Opinions - 16.10.2020

Monji Ben Raies: Exécution, question capitale

Monji  Ben Raies: Exécution, question capitale

La peine de mort est une sanction pénale très ancienne présente dans des textes comme le Code de Hammurabi (1750 avant J-C). Les Grecs, les Romains et les Mésopotamiens, entre autres, mettaient déjà en application la peine de mort. En Grèce Antique, la peine capitale était vue comme un moyen de purifier la société et d’effacer les criminels qui nuisent au peuple.

Toujours d’actualité, le Chef de l’Etat a affirmé son intention de réactiver la peine de mort en Tunisie. Ce spectre resurgit comme un témoin dénonciateur des hésitations et des contradictions de l’Etat et de la société tunisienne, lesquels balancent constamment du traditionalisme conservateur à la modernité sans se fixer vraiment. Il est tout de même à préciser que la peine de mort n’a jamais été abolie de l’arsenal juridique pénal tunisien. Seul un moratoire sur l’effectivité des exécutions est en vigueur, c’est-à-dire que les prévenus sont condamnés à mort et se retrouvent incarcérés dans le ‘’Couloir de la mort’’, mais ne sont pas exécutés.

Cette acrobatie juridique fait que les Tribunaux tunisiens continuent de prononcer régulièrement des condamnations à la peine capitale qui sont, jusqu’à présent, automatiquement commuées en réclusion criminelle à perpétuité, car la Tunisie fait partie de ces Etats éclairés qui ont suspendu l’exécution effective de la peine de mort, depuis 1991. Mais voilà que le débat ressurgit dans l’actualité, depuis une dizaine de jours, nous ramenant à la case départ, sous la pression de la rue sous le choc d’un fait divers sordide.

Un crime qui a suscité une vive émotion dans toute la société tunisienne et que les autorités publiques et médiatiques n’ont pas omis d’instrumentaliser. Une jeune femme de 29 ans, Rahma Lahmar a été retrouvée torturée, violée et égorgée à Aïn Zaghouane, dans la banlieue de Tunis. De très nombreux appels à la peine de mort ont suivi, à l’encontre de son meurtrier présumé qui serait récidiviste, répercutés par les réseaux sociaux et les media audiovisuels. Au commencement, le père de la victime a appelé à l’exécution du « tueur de sa fille », avec une véhémence ayant pour justification que des tragédies similaires ne se répètent pas. Ayant pris le relai, les Tunisiens, nombreux sur les réseaux sociaux, ont appelé de leurs voeux le retour de la peine de mort et notamment, via l’hashtag, à appliquer réellement l’éradication capitale des condamnés. De nombreuses femmes sont allées jusqu’à affirmer sur Facebook ne plus se sentir en sécurité depuis cet évènement. Un autre internaute, s’adressant aux anti-peine de mort, leur a suggéré de se mettre à la place de la famille de la victime pour justifier leur désir de vengeance. Durant des jours cette harangue à la mort a été répercutée dans les media sociaux et la presse. Certes il s’agit d’un sujet sensible, un phénomène récurent qui ressurgit chaque fois qu’un évènement tragique émeut la population et qui, encore, divise l’opinion publique tunisienne.

Le Chef de l’Etat même, en sortant de la réserve gardée de la Présidence de la République, a pu, maladroitement, car déplorable en matière de communication, exploiter l’évènement pour un coup médiatique et se servir de ce fait divers pour rehausser sa cote de popularité, qui commençait à être en berne. Le Président Kais Saied s'est déclaré favorable à l'exécution du meurtrier présumé, remettant par la même en cause la neutralité dont il a le devoir, le principe de séparation des pouvoirs par le prononcé d’un jugement pour lequel il est incompétent et le moratoire observé jusque-là par l’Etat tunisien, depuis les dernières trois décennies, mais que le gouvernement n’a cependant toujours pas consacré dans la loi. Faisant une entrée remarquée dans le débat le 28 septembre 2020, il a déclaré que : "S'il est prouvé qu'il a tué une ou plusieurs personnes, je ne pense pas que la solution soit (...) de ne pas appliquer la peine de mort", lors d'une réunion du Conseil national de sécurité (vidéo diffusée par la présidence). Il faut dire que, bien que revendiquant des idéaux de liberté et dignité propres à la révolution, le Chef de l’Etat s'est systématiquement positionné contre l'abolition de la peine de mort. « Chaque société a ses choix, nous avons nos principes, et le texte est là », a ajouté le Président, en référence à l'article 7 du code pénal, qui prévoit la peine capitale par pendaison. Il a seulement oublié qu’il était le Président de tous les Tunisiens, ceux à qui il doit protection et justice par la loi la plus favorable et non adhérer à des velléités de vengeance institutionnalisée. D’autant qu’objectivement, la peine capitale n’a, jusqu’à présent jamais prouvé son efficacité à réduire la criminalité, ni n’a prouvé son caractère dissuasif dans les statistiques. La déclaration du chef de l’Etat, en affirmant que « quiconque tue une personne sans aucune raison, mérite la peine de mort », réouvre malheureusement le débat. Bien qu’en aucun cas il n’a annoncé que le meurtrier de Rahma serait, lui, condamné à la peine de mort ni qu’aucun crime particulièrement mériterait ce châtiment, le Chef de l’Etat est sorti de la neutralité et de l’impartialité qui doit être la sienne en de telles circonstances. De plus, il s’est érigé en juge, lorsqu’il a émis un jugement déclaratif général en affirmant que les criminels ne sauraient bénéficier d’aucune grâce de sa part et en exécuteur, violant de manière flagrante les droits de la défense des prévenus à venir. Depuis 2011, les peines capitales prononcées à l’encontre d’une centaine de personnes ont toutes été commuées. « Toute personne dont l’implication dans un meurtre a été prouvée, doit être punie et condamnée à mort ». Par ces paroles, s’agissant de la peine capitale, prononcées en marge d’un Conseil National de sécurité qu’il présidait lundi 28 septembre à Carthage, le Chef de l’Etat a fait régresser de 30 années la politique pénale de la Tunisie et son humanisme. Par ses prises de positions, le mandat présidentiel tend à s’inscrire plus que jamais dans l’émotionnel et la sacralité de l’émoi populaire et à abandonner le rationnel et l’objectif.

Face aux accusés, à l’opinion publique, au ministère public, à la famille de la victime, dans de telles affaires, la préoccupation principale des autorités, qu’elles soient juges ou politiques, ne devrait pas être de trouver rapidement un coupable coûte que coûte, pour apaiser la soif de sang de l’opinion, en leur offrant une tête, surtout si par la suite on se rend compte que certains prévenus ont fait office de bouc-émissaires. Le recours à la peine de mort ne permet pas la justice, ni au système de se corriger de ses failles, défaillances et faiblesses et peut conduire parfois à des erreurs judiciaires irréversibles. Quand l’école devient une machine à reproduire et entretenir les inégalités, quand la santé devient un luxe, quand vivre devient aléatoire, une partie des classes populaire se retourne vers les expédients par désespoir. Très souvent, quand l’État n’assure pas d’avenir aux plus démunis, la violence peut devenir la seule alternative à la misère. Nous avons abandonné l’idée de la République, son école gratuite et obligatoire pour tous ; nous avons abandonné la mixité et la laïcité sociales, nous avons abandonné l’idée même de l’éducation comme ascenseur social, nous avons abandonné l’action publique dans l’intérêt général. Aussi, si certains Tunisiens sont violents, ce n’est pas la faute à ‘’pas de chance’’ mais c’est de notre faute à tous. Sans excuser ni banaliser les faits incriminés, la plupart des criminels sont sociétalement condamnés doublement ; d’abord ils sont abandonnés par l’Etat, ensuite ils sont exécutés par lui. Si révolution nous avons fait, si les barrières de castes ont vraiment été abattues, alors ne refusons pas justice et égalité des chances aux plus démunis d’entre nous. C’est en cela que nous ferons régresser la violence sociale et la criminalité née de la colère du peuple, ce même peuple qui crie à la mort du meurtrier de Rahma Lahmar.

Être détenu dans les couloirs de la mort est terrible, même lorsqu’il y a peu de risques que l’exécution ait réellement lieu. Ses pensionnaires peuvent passer des années en pensant que chaque jour est peut-être le dernier qu’ils vivront. Les conditions de détention dans le couloir de la mort sont sans doute des plus difficiles. Le fait de maintenir en détention une personne condamnée à mort pendant une longue période constitue un traitement à la limite de l’humain, équivalent de la torture psychologique. La condamnation à mort ou la simple susceptibilité de l’être, soulève immédiatement des questions d’éthique à l’encontre des responsables. L’éthique de l’exécution capitale à toujours fait débat, comme aux États-Unis suite à l’occasion de l’introduction de l’exécution par injection létale, en 1977.

Normes internationales pertinentes en matière de peine capitale, la règlementation relative aux Droits de l’Homme est constituée d’un ensemble de traités internationaux, ratifiés par les États sous l’égide des Nations Unies ou d’organes régionaux tels que l’Union Africaine, l’Organisation des États Américains ou le Conseil de l’Europe. Depuis l’adoption du Pacte international relatif aux droits civils et politiques en 1966, le recours à la peine de mort est considéré comme une question relevant des normes impératives du droit international général (Jus Cogens) relatives aux droits de l’homme, question qui doit être surveillée et contrôlée, et l’abolition est considérée comme une décision à encourager à court terme, et à mettre en oeuvre dès que possible, (Article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques). En 1982, le Comité des Droits de l’Homme qui suit et interprète le Pacte international relatif aux droits civils et politiques a indiqué que « S’il ressort des paragraphes 2 à 6 de l’article 6 dudit pacte, que les États parties ne sont pas tenus d’abolir totalement la peine capitale, ils doivent en limiter l’application et, en particulier, l’abolir pour tout ce qui n’entre pas dans la catégorie des ‘’crimes les plus graves’’. Ils devraient donc envisager de revoir leur législation pénale en tenant compte de cette obligation. D’une manière générale, l’abolition est évoquée dans cet article en des termes qui suggèrent sans ambiguïté (paragraphes 2 et 6) que l’abolition est souhaitable » ; (Commentaire général n° 6 : Le droit à la vie [art. 6] ; 30 avril 1982). La peine de mort est aussi implicitement condamnée dans la Déclaration universelle des Droits de l’Homme du 10 décembre 1948, laquelle lui oppose le droit à la vie comme un droit inaliénable ; l’ONU prend de ce fait, clairement position contre la peine capitale dans le deuxième protocole facultatif du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1977. L’article premier énonce ainsi : « 1. Aucune personne relevant de la juridiction d’un État partie au présent protocole ne sera exécutée. 2. Chaque État partie prendra toutes les mesures voulues pour abolir la peine de mort dans le ressort de sa juridiction. ». A préciser que la Tunisie a signé et ratifié ce texte le 29 juin 2011. Au niveau européen, le protocole n° 13 de la Convention européenne des Droits de l’Homme interdit la peine capitale.

Quand on appréhende une personne et qu’on la met, manu militari, dans le couloir de la mort, qu’elle y reste longtemps avant son procès, sans que ne soient tranchées son innocence ou sa culpabilité, cette affaire prend une dimension autre qui va bien au-delà de la mort d’une victime assassinée. Elle devient un test pour savoir si nous sommes gouvernés par la peur et par la colère ou par un Etat de droit, fondé sur une justice pour tous. Si tout le monde doit vivre dans la peur que la même chose puisse leur arriver, si l’on se borne à accepter un système qui traite mieux ceux qui sont riches même coupables que les pauvres même innocents, alors on ne peut pas prétendre être juste. Si nous prétendons être pour une justice égale pour tous devant la loi, qui protège le droit de chaque citoyen, quelle que soit sa fortune, sa race ou son statut social, alors il faut mettre un terme au cauchemar que peuvent vivre de nombreux innocents condamnés injustement ou même de coupables qui attendent dans un lieu lugubre leur exécution. Si on ignorait la vérité en échange de solutions faciles, et cela n’est pas la loi, n’est pas la justice, ce n’est pas bien ! les habitant de toutes communautés n’ont besoin que de s’endormir la nuit en sachant que si quelqu’un commet un crime terrible, ce quelqu’un sera puni par la loi. Je suis sorti de la Faculté de droit, comme bien d’autres avant et après moi, avec la tête pleine de grandes idées sur les façons de changer le monde. Mais j’ai peu à peu compris qu’on ne peut pas changer le monde avec seulement des idées plein la tête. Il nous faut aussi de la conviction dans le coeur et de la détermination dans les actes. Il faut apprendre à garder espoir, espoir dans l’Homme, espoir dans la société, espoir dans l’Etat. Je sais maintenant que le désespoir et la colère sont les ennemis de la justice. L’espoir nous permet d’aller de l’avant, même lorsque la vérité est déformée par les gens qui détiennent un pouvoir. Il nous permet de nous lever quand ils nous disent de nous asseoir, et de parler quand ils nous disent de nous taire. Nous valons tous beaucoup plus que le pire de nos actes, que le contraire de la pauvreté n’est pas la richesse, le contraire de la pauvreté c’est la justice. Ce qui caractérise les nations ce n’est pas la façon dont sont traités les riches et les privilégiés, mais comment nous traitons les pauvres, les défavorisés, et les condamnés. Notre système a enlevé a bien des personnes beaucoup plus que ce qu’il ne pourra jamais leur rendre. Mais je crois que si chacun d’entre nous écoute sa conscience et suit ce qu’elle dicte en son âme et conscience, nous pouvons faire de ce monde un monde meilleur. Si nous pouvions faire notre examen de conscience avec honnêteté, nous verrions alors que nous avons tous besoin de justice, tous besoin de compassion, et peut être aussi, tous besoin d’un peu de grâce, même si elle n’est pas méritée.

Les paroles les plus dures ou les plus démonisantes peuvent venir des procureurs et visent à déshumaniser les prévenus et à encourager le recours à la peine de mort. Dans certains cas, l’opinion de la communauté à propos du crime peut entraîner une justice populaire, ou une vengeance d’individus à l’égard du délinquant. Les media jouent en cela un rôle essentiel sur l’opinion publique et les débats sur la peine de mort. L’utilisation de paroles pour diaboliser le suspect/le criminel ou le crime et de reportages sensationnels ou intrusifs peut susciter ou attiser l’hostilité publique, tout comme le fait de montrer le couloir de la mort et des exécutions dans des media populistes.

Le dilemme auquel le système de condamnation à mort est confronté concerne la complexité des cas, l’impréparation des personnels de justice et la lenteur du processus judiciaire qui impose une durée de détention relativement longue avant l'exécution. Quelle que soit cette durée, une grande incertitude entoure toujours les derniers jours et les dernières heures. La plupart de ces affaires contiennent, en effet, très souvent, des erreurs de droit qui pourraient justifier des changements de sentence, une peine de substitution, la prison à vie ou un nouveau procès. Cela est indéniablement dû à la nature du système, à la gravité de la sanction, au fait que la justice ne soit pas à l’abri d’une erreur d’appréciation. Aussi, pouvoir présenter ses arguments devant une autre Cour, un Tribunal autrement composé, est fondamental dans le respect des droits de la défense, car il nous éloigne de l’arbitraire. Mais cela signifie aussi que les condamnés à mort sont maintenus, durant cette période, dans les conditions de détention drastiques et concentrationnaires des couloirs de la mort.

Il demeure que l’opinion publique reste favorable à la peine de mort pour les crimes qualifiés arbitrairement des plus odieux, en particulier ceux commis avec la circonstance aggravante d’actes de barbarie comme pour le cas de Rahma. Mais si l’opinion ne se pose pas la question de la « moralité » de la peine capitale, argument qui peut après tout être défendable, elle ne s’interroge pas moins sur son efficacité à protéger les citoyens. Or bien des avis sont partagés sur le sujet, au moment où la peine de mort pour les condamnés à des actes terroristes massifs est entrée dans le débat. Le 6 janvier 2014, l'Assemblée Nationale Constituante adoptait le texte de l'article 22 de la Constitution tunisienne, dans le chapitre 2 consacré aux droits et libertés. Cet article dispose que "le droit à la vie est sacré’’ et qu'il ne pourra y être porté atteinte que dans des cas extrêmes définis par la loi. Sur le plan du droit, la Constitution tunisienne de 2014 laisse ouverte la rétention de la peine capitale, en autorisant à déroger au droit à la vie, dont elle garantit pourtant la sacralité, dans les cas dits « extrêmes ». Le 24 juillet 2015, le parlement tunisien adoptait le projet de loi sur la lutte contre le terrorisme et le blanchiment d'argent prévoyant la peine de mort. Ainsi, le moratoire respecté par la Tunisie n’empêche-t-il pas les tribunaux de continuer de prononcer des condamnations à mort, à une fréquence qui ne cesse de croitre, pour des crimes de moins en moins extrêmes (selon une appréciation raisonnable). La fréquence élevée des condamnations et les manquements observés au droit à la vie en Tunisie qui s’ensuivent, ont récemment abouti à une double condamnation à mort pour un seul accusé. Avec la réforme de la législation anti-terroriste, créant de nouveau crimes passibles de la peine capitale, ce sont désormais 54 dispositions législatives qui énoncent l’application de la peine de mort, bien que certaines dérogent à la définition des crimes « les plus graves » tels qu’ils sont définis par le droit international. La fonction du droit pénal est de punir, mais aussi de préparer la réinsertion des condamnés une fois purgées leurs peines et acquittées leurs dettes envers la société. La peine de mort quant à elle, ne punit jamais réellement à la hauteur du crime. La sanction est définitive et ôte tout espoir de rédemption et de réinsertion. Elle participe de la vengeance sociétale pour offrir au peuple la pinte de sang qu’il réclame chaque fois qu’il est en émoi. Ses partisans eugénistes, croient qu’il existe des individus inamendables, génétiquement programmés pour le crime en quelque sorte, sans que la détention puisse les amener à changer. Sachant que cela ne peut être scientifiquement prouvé, nous croyons savoir par contre qu’une peine, pour être juste, ne peut exclure tout espoir pour un condamné d’entrevoir une libération. Cette mise à mort organisée correspond peut-être à une certaine idée de justice, une sorte de réparation pour les victimes ; mais elle est aussi l’anéantissement de cet espoir, aussi lointain soit-il, aussi conditionné soit-il par un parcours personnel de retour sur soi-même, que ne fait pas celui en cause. La peine de mort a aussi un caractère irrévocable, qui empêche de faire machine arrière en cas d’erreur judiciaire ; elle interdit toute réhabilitation, toute idée de pardon et de deuxième chance.

En appelant à ce que l’Etat use des moyens préjudiciables de la violence, de l’échafaud et de la loi du talion, pour gouverner, le Président de la République a achevé de définir l’essence de sa pensée, orientée vers un populisme authentiquement complexé, qui peut conduire à des extrémités non souhaitables. Mais si l’homme qui se réclame trop souvent d’Omar Ibn Al-Khattâb, compagnon du Prophète réputé pour sa politique d’équité, rêve de la Cité idéale, s’il est applaudi par les milliers de ‘’likes’’ sur Facebook, si son leitmotiv simpliste de « l’application de la loi » peut paraître comme une lapalissade, celle-ci peut conduire à l’établissement d’un ordre moral fantasmé au-delà de toute raison. Sur le plan géopolitique, cela peut conduire, lorsque l’on n’a pas les moyens de sa politique, au renfermement sur soi, aux records d’exécutions en place publique, et in fine à un projet de dictature vertueuse à la Robespierre. Mais la neutralité de l’État est une composante essentielle de la Démocratie et un rempart contre cette dérive. Elle doit assurer la liberté de conscience et de religion et garantir que l’État n’impose aucune option politique, philosophique, civile ou religieuse à ses citoyens, et qu’il les traite de manière égale, même dans des situations extrêmes. Il ne faut pas faire l’erreur de remplacer une vision de l’État par un autre dogme philosophique. Les conséquences de cette position affirmée sont graves, car une telle attitude imposerait au sommet de l’Etat une vision manichéenne de la citoyenneté en deux classes de citoyens. On pourrait arriver à une situation qui discriminerait les gens selon leurs choix moraux, philosophiques et politiques. Finalement, tout traitement étatique à géométrie variable pourrait priver le citoyen de son autonomie morale et va à l’encontre des valeurs de la démocratie et de l’Etat de droit. Dans une société pluraliste comme la nôtre, les défis d’intégration ne seront pas réglés avec des solutions simplistes. Notre défi collectif est donc de trouver un équilibre qui nous permette de rester fidèles à notre patrimoine et à nos valeurs communes tout en respectant la diversité de notre société. Toute décision de l’Etat, toute prise de position doit viser à bâtir une passerelle entre l’histoire et sa réalité contemporaine.

Il serait absurde de ne pas aller plus loin, au-delà de nous-mêmes, vers le progrès de la culture et de la civilisation. Nous pouvons être égarés, aux pieds des contreforts du doute et de l’incertain, là où les pistes des certitudes s’estompent et s’arrêtent. Jusqu’à ce qu’une voix, terrible comme la conscience, annonce l’heure d’interminables changements. Un murmure sans fin qui, jours et nuits, nous répète qu’une chose est cachée et qu’il nous faut la trouver. Nous devons aller de l’avant et regarder au-delà des montagnes de l’ignorance, tenter de redécouvrir une chose perdue au-delà des hauteurs, perdue et qui n’attend que nous. Allons ! apprenons constamment à rêver, à chercher l’inconnu, à voir car la beauté est en elle-même une récompense. Notre destin est qu’il nous faut vouloir saisir plus que nous ne pouvons étreindre.

Monji  Ben Raies
Universitaire, Juriste internationaliste,
Enseignant et chercheur en droit public et sciences politiques, Université de Tunis El Manar, Faculté de Droit et des Sciences politiques de Tunis.

 

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