société arabe tentée par la démocratie n’a donné, comme la Tunisie, toute sa chance à un parti islamiste d’éprouver l’aptitude de ses dirigeants dans la conduite de la politique nationale, dans tous les domaines. La voie n’est guère aisée, mais quelle autre voie permettrait d’enraciner la démocratie en pays arabe ?

En Algérie, dès qu’il eut percé dans les élections trente ans auparavant, le parti islamiste était aussitôt réprimé dans une guerre ouverte, menée par l’armée nationale qui s’acharnait à l’éradiquer par le fer et par le feu. En Egypte, le parti islamiste, au terme des élections législatives et de l’élection présidentielle qu’il avait remportées en 2012, était éliminé l’année suivante par un coup d’Etat militaire et la majorité de ses élus et de ses dirigeants étaient traînés en justice. En Libye, les candidats islamistes n’ont pas réussi, ni en 2012 ni en 2014, à accéder à une quelconque majorité par la voie des urnes, mais ils ont chaque fois tenté de paralyser les institutions de l’Etat au point de recourir en définitive à des milices armées et d’entraîner la guerre civile. La Tunisie seule a offert aux islamistes de jouir légalement des droits inhérents au régime démocratique, dans la mesure où ils justifient d’une base électorale. Nous tentons ainsi de concilier la démocratie avec une doctrine dogmatique qui nie le caractère universel des principes démocratiques. Qu’en sera-t-il ?

Le principe d’ouverture est juste, même s’il représente avec les islamistes une prise de risque. Si cette première expérience d’ouverture a échoué, du moins était-elle réelle et loyale. Certes, elle nous en a coûté, mais elle donne un sens à la démocratie tunisienne. Nous ne serons pas accusés d’avoir escamoté les règles démocratiques ni d’avoir étouffé la voix des candidats ou des élus islamistes qui, sans être majoritaires, ont pris part à la vie politique, ont accédé aux institutions de l’Etat et ont exercé le pouvoir sans restriction. Sans doute ont-ils abusé.

En constatant leur échec, nous sommes fondés à mettre un terme à l’hégémonie qu’ils ont exercée depuis dix ans sur les institutions de l’Etat. Toutefois, nul ne doit prétendre les éradiquer ni les persécuter : ils seront tenus aux limites de leur représentation réelle qui, en dix ans, se rétracte à chaque échéance. Ils se présenteront sans doute aux prochaines élections et trouveront l’électeur d’autant mieux averti. Ils ne sauraient cependant revendiquer des privilèges : si d’aucuns ont failli, ils répondront de leurs actes à l’égal de tout autre tunisien. Si le parti comme tel a commis des infractions, il sera sanctionné. Ainsi la Tunisie pourra-t-elle administrer la preuve que les partis islamistes ne sont pas spécialement redoutables et qu’ils peuvent s’insérer dans la normalité. Telle est la grande leçon de la politique d’ouverture.

La transition démocratique se poursuit. Nous attendons des institutions de l’Etat qu’elles s’en tiennent aux obligations et aux limites fixées par la Constitution, dans son esprit sinon dans sa lettre, et de s’astreindre à l’option démocratique. Il ne sert à rien d’exalter ni de dramatiser le tournant du 25 juillet dernier. Ce dimanche 25 juillet commençait par des manifestations populaires contre le parti islamiste et était conclu par un ensemble de décisions, prononcées par le Président de la République, qui libèrent l’Etat de l’emprise du parti islamiste. La finalité de ces mesures est comprise et admise par la majorité du peuple ainsi que par les principaux partenaires de la Tunisie. La semaine qui a suivi l’événement a prouvé que l’objectif n’a pas été contrarié, ni de l’intérieur ni de l’extérieur. En outre, des verrous ayant bloqué certains secteurs sensibles sont levés. En substance, la transition démocratique est désembourbée et doit en principe reprendre sa dynamique. Dès lors, il est légitime de s’interroger sur les lendemains et de nous prémunir contre les dangers nés du nouveau contexte.

Quand deux pans de la droite sont aux prises, les principes ne sont pas à l’abri. Nous craignons la concentration des pouvoirs parce qu’elle prête à des dérives. Pour un peuple vacciné, le rééquilibre des pouvoirs est une exigence. 

Veillons à ne pas céder au démon de la diabolisation qui charge l’accusé au-delà de ses actes, quand il ne le pose pas d’avance en criminel. Cette technique a souvent commencé, en Tunisie, contre de vrais coupables pour se prolonger ensuite contre les opposants. Le lynchage est détestable : dans son fond, il déstabilise l’ensemble de la société. Evitons cet écueil indigne d’un régime démocratique. 

Le soutien du futur gouvernement incombe logiquement au regroupement du centre et de la gauche. Ce regroupement devient nécessaire afin d’offrir une alternative aux droites essoufflées. Il revient aux élus de la nation d’assurer la confiance et la stabilité afin de remettre la Tunisie en marche et de tenir nos engagements. Les députés acquis à la nécessité de sortir de la crise doivent d’ores et déjà admettre que le futur gouvernement soit constitué sur la base de la compétence, non de l’allégeance, et exiger qu’il souscrive aux règles démocratiques sans autre calcul. A cette condition, un pacte patriotique s’impose de la part des pouvoirs législatif et exécutif.

Nous attendons de l’institution judiciaire qu’elle avance enfin dans les enquêtes relatives aux assassinats politiques et qu’elle s’explique sur les retards.

La confiance du peuple est essentielle : c’est sur cette base que le tunisien investit pour l’avenir et que nos partenaires dans le monde s’assurent de la stabilité des institutions et du sérieux des engagements. Gardons-nous d’inverser les termes.

Le coup de barre du 25 juillet n’a pas dissipé toutes les craintes, mais il laisse percer à nouveau l’espoir que la menace de détournement de la Révolution fait long feu. Les objectifs réels de la Révolution ressortent des brumes. Veillons à tenir le cap, à prémunir la démocratie et à tenir fermement la gageure.

Lançons l’appel aux chefs des deux cents partis afin de faire prévaloir l’union, non la dispersion. Lançons l’appel au peuple afin qu’il participe massivement aux élections, le moment venu, et qu’il réaffirme l’adhésion aux principes démocratiques et aux valeurs universelles.

Patience ! Nous sommes à l’avant-garde de l’édification de la démocratie dans le monde arabe.

Ahmed Ounaïes


 

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