News - 07.06.2021

Après la 4e guerre israélienne contre Gaza, saura-t-on éviter la 5e ?

Après la 4e guerre israélienne contre Gaza saura-t-on éviter la 5e ?

Par Mohamed Ibrahim Hsairi - Aussi bien du côté palestinien que du côté israélien, et bien entendu pour des considérations propres à chacune des deux parties, l’on s’accorde à dire que la quatrième guerre qu’Israël vient de mener contre la bande de Gaza, en l’espace de moins de quinze ans, a changé la donne et que l’équation du conflit palestino-israélien n’est, désormais, plus la même.

Les indicateurs de ce changement sont nombreux. J’en énumérerai les suivants:

1/ Sur le plan palestinien, pour la première fois, le Hamas et le Jihad ont surpris par l’intensité et l’envergure géographique inégalées de leurs tirs de roquettes contre Israël (plus de 4 300 projectiles en douze jours dont au moins dix pour cent n’ont pas été interceptés par le bouclier antimissile israélien).

2/ La solidarité des habitants de la bande de Gaza, bien qu’ils soient soumis à un blocus impitoyable et inhumain depuis presque 15 ans, avec leurs frères blessés lors d’affrontements avec la police israélienne sur l’esplanade des Mosquées de Jérusalem-Est, a réveillé l’ensemble du peuple palestinien en Cisjordanie et en Israël même, où Juifs et Arabes cohabitaient dans certaines localités depuis la Nakba.

Pour certains analystes, c’est là une véritable reconstitution du corps national palestinien. Et c’est pourquoi le Hamas a raison d’affirmer que «ce qui se passera après la bataille de «l’épée de Jérusalem» ne ressemblera pas à ce qui s’est passé avant, car le peuple palestinien qui a soutenu la résistance sait que c’est seulement la résistance qui libérera sa terre et protègera ses lieux saints ».

3/ Outre que la résistance a réussi à replacer le conflit palestino-israélien au cœur de l’actualité, elle a mis à nu, encore une fois mais plus fortement cette fois-ci, le caractère marginal de l’Autorité nationale palestinienne qui a brillé par son absence, son inertie et son impuissance tout au long des 12 jours d’affrontements. Ceci ne manquera pas de donner le coup de grâce à sa représentativité et à sa légitimité d’autant plus qu’elle s’oppose à l’organisation des élections depuis 2006.

En outre, et sur le plan arabe, elle a démasqué l’absurdité de la normalisation de certains pays arabes de leurs relations avec Israël à un moment où son arrogance a dépassé toutes les limites.

4/ Sur le plan israélien, elle a montré que la politique suivie par Benjamin Netanyahou en alliance avec les partis ultranationalistes et religieux, défendant le projet du Grand Israël et une colonisation à outrance, n’a pas pu venir à bout de la résistance palestinienne, et ne mène, en fait, qu’à l’échec et à la violence, car les humiliations et les spoliations ne font qu’exaspérer, jour après jour, l’amertume et la colère des Palestiniens.

D’autre part, la fracture qui est apparue dans la société israélienne lors des derniers affrontements est susceptible de s’aggraver dans les années à venir, surtout qu’Israël risque, de plus en plus, d’aller à la dérive d’un régime totalitaire, à la fois théocratique et militaire.

5/ Sur le plan international, la politique, pour le moins immorale, de Donald Trump qui a donné le feu vert à Israël et à ses exactions, a fini par porter ses «fruits amers». Mais ce qui est malheureux, c’est que son successeur Joe Biden n’a pas saisi cette réalité et il ne cesse de crier haut et fort qu’il apportera son « soutien indéfectible à la sécurité d’Israël et au droit légitime d’Israël à se défendre».

6/ D’une manière générale, les Etats-Unis et les pays européens, tout en s’empressant de condamner la résistance palestinienne, se sont comportés avec une mollesse déconcertante à l’égard de l’agression israélienne et semblent, en même temps, avoir renoncé depuis longtemps à contraindre Israël au simple respect du droit international, sans parler des droits inaliénables des Palestiniens, y compris sur Jérusalem-Est.

7/Plus déconcertante est l’attitude de certains pays européens et notamment celle de la France et de l’Allemagne qui ont purement et simplement interdit les manifestations de soutien aux Palestiniens, et prohibé toute expression critique à l’égard d’Israël, confisquant ainsi à leurs citoyens le droit de s’exprimer, de dénoncer les agissements inhumains de l’occupant israélien, ou d’afficher leur soutien à la juste cause palestinienne.

Désormais, toute personne qui manifeste son soutien au peuple palestinien est systématiquement accusée d’être un «antisémite», ou un «islamo-extrémiste» ou même un «complice des terroristes».

8/ Pire encore, ces mesures de censure ont coïncidé, d’une part, avec les restrictions décidées par les réseaux sociaux qui sont devenus une principale source d’informations et sont capables de mobiliser des communautés entières, afin d’empêcher la diffusion et le partage des vidéos et photos qui dénoncent les crimes israéliens, et d’autre part avec la frappe de l’immeuble des médias qui abritait les bureaux de l’Associated Press et d’Al-Jazeera.

Cette frappe, qui témoigne de la volonté d’Israël d’empêcher la couverture des atrocités commises par son armée, n’a cependant suscité que quelques éphémères expressions de préoccupation et d’inquiétude, et quelques timides appels au respect du droit à l’information non pas par Israël mais par «toutes les parties en conflit», ce qui prouve,  encore une fois, qu’Israël demeure au-dessus de la loi et continue à jouir d’une impunité totale malgré tous les crimes qu’elle ne cesse de commettre…

9/ Quant à la Chine, elle a saisi l’occasion de la nouvelle guerre sur Gaza pour épingler le comportement des États-Unis qui a été à l’origine du blocage du Conseil de sécurité, pour stigmatiser la politique américaine de deux poids deux mesures et des droits de l’homme à géométrie variable, et pour inviter Washington, qui ne cesse de se soucier du sort des minorités musulmanes de l’Ouest chinois, à s’intéresser aux souffrances des Palestiniens qui sont aussi musulmans que les Ouïghours.

En somme, pour la Chine, «les Etats-Unis sont à l’écart du jeu multilatéral, se dérobent à assumer leur responsabilité de grande puissance, et continuent de se tenir du côté opposé de la communauté internationale».

10/ Pour sa part, l’Organisation des Nations unies, depuis longtemps impuissante et divisée sur la question palestinienne, s’est limitée à quelques appels à l’apaisement, mais en vain.

Bien que ces indicateurs soient disparates et divergents, il ne serait pas erroné, à mon avis, d’avancer que, dans leur globalité, ils marqueraient un point de rupture qui a fait dire au président Joe Biden que l’accord de cessez-le-feu entré en vigueur le vendredi 21 mai 2021 constitue «une vraie opportunité d’avancer vers la paix entre Israéliens et Palestiniens ».

Toutefois, cette déclaration, toute optimiste qu’elle est, a été assortie de l’affirmation, encore une fois, qu’Israël a droit à l’autodéfense et que les Etats-Unis réapprovisionneront le système de défense antimissile israélien.

En contrepartie, il a, certes, promis d’apporter une aide humanitaire et une aide à la reconstruction à Gaza. Mais aucun mot en ce qui concerne la levée du blocus qui dure depuis une quinzaine d’années, et surtout aucun mot en ce qui concerne les causes profondes tant de la dernière escalade que du conflit palestino-israélien plus généralement.

En outre, le président Joe Biden a bien précisé que l’aide à la reconstruction de Gaza serait fournie en partenariat avec l’Autorité nationale palestinienne et non pas avec le Hamas, que les États-Unis considèrent comme une organisation terroriste.

Or cet engagement qui relève de la gageure en raison des mauvaises relations entre le Hamas et l’ANP, qui est absente de la Bande de Gaza, veut dire que les États-Unis cherchent à maintenir et même à exacerber la division des Palestiniens.

Sur un autre plan, il faut noter que les membres du Conseil de sécurité n’ont pas pu sortir une déclaration qui salue l’annonce du cessez-le-feu qu’après le retrait d’un paragraphe sur la condamnation des violences, exigé par les Etats-Unis qui, rappelle-t-on, avait déjà rejeté trois projets de déclaration, ainsi qu’un projet de résolution français appelant à «une cessation immédiate des hostilités» et à «la fourniture et à la distribution sans entraves d’une aide humanitaire dans tout Gaza».

D’autre part, lorsqu’il a été interpellé sur sa position défendant le droit d’Israël à l’autodéfense et omettant de s’exprimer contre la réponse disproportionnée du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu aux attaques à la roquette du Hamas,  il a défendu son approche de la gestion de la crise et a fait la sourde oreille même aux critiques venant de son propre parti. Convaincu qu’il dit l’être que «les Palestiniens et les Israéliens méritent tout autant de vivre en sécurité et de jouir d’un même niveau de liberté, de prospérité et de démocratie», l’on se demande comment envisage-t-il d’atteindre cet objectif avec ses positions totalement déséquilibrées et foncièrement pro-israéliennes. Il est vrai qu’il a affirmé que «son administration poursuivra sa diplomatie discrète et infatigable pour aller vers cet objectif, et qu’il s’engage à travailler en cette direction», mais ira-t-il jusqu’à souscrire aux objectifs bien précis avancés par le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, dans l’appel qu’il a lancé à la communauté internationale et où il a affirmé qu’il est urgent de rétablir le calme, et il est important de parvenir, ensuite, à une paix complète basée sur la conception d’une région où deux Etats démocratiques, Israël et la Palestine, vivent côte à côte, en paix avec des frontières sûres et reconnues?

Il est, peut-être, prématuré de répondre à cette question, mais on peut, d’ores et déjà, affirmer que si le président Joe Biden s’abstient de le faire, il condamnerait ce qu’il a appelé «une vraie opportunité de faire des progrès» à l’échec.

En tous les cas et pour éviter une cinquième guerre israélienne contre Gaza, le président Joe Biden et les Etats-Unis auront besoin de comprendre que malgré l’actuel cessez-le-feu, le feu continue à couver dans la région qui ne sera pas à l’abri d’une nouvelle escalade, et qui risque de s’embraser de nouveau, tôt ou tard,à moins que l’on s’attelle sincèrement et sérieusement à traiter les vraies causes de la cause palestinienne.

Mohamed Ibrahim Hsairi

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