News - 13.07.2020

15 juillet 1960 : Il y a 60 ans, les Premiers Casques Bleus Tunisiens au service de la Paix au Congo (1°partie / 4)

15 juillet 1960 : Il y a soixante ans, les premiers  Casques Bleus Tunisiens de l’Histoire……au service de la paix !!  ( 1°partie / 4 )

Par le Colonel (r) Boubaker Benkraiem - Le Congo-ex Belge est situé au centre de l’Afrique. C’est l’un des pays africains les plus vastes. Traversé d’est en ouest par l’immense fleuve qui lui a donné son nom, grand comme dix- huit fois notre pays, le Congo est extraordinairement riche par son sol, ses terres, ses forêts, et surtout par ses ressources minières: en effet, cuivre, cobalt, uranium et diamant entre autres ont fait que ce pays intéressait et intéresse toutes les grandes puissances tant occidentales que de l’ex-bloc de l’Est. Celles-ci et celles-là se sont tellement impliquées dans les affaires de ce pays que les luttes intestines pour le pouvoir ont duré près d’un demi-siècle, c’est-à-dire depuis le premier mois de son indépendance (juin1960).

Propriété du roi des belges Léopold II depuis 1876, c’est suite aux pressions extérieures, en particulier celles de la Grande Bretagne, que la Belgique assuma la responsabilité formelle de cette colonie depuis 1908. Mais rien n’a été fait pour l’émancipation des habitants de ce pays dont la population, du fait du manque derecensement viable et sérieux, était estimée à près de15 Millions en 1960 et de 96 millions aujourd’hui. D’ailleurs le sentiment de la nationalité était absent, ce qui n’avait rien de surprenant, car la population appartient à plus de deux cents tribus différentes.

Le colonisateur n’a rien fait pour développer le pays et naturellement le niveau de la population a été à l’image de son élite qui était, en fait, inexistante.

Très peu de congolais ont donné à leurs enfants une instruction, généralement en dehors de leurs frontières et la majorité de la population était illettrée. Non seulement l’éducation ou la formation culturelle n’a jamais été le souci du colonisateur, mais encore celui-ci a encouragé le tribalisme, ce fléau et ce clivage destructeurs. Ceux-ci ont fait perdre à ce merveilleux peuple congolais, une bonne partie de sa jeunesse sacrifiée, bêtement et inutilement, dans les guerres tribales entre les différentes ethnies qui composent ce pays et qui duraient parfois des années, avant de reprendre, du fait de l’esprit de vengeance, une décennie plus tard.

Cependant vers les années 1920, et dans les grandes villes du pays quelques groupes parmi les alphabétisés commençaient à s’unir. Cette élite naissante ne défiait pas ouvertement le système colonial et leurs doléances étaient essentiellement centrées sur le traitement inégal dont les Congolais éduqués étaient victimes.

Le pays connut des crises sérieuses suite à une mutinerie de la force publique (les forces de sécurité intérieure) à Luluabourg en1944, à des émeutes à Matadi en1945 et rien n’a été fait par le colonisateur belge pour préparer et roder une classe dirigeante congolaise à l’exercice d’un pouvoir effectif, ne serait-ce que local.

La population urbaine doubla en quelques années, et en1956, 22% des habitants vivaient dans les centres urbains. Cette situation bouleversera toutes les données. La scolarisation connut également une expansion très rapide à partir de 1949 et le taux de scolarité qui était de 12% en 1940 atteignit 37% en 1954. L’enseignement supérieur était inexistant et le secondaire, pour les Congolais, commençait à s’organiser en 1956 mais le déchet scolaire était énorme : un élève sur douze terminait le cycle primaire et parmi eux, un sur six seulement accédait au secondaire.

Alors qu’en Belgique, un débat public sur l’évolution politique proposait un plan d’émancipation du Congo en trente ans, ce plan fit au Congo et surtout dans le milieu urbain de Léopoldville, office de détonateur ou de catalyseur.

D’ailleurs, un manifeste fut aussitôt publié à Léopoldville. Il prônait l’indépendance du Congo tout en rejetant comme abusif le terme de trente ans. Cette idée s’accélérera, en 1959, après les émeutes sanglantes de Léopoldville où il y a eu 49 morts et 290 blessés.

Le 13 janvier 1959, un message du Roi des belges reconnut le droit des congolais à l’indépendance. Il demanda que cela soit fait sans précipitation inconsidérée. Le gouvernement belge appela, en novembre 1959, les leaders politiques congolais à une table ronde belgo-congolaise. Celle-ci eut lieu à Bruxelles en janvier 1960.

C’est d’ailleurs à cette conférence que fut décidée la date de l’indépendance, soit le 30 juin 1960. Bien que la Belgique ait souhaité une période transitoire dans laquelle elle maintiendrait, pour un certain temps, les postes-clés de la Défense nationale, des Affaires étrangères et de la monnaie, le Front congolais en décida autrement: l’indépendance ne devait souffrir d’aucune limitation et devait être complète et totale. Mais ce Front se disloqua dans la suite du débat sur les institutions à créer et le compromis trouvé était très mince.

Au parlement, nombreuses furent les demandes et tentatives de démembrement du système provincial : Les Balubas d’un côté, les Luluas de l’autre, exigeaient leur province propre et une tentative de sécession du Katanga, préparée par des colons et des membres du parti Conakat, a été déjouée de justesse par les services belges avant même le jour J du 30 juin 1960.

Le Congo, malheureusement, ne devait jamais connaître de transition graduelle et pacifique au cours de laquelle un programme de formation accélérée eût pu préparer une élite d’administrateurs civils, capables de prendre en main les destinées de leur pays.

Un tel délai eût été inappréciable parce que ce pays, divisé en six provinces, dépendait entièrement pour son administration, sa sécurité intérieure et sa prospérité économique de la compétence technique et de l’expérience des Belges. Ceux-ci avaient tenu à conserver tout le pouvoir entre leurs mains, mais la roue était sur le point d’accomplir un tour complet. Ils possédaient ou contrôlaient toutes les richesses minérales.

Les élections donnèrent une position forte aux partis dits «extrémistes» et spécialement au M.N.C. de Patrice Lumumba et à ses alliés directs.

Les partisans des candidats à la présidentielle de toutes les tendances et de la plupart des partis politiques qui ont proliféré très rapidement ont perturbé l’ordre public; des formes de violence et des sévices contre les Européens ont justifié l’intervention militaire belge au Katanga et au Kassaï et tout cela déclencha une catastrophique escalade des événements:

1- proclamation de la sécession du Katanga par Moïse Tshombé,

2- rupture des relations entre la Belgique et les autorités centrales congolaises,

3- et menaces sérieuses d’intervention étrangère et risques pour la paix internationale.

La nouvelle République avec Joseph Kasavubu comme président et Patrice Lumumba comme premier ministre, connut très vite des troubles. En moins de quarante-huit heures, des émeutes tribales se produisirent dans la capitale et en divers endroits du pays. La «Force Publique», comptant vingt-cinq mille hommes, se mutina en de nombreux points, chassa ses officiers blancs, se mit à piller et à détruire les propriétés européennes. Elle maltraita ou tua beaucoup des cent mille belges qui étaient restés pour assurer l’administration ou s’occuper de leurs affaires. Devant cette situation catastrophique, la Belgique envoya malgré l’opposition du gouvernement congolais, des parachutistes et d’autres unités d’élite qui rétablirent la situation en certains des points les plus chauds et protégèrent l’exode d’une masse de civils terrifiés. En peu de temps, il y eut dix mille soldats belges dans le pays, la Force Publique cessa virtuellement d’exister et Moïse Tshombé, président de la riche province du Katanga, proclama l’indépendance de celle-ci.

Le Katanga fournissant la moitié des revenus du Congo, cette sécession constituait une véritable catastrophe. Le gouvernement central ne pouvait faire grand-chose pour forcer Tshombé à revenir dans le giron national. D’ailleurs, le 11 juillet 1960, Lumumba demanda à Mr Ralph Bunche, représentant de Mr Dag Hammarjshoeld, Secrétaire Général des Nations Unies, l’aide des Nations Unies pour rétablir l’ordre dans l’Armée Nationale Congolaise (A.N.C.), nouveau nom donné à la Force Publique, soulignant l’incapacité de l’ANC, commandée par l’ex adjudant Lundula, promu Général, à ramener l’ordre à Léopoldville et encore moins dans le reste du pays.

C’est pourquoi le Secrétaire général des Nations Unies, Mr Dag Hammarskjoeld, en accord avec le Conseil de Sécurité, répondit favorablement et décida une action de grande envergure des casques bleus. Une demande urgente a été faite à plusieurs pays, neutres et non-alignés, pour l’envoi de troupes au Congo, dont la Tunisie.

Le représentant de la Tunisie aux Nations Unies feu Mongi Slim, compagnon de lutte de Bourguiba et très fin politique, candidat à la présidence de la 16° session de l’Assemblée générale des Nations Unies et qui la présidera deux mois plus tard, se fit un point d’honneur pour que le contingent tunisien soit le premier à fouler le sol congolais.

Le gouvernement tunisien donna son feu vert à la participation de l’armée tunisienne dans cette mission de maintien de la Paix au Congo. C’est alors qu’une course contre la montre s’engagea pour l’Etat-major tunisien. Celui-ci doit, en quelques jours, former, en agissant par prélèvement sur les Unités existantes et par voie de volontariat, deux bataillons d’infanterie qui prirent l’appellation de 9° et 10° bataillon. L’Etat-major fonctionna sans discontinuer, jour et nuit: il fallait, en très peu de temps, créer, organiser, équiper, armer, et préparer deux mille cinq cents hommes à partir sur * un théâtre d’opérations * se trouvant à plusieurs milliers de kilomètres de notre pays.

Les volontaires affluèrent de partout. Les Unités implantées sur la frontière ont été très peu mises à contribution et pour cause. Quant à nous, jeunes officiers, de vingt-deux à vingt-huit ans d’âge, forts de notre petite expérience des frontières, légèrement aguerris, portés par le goût du risque et de l’aventure, animés par l’esprit de curiosité et de découverte, nous étions tous volontaires pour encadrer les unités partantes. Nonobstant les dangers d’une mission nouvelle que nous allons accomplir pour la première fois de notre carrière, nous voulions surtout découvrir cette belle et mystérieuse partie de notre continent africain.

En effet, le 15 Juillet 1960, les premiers soldats du fameux contingent tunisien commandé par le Colonel Lasmar Bouzaiane partaient pour Léopoldville pour vivre une belle épopée qui durera près de trois ans, avec un intermède de six mois causé par la guerre de Bizerte. La Brigade était composée de deux bataillons d’infanterie et de quelques services de soutien dont une compagnie de clique et de musique qui aura beaucoup de succès. La particularité de  cette Grande Unité était que plus de quatre-vingt-dix pour cent de son encadrement en officiers subalternes étaient des Lieutenants de la 1° Promotion, c’est-à-dire de la Promotion Bourguiba. C’était la raison pour laquelle notre Brigade était surnommée «la Brigade des Lieutenants» puisque cinquante et un camarades de promotion s’étaient trouvés réunis ensemble pour remplir cette grande et belle mission humanitaire et sécuritaire.

Notre pari, celui d’être les premiers casques bleus à fouler la Terre congolaise a été tenu et un gigantesque pont aérien, composé essentiellement de *Globemaster * américains a permis le transport de tout le contingent en quelques jours. Commencèrent aussitôt la perception des tenues de combat, des bérets bleus, des véhicules et l’implantation des Unités.

Le 15 juillet 1960, la radio annonça que le Lt Général suédois Carl Von Horn, le Chef d’Etat-major de l’Organisation chargée de la surveillance de la trêve en Palestine (U.N.T.S.O) depuis 1958, était désigné pour commander les Forces des Nations Unies au Congo. Ces forces étaient destinées à être les plus polyglottes de l’Histoire, avec la participation de vingt-neuf pays, beaucoup plus que celles qui avaient servi en Corée.

Les forces  des  Nations-Unies  qui  se  rassemblaient  à Léopoldville avaient quatre missions principales:

1- remplacer rapidement les unités belges qui maintenaient l’ordre,

2- prendre la place des troupes incertaines de l’A.N.C., réprimer leurs activités indésirables et, par la suite, essayer d’en faire une force sûre,

3- établir la liberté de mouvement des forces de l’ONU dans tout le pays,

4- se tenir prêts à empêcher toute intervention unilatérale de  l’extérieur.

Le commandement de l’ONUC, soucieux de constituer de grandes unités capables d’assumer d’importantes missions dans les très vastes provinces du Congo, forma avec les contingents ghanéens et tunisiens, arrivés presque en même temps, une brigade commandée par le Chef du contingent ghanéen, le Général Alexander, anglais de surcroît. Cette situation déplaisait au Commandant du contingent tunisien, le Colonel Lasmar Bouzaiane. Le Commandant en chef, le Général suédois Carl Von Horn, grâce à son expérience et à ses capacités d’appréciation, se rendit rapidement compte de cette situation. Il lui trouva rapidement la solution adéquate. D’ailleurs, dans son livre *Soldat de la Paix*, il en parle en ces termes :
« A Léopoldville, j’avais l’excellente brigade ghanéenne, commandée par le Général Joe Michel en l’absence d’Alexander. Pendant un certain temps, les deux bataillons tunisiens lui furent subordonnés, mais il y eut des frictions parce que leur chef, le Colonel Lasmar, très décoré, supérieur en tout sauf par le grade, en fut mécontent. Ultérieurement, nous les envoyâmes au Kassai, alors en ébullition dont le premier ministre, Albert Kalondji, était sur le point de proclamer l’indépendance. Le Colonel Lasmar, qui ne portait jamais une de ses nombreuses décorations, pas même un ruban, mais dont on apercevait les cicatrices sur le col ouvert de sa chemise, conduisit ses troupes à Luluabourg, désarma l’ANC et, par ses méthodes fermes mais justes, mérita le titre de *Prince du Kassai*. J’étais très fier de lui et il devint l’un des officiers en qui j’avais le plus confiance. »

Le mouvement de la Brigade tunisienne qui avait commencé vers la fin du mois de juillet s’était terminé une semaine plus tard.

En effet, la situation dans cette province n’était pas brillante: d’un côté, des massacres entre les tribus Balubas et Luluas, les deux plus importantes des quatre tribus qui composent cette province, étaient signalés et les pertes humaines, de part et d’autre, se comptaient par centaines; de l’autre, l’ANC, très mal ou pas du tout commandée et dont l’instruction laissait beaucoup à désirer, et grâce à l’armement qui lui a été restitué, à contrecœur, après avoir été entreposé chez les contingents onusiens qui l’ont soigneusement gardé, semait la terreur en effectuant des actes de banditisme et de règlement de compte. Même les troupes organisées, ne possédant pas d’intendance, vivaient du pillage; elles incendiaient les villages dont les habitants fuyaient dans la brousse.

Les deux autres tribus, moins importantes en nombre de population, étaient les *Batshok et les Botendé*.

La mission reçue par la Brigade tunisienne qui était «d’assurer le maintien de la sécurité et de l’ordre public dans la province» devait, suivant l’Instruction n°6 du 28 octobre 1960, du Commandant Suprême des Forces des Nations Unies au Congo, tenir compte des instructions et des consignes reçues.

La Brigade Tunisienne, arrivée à Luluabourg, capitale du Kassai, a aussitôt commencé son déploiement dans la province.
Chacun des bataillons qui la composaient a reçu son secteur de responsabilité. Leurs unités ont été implantées dans les principales villes de la région, essentiellement dans les zones où les animosités entre les deux plus importantes tribus (Luluas et Balubas) étaient à fleur de peau et risquaient de mettre en danger la vie de la population.

Le Poste de Commandement de la Brigade et les unités de commandement, de soutien et d’appui ont été installés à Luluabourg avec une compagnie à l’aéroport. Cet aérodrome était pour nous le point le plus sensible puisqu’il représentait pour la Force de l’ONU le seul moyen de liaison avec Léopoldville d’où nous arrive notre soutien logistique ainsi que pour les liaisons et communications aériennes avec le Congo ou avec l’extérieur.

Les villes tenues par nos unités étaient comme suit : Luluabourg, Port Franqui, Mweka, Lac Makamba, Tsikapa, Bakwanga (siège de la fameuse société de diamants *la Forminière*), Gandajika, Luputa et Mwene Ditu.

Les luttes intestines quasi permanentes entre ces tribus étaient créées, entretenues et encouragées depuis toujours par les colons Belges qui appliquaient bien l’adage de * diviser pour régner *.Cette situation qui durait depuis des décennies, même si, à chaque fois, l’intervention des sages des deux partis y mettait fin, reprenait de plus belle, sous n’importe quel prétexte, aussi futile soit-il. Leurs attaques utilisaient des armes primitives tels que des coupecoupes, des manchettes, des flèches empoisonnées, des armes archaïques et artisanales qui non seulement occasionnaient des pertes sérieuses mais encore renforçaient cet esprit de vengeance entre les frères ennemis. Notre mission était encore plus difficile car elle consistait à pacifier la province en faisant prendre conscience à une population illettrée et qui avait hérité, de ses ancêtres, cette haine et cet esprit de vengeance intarissables………

A suivre

Colonel (r) Boubaker Benkraiem

Ancien Sous-Chef d’Etat- Major de l’Armée de Terre,
Ancien Gouverneur,
Ancien Casque Bleu au Congo et au Katanga.


 

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