Hommage à... Pr Abdelkrim Bettaïeb: L’éminent neurologiste et chirurgien
Par Pr Abdelaziz Annabi - Le professeur Abdelkrim Bettaïeb nous quitte au bout d’une vie d’anthologie que le grand âges et une longue maladie ont pu affecter. Il avait gardé jusqu’aux derniers jours une prestance légendaire.
La Tunisie perd en la personne d’Abdelkrim Bettaïeb un patriote et un rare neurologiste et neurochirurgien de l’école de La Salpêtrière et de Lariboisière. Il a été l’un des premiers médecins tunisiens nommés au fameux Concours d’internat de l’assistance publique, après Zouhaïr Essafi, le premier Ancien interne des hôpitaux de Paris (Aihp), du monde arabe et de la Tunisie qui a été reçu au concours avant l’indépendance, traçant le chemin de la «voie royale» qu’avait imaginée Napoléon pour former une élite de médecins qualifiés au service de la Nation, et que nombre de nos compatriotes, anciens collègues et aînés, ont empruntée, donnant à la Tunisie le plus important contingent d’ Aihp après la France !
C'Il avait répondu à l’appel du devoir national en juillet 1961 en renonçant à poursuivre son clinicat dans le prestigieux service de neurochirurgie du professeur Raymond Houdart à l’hôpital Lariboisière, rejoignant, sur instruction de Driss Guiga, ministre de la Santé, les camarades médecins et chirurgiens qui œuvraient jour et nuit à l’hôpital Habib-Bougatfa de Bizerte dans la ville meurtrie, durant les heures dramatiques de la bataille de l’Evacuation. Il avait rejoint Tunis et contribué, durant ces années héroïques, à mettre en place la première unité de neurochirurgie de la Tunisie à l’hôpital de La Rabta. Il a participé dans le courant de 1962, conjointement avec les premiers médecins universitaires tunisiens reçus au professorat en France, à la création de la faculté de Médecine de Tunis où il a assuré seul, pendant une dizaine d’années, l’enseignement de la sémiologie neurologique et des maladies du système nerveux.
Abdelkrim Bettaïeb était à la base de la formation des premiers infirmiers et instrumentistes en neurochirurgie, en même temps que des premières promotions d’élèves-résidents et d’assistants, des futurs maîtres de conférences-agrégés et professeurs dans la spécialité, qui forment aujourd’hui le fleuron de la neurochirurgie en Tunisie et au Maghreb.
Il avait été contraint, en février 1988, à s’expatrier au Koweït où il a exercé jusqu’à l’invasion militaire de l’Irak en août 1990. Voilà un épisode tristement célèbre de sa carrière, fruit d’une basse conspiration. Le professeur Bettaïeb était habilité «à titre exceptionnel» à exercer des actes rémunérés dans l’enceinte du service de neurochirurgie qu’il dirigeait et où il procédait à la fois aux différentes interventions neurochirurgicales programmées pour les patients du secteur public et du secteur privé. Il était le seul neurochirurgien à l’époque exerçant de facto dans le bloc opératoire spécialisé du service dans ce type de chirurgie où il avait réuni l’équipe chirurgicale, qu’il avait lui-même formée, ainsi que l’instrumentation nécessaire.
L’un de nous s’était rendu chez lui quelque temps après l’ingrate «révocation» ourdie au lendemain du 7 Novembre, pour l’avertir qu’un procès arbitraire se tramait au Parquet à son encontre et qu’il lui fallait quitter le pays le plus rapidement possible. Son épouse, Maggy, devait révéler au visiteur et jeune collègue que Si Abdelkrim était déjà parti, qu’il était sur place à Koweït et qu’elle s’apprêtait à le rejoindre. Il y était accueilli dans le système hospitalier au plus haut grade de l’échelle universitaire, tout en étant le consultant de la famille princière. Cet épisode est rapporté scrupuleusement dans son livre autobiographique intitulé et «Le Médecin le Despote», publié après le 14 janvier 2011 et traduit en trois langues.
Il était bassement calomnié dans la position académique et la spécialisation neurochirurgicale qui le distinguaient dans l’échiquier hospitalo-universitaire. Voilà un procès d’intention qu’il était aisé de provoquer… mais l’art est difficile! Je me souviens particulièrement d’un patient porteur d’un volumineux méningiome fronto-basal qu’Abdelkrim Bettaïeb avait opéré à ma demande, il y a près de 40 ans. L’intervention, à laquelle j’avais assisté, avait duré 12 heures sans interruption et s’était déroulée parfaitement, sans suites opératoires ! Un tel succès n’avait pas manqué de persuader les citoyens des progrès de la neurochirurgie en Tunisie, sous la conduite du Professeur Bettaïeb, et de réduire le nombre de transferts à l’étranger pour ce type d’intervention.
L’impact médico-social de l’intervention de ce patient était spectaculaire. On peut s’interroger sur le coût d’une telle intervention si elle avait conduit à la prise en charge du patient pour nécessité de soins à l’étranger par les caisses de l’Etat, sachant combien la procédure de transfert était courante en pareil cas au début des années 1980.
Au delà de l’hommage que nous lui rendons, le professeur Bettaïeb laisse derrière lui un art sémiologique de bénédictin au «lit du malade», instruit par Raymond Garcin qui dirigea la Chaire inaugurale de la clinique neurologique de La Salpêtrière dont Si Abdelkrim fut l’Interne une année durant, au sein de la mythique division Mazarin. Le romancier Jérôme Garcin, petit-fils du dernier grand maître de La Salpêtrière après Jean Martin Charcot, a immortalisé sa mémoire dans son livre intitulé «Le syndrome de Garcin». Mon maître Jean Lapresle, enseignant, neurologiste et neuropathogiste d’exception, et qui fut son premier agrégé, m’a transmis son héritage spirituel. C’est à cette filiation qu’il faut rattacher l’esprit et la rigueur de fin clinicien qu’était mon grand aîné Abdelkrim Bettaïeb.
Quel parcours et quelle exemplarité, depuis l’enfance à Ben Guerdane où il se rendait à l’école à dos d’âne !.
Pr Abdelaziz Annabi
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