Mohsen Ben Abdallah : quand le théâtre trouve son double*
Par Mohsen Redissi - Est-ce l’ironie du sort ?, ou, en bon musulman, est-ce maktoub ? Est-il prédestiné à faire de sa vie une pièce de théâtre en deux actes, vivre et mourir, entrecoupée de scènes de durée égale ? Sa naissance le 27 mars est célébrée chaque année partout dans le monde par des artistes dont les planches sont leur gagne-pain et des loges exigües leur chez soi. Comme eux au temps de sa splendeur et à chaque nouvelle représentation, il renaît à la vie. Tel un Phœnix, les trois coups frappés avant chaque représentation réveillent en lui le démon de la nuit. Lui aussi Mohsen Ben Abdallah est entré dans la légende.
Il a quitté l’école pour se consacrer à sa passion et son art plutôt que de suivre le métier tout tracé par les parents. Tel père tel fils réplique la sagesse populaire. Lui il a cherché la popularité. Il a hâte de bruler les planches en séchant les cours. Il se voyait déjà en haut de l'affiche. L’étendue de son art il l’a acquise aux cotés du géant Aly Ben Ayed. Le succès venu n’a pas gâché sa nature bienveillante. Il a cherché à transmettre son art aux apprentis artistes avides de conseils, toujours à la recherche du bon tuyau de leurs ainés pour un premier rôle.
La Marsa reconnaissante
L’événement est quadruple. La commune de La Marsa honore une figure artistique locale, une rue, une nouvelle plaque très tendance dans les rues dans la ville et enfin un événement d’envergure internationale. Le maire tire la toile et laisse entrevoir derrière le tissu qui se réduit le nouveau nom que porte la nouvelle plaque étincelante. Une plaque se meurt une autre interactive prend sa place. La guerre des plaques, « tectonique des plaque » pour les géo…mètres ou logues. Telle est la nouvelle loi de cette ville baignée par la Méditerranée, choyée par les beys de Tunis lors de leur villégiature d’été et adulée par les tunisois nantis aux premières chaleurs de l’été. Ils reviennent prendre possession de leur villas restées fermées neuf mois durant à la recherche de fraicheur. Le ballet incessant des vielles automobiles remplies de mobiliers marque le début des fêtes et des longues soirées d’été devant les entrées des maisons restées silencieuses trop longtemps. L’événement a été largement suivi par la population, les pouvoirs locaux et les hommes de la culture.
On ne vit que deux fois
Ils sont venus ils sont tous là ils sont venus sentir la scène encore une fois : les comédiens qui l’ont côtoyé et ceux qu’il a formés en bénévolat dans les salles de classes ou dans les maisons de jeunes. Ses adversaires d’une soirée sur les planches sont là, ils sont ses amis proches dans la pénombre du café-bar Brasilia au cœur de l’ancien Palmarium de Tunis. Une porte dérobée juxtaposée à l’entrée des artistes rendaient les pauses-cafés le prolongement du spectacle en préparation. Ils sont tous venus louer en chœur les mérites du défunt et rendre un hommage posthume à l’homme, une bête de scène, qu’ils ont connu affable et disponible. Leur catharsis collective. Lui n’a jamais osé quitter la scène c’est elle qui l’a laissé partir rejoindre le Tout Puissant.
Mourad III, Caligula, Jules César, Scipion, Eric XIV, Al-Bakhil (L’Avare), Maréchal Ammar(Le Bourgeois gentilhomme)… dans leur costume d’apparat restent figés de marbre, bluffés par son ardeur à s’investir dans ces rôles et d’entrer de plain-pied dans la peau de ces personnages emblématiques. Tous applaudissent ses performances et rient à pleines dents de ses fourberies. Que de rôles il a incarnés avec la Troupe de la ville de Tunis sur les scènes arabes et européennes comme acteur ou metteur en scène. Son rôle le plus cher en fin de vie sans port de masque sous la direction de son propre instinct est celui d’un mari et d’un père comblé. Sa grande famille serrée autour de ce noyau reste son public acquis d’office, elle lui décerne le Prix de la meilleure œuvre sans conteste.
Ma commune m’a plaqué
La commune de La Marsa a intelligemment saisi la Journée Mondiale du Théâtre pour célébrer à sa manière les multiples facettes de cet événement. Elle ne peut pas laisser passer cette occasion sans faire son cinéma. Tout d’abord, la journée est propice pour rendre hommage à cette figure locale qui a fait du quatrième art sa vocation. Elle le remet sur les feux de la rampe encore une fois. Lui dans l’au-delà nous sur la terre ferme. Elle rebaptise une rue en son nom « Rue Mohsen Ben Abdallah » où ont vécu ses arrières grands-parents, où il y a passé le plus clair de sa vie et y a joué ses premiers rôles. Une occasion également pour cette commune qui innove en collaboration avec les jeunes. Des banlieusards qui Thordent le tonnerre et clouent sur les murs des habitations les nouvelles plaques interactives multilingues. La simple lecture du code QR dévoile la signification de la rue et les rues avoisinantes pour une meilleure localisation donc une meilleure orientation. Un guide virtuel.
La commune de La Marsa innove encore une fois. Elle n’est jamais à coté de la plaque.
Mohsen Redissi
* Déformation et référence faite à « Le Théâtre et son double » essais écrits par Antonin Artaud, 1938
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