Mohamed Ibrahim Hsairi: Du rôle de l’Algérie nouvelle de Tebboune dans son voisinage
A peine quelques jours avant les élections législatives anticipées du samedi 12 juin 2021, le président algérien Abdelmadjid Tebboune a, successivement, fait deux sorties médiatiques fortement remarquées : la première en accordant une interview à l’hebdomadaire français Le Point (publiée le 3 juin 2021), et la seconde, en accordant une autre à la chaîne de télévision qatarie Al Jazeera (diffusée le 8 juin 2021).
Dans l’une et l’autre des deux interviews, il a évoqué plusieurs questions nationales et régionales, avec une «franchise rare» et sans éluder «aucun sujet», a, notamment, souligné Le Point.
Parmi ses déclarations qui ont particulièrement retenu l’attention, celle où il a parlé de la crise libyenne a fait sensation. En effet, il a rappelé que l’Algérie a refusé que Tripoli «tombe aux mains des mercenaires», et surtout révélé qu’elle «était prête à intervenir d’une façon ou d’une autre pour empêcher sa chute».
Cette révélation jette, a posteriori, la lumière sur les raisons de l’une des plus importantes modifications apportées par la constitution révisée du 1er novembre 2020. Il s’agit, en l’occurrence, de celle relative au rôle de l’armée algérienne qui peut, dorénavant, être déployée en dehors du territoire national.
Par cette modification, le président Abdelmadjid Tebboune a, en effet, doté son pays d’un moyen qui lui manquait pour soutenir les positions et mettre à exécution les options de sa politique étrangère.
Au vu des résultats des élections législatives anticipées et en attendant la formation du nouveau gouvernement qui, selon les analystes, serait probablement un gouvernement d’unité nationale, le président Abdelmadjid Tebboune semble croire qu’il a, désormais, les coudées franches pour poursuivre la mise sur pied de «l’Algérie nouvelle» qu’il a promis de construire tant dans sa dimension interne que dans sa dimension externe (régionale et internationale).
A cet égard, quatre remarques sont à faire à partir de ses deux interviews et de ses déclarations à l’occasion des élections législatives :
1/ en affirmant que «le Hirak authentique a sauvé l’Etat algérien de la déliquescence», il semble dire que ce «soulèvement populaire» a accompli sa mission et par conséquent perdu sa raison d’être.
Ceci est, pour lui, d’autant plus vrai que «ce qui reste du Hirak originel est très hétéroclite» car, affirme-t-il, «on y trouve de tout, il y en a qui crient (état islamique!) et d’autres qui scandent (pas d’islam !)» En outre, ajoute-t-il, «le mouvement Rachad a commencé à mobiliser tous azimuts, à donner des instructions pour affronter les services de sécurité et l’armée. Quant au MAK (le Mouvement pour l’autonomie de la Kabylie), il a tenté d’agir avec des voitures piégées».
Faisant remarquer que si le Hirak est sorti victorieux, c’est grâce à son pacifisme et à la protection des services de sécurité et de l’armée, il a indiqué que «les parties derrière les récentes marches étaient inconnues et les manifestations ne sont plus unifiées en termes de revendications ou de slogans». En plus,«cinquante wilayas algériennes n’enregistrent aucune marche ces derniers temps», a-t-il fait savoir.
Et de conclure: «Face aux appels à la violence, la patience a des limites».
Il est, donc, temps qu’il prenne les choses en main et qu’il aille de l’avant dans la mise en œuvre de son programme de réformes visant à «remettre sur pied le pays, à lutter contre les passe-droits, à reconstruire les institutions démocratiques et à faire que la République appartienne à tout le monde».
2/ En faisant l’éloge de la «toute fidélité de l’armée, avec à sa tête le chef d’état-major Saïd Chengriha», et en affirmant que «si nous n’avions pas une armée aussi moderne et aussi professionnelle, la situation en Algérie serait pire qu’en Libye ou en Syrie, il ne fait qu’exprimer sa reconnaissance au rôle capital joué par l’armée dans l’accompagnement du Hirak.
Soutenant encore que le poids de l’armée algérienne qui est, pour lui, «une institution constitutionnelle qui sacralise la Constitution de l’Etat» est «une réalité positive», et que «la relation entre la Présidence et l’Armée est une relation somme toute naturelle», il semble réaffirmer qu’il continuera à lui faire confiance, et à compter sur elle pour faire face aux dangers aussi bien internes qu’externes qui guettent l’Algérie.
Il n’est pas anodin, dans ce contexte, qu’il ait tenu à relever que l’instabilité de la Libye a eu des répercussions sur la situation au Mali et au Sahel, et qu’il ait fait état de «caravanes chargées d’armes lourdes et légères repérées par satellite en direction de la région du Sahel sans être interceptées».
«De tels actes avaient pour objectif de cerner l’Algérie pour faciliter son infiltration et c’est pourquoi nous œuvrons à renforcer davantage notre armée», a-t-il conclu en précisant que les dernières manœuvres militaires visaient à «assurer l’état prêt des troupes en cas d’urgence».
3/ En affirmant que «l’Algérie s’est débarrassée de l’islam idéologique qui a tenté de s’y imposer au début des années 1990», que cet islam «n’existera plus jamais en Algérie», et que «le courant islamiste actif en Algérie est différent des courants islamistes dans d’autres pays», il semble envoyer un message «innocentant» et tranquillisant aux islamistes algériens qui ont pu obtenir un nombre important des sièges au nouveau parlement, et dont l’appui lui sera plus tard indispensable pour mener à bien ses futures initiatives et actions.
4/ Enfin, en déclarant que pour lui, «le taux de participation n’a pas d’importance et que ce qui lui importe, c’est que ceux pour lesquels le peuple vote aient une légitimité suffisante», il semble minimiser le boycottage des élections qui, pour certains observateurs, veut dire que le fossé se creuse, de plus en plus, entre le pouvoir et la population.
L’ensemble de ces éléments réunis indiquent, à mon point de vue, que le pouvoir algérien a la conviction, ou du moins le sentiment, qu’il a pu se reconstituer et que l’Algérie est prête à restaurer son rôle actif dans la région. Et c’est là le sens du message que les autorités algériennes ne cessent de réitérer, surtout en ce moment où des changements importants s’effectuent dans leur voisinage immédiat, qui se trouve dans une véritable tourmente, et qui présente des menaces réelles pour leur pays.
L’annonce le 10 juin 2021, juste deux jours avant les élections législatives algériennes, par le président français Emmanuel Macron de la fin de l’opération «Barkhane», ne peut que confirmer cette tendance et inciter l’Algérie à accélérer son retour en force sur la scène régionale.
A suivre de près.
Mohamed Ibrahim Hsairi
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