News - 01.07.2020

Personne ne peut prétendre détenir la solution militaire ou politique pour apaiser la Libye

Personne ne peut prétendre détenir la solution militaire ou politique pour apaiser la Libye

Par Monji Ben Raies - L’approche médiatique et journalistique de la question de la Libye, est une approche insuffisante, superficielle et qui n’explique rien. Elle ne permet que de décrire une situation, sans en montrer les origines ; mais surtout, elle interdit toute prise de décision en vue d’une résolution du problème actuel libyen. En effet, la crise libyenne se situe dans un continuum historique qui a démarré il y a 2000 ans et qui a dicté ses lois ayant présidé à l’organisation sociale du pays. Si l’on ne prend pas cela en considération, on ne peut comprendre les dégâts qui ont été commis par l’intervention franco-italienne de 2011 ; et l’on ne peut pas comprendre pourquoi toute tentative actuelle de la communauté internationale est vouée à l’échec. Parce que ces initiatives ne prennent pas en considération les véritables forces, ni les constantes réelles de l’histoire qui sont là et qui sont totalement déterminantes pour ne pas dire prééminentes. La Libye est aujourd’hui le théâtre d’une véritable bataille diplomatique entre la France et l’Italie, un véritable bras de fer géopolitique entre Paris et Rome qui se déroule de l’autre côté de la Méditerranée. La destruction de l’appareil étatique libyen a entraîné une déstabilisation de son environnement régional tout en livrant le pays aux différentes factions politiques armées revendiquant chacune leur prétention à l’exercice du pouvoir.

La Libye est un Etat récent dont le territoire a fait partie de l’empire Ottoman durant quatre (4) siècles. En 1912, la Libye devient une colonie italienne. En 1934, trois régions historiquement différentes sont réunies, la Tripolitaine au Nord-Ouest, qui a toujours été rattachée à l’aire d’influence du Maghreb ; la Cyrénaïque à l’Est, fut, à partir de la conquête arabe du 7ème siècle, dans la mouvance de l’Egypte et du Machrek ; et enfin, la région du Fezzan, au Sud-Ouest à la jonction avec l’Afrique sub-saharienne. En 1951, la Libye devient la première colonie d’Afrique à accéder à l’indépendance, sous une forme monarchique. Benghazi devient la capitale du royaume d’Idriss Premier. La Libye était alors un pays pauvre d’un million et demi d’habitants ; et ce n’est qu’après la découverte des premiers gisements de pétrole en 1958 – 1959 que la Libye accèdera à une indépendance économique.

1969 marquera un tournant historique pour le pays. A tripoli, un coup d’Etat militaire porte au pouvoir Mouammar Kadhafi qui met fin à la monarchie et instaure la ‘’Jamhiryia’’ Arabe Libyenne, une République arabe et socialiste, sur le modèle de l’Egypte de Nasser. Kadhafi se veut alors le champion de l’unité arabe et de l’anti-impérialisme. Grâce à ses revenus pétroliers, il finance nombre de mouvements indépendantistes et anti-impérialistes (le mouvement palestinien, le mouvement indépendantiste basque, ETA, et le mouvement indépendantiste de l’Irlande, l’IRA), ainsi que des organisations et des attentats terroristes, comme l’attentat du vol de la Panam, au-dessus de la ville de Lockerbie en Ecosse en 1988. Cette radicalisation va isoler la Libye sur la scène internationale et la ranger parmi les Etats dits ‘’Voyous’’ de la planète. En 1992, l’ONU décide un embargo aérien et militaire sur la Libye. Puis surviennent les printemps arabes qui vont faire ressurgir les divisions d’un pays qui ne tenait en réalité que par le pouvoir du Colonel Kadhafi. Des manifestations contre le régime libyen vont débuter le 15 février 2011 à Benghazi, capitale de la Cyrénaïque. Vont s’enchaîner des journées de colère et des mouvements de protestation organisés dans plusieurs villes, réclamant le départ de Kadhafi.

Un Conseil National de Transition est alors créé, reconnu dès lors par de nombreux Etats comme le représentant légitime du peuple libyen. Rapidement, la Cyrénaïque insurgée échappe au contrôle de Kadhafi, tandis que les manifestations sont plus modérées en Tripolitaine. Kadhafi lance alors la grande contre-offensive en Cyrénaïque, laquelle va conduire à la guerre civile. Il s’agit d’un embrasement qui pousse la France, l’Italie et le Royaume Uni à intervenir, avec l’aval de l’ONU, pour apporter leur soutien aux insurgés. Cette coalition dirigée par les USA, organise des bombardements aériens, à partir du 19 mars 2011, dans le but d’imposer une zone d’exclusion aérienne et de faire respecter l’embargo sur les armes et protéger les populations civiles. Le 31 mars 2011, l’OTAN prend en charge la totalité du commandement militaire de l’opération, permettant la consolidation de la rébellion en Cyrénaïque, puis à l’automne 2011, la prise de contrôle de la majeure partie du territoire par le Conseil National de Transition. Se pose alors la question de la non-ingérence puisque le 20 octobre 2011, Kadhafi est tué à Syrte par les insurgés, suite au bombardement de son convoi par l’OTAN.

La Libye n’a jamais existé par le passé en tant que telle. Cette région a toujours constitué un monde dans lequel des tentatives de création d’entités unitaires se sont heurtées aux réalités de divisions tribales et/ou zonales qui empêchaient toute intégration. Il n’y eut qu’un seul moment dans l’histoire de la Libye où le pays fut à peu près uni ; ce fût sous l’autorité et la poigne du Colonel Kadhafi. L’intelligence a été de fonder son pouvoir sur la réalité tribale. La Libye compte environ 120 à 130 tribus, pour partie en Cyrénaïque et pour partie en tripolitaine ; tout en considérant que les tribus du Fezzan sont minoritaires dans le jeu politique de la Libye, entre-autre les Touaregs. Mouammar Kadhafi s’était placé à la conjonction des deux grandes alliances tribales, au centre de convergence de l’alliance tribale Est, Cyrénaïque et de celle Ouest, Tripolitaine, les Kadhafas, à laquelle il appartenait. En épousant une princesse, Safia Al-Baraâssa, issue d’une des grandes tribus de Cyrénaïque, les Baraâssas, il a, par cette union matrimoniale, rassemblé l’alliance tribale de Cyrénaïque et celle de Tripolitaine. Ce fût le seul moment où la Libye fût à peu près unie.

L’intervention franco-italienne de 2011 n’a pas pris ces données sociologiques en compte parce que les Français comme les Italiens ignoraient cela. Ils ont monté une intervention au nom de la démocratie et des droits de l’Homme, et autres considérations modernistes, inadaptées à la réalité Nord-Africaine et même Africaine en général. Cette intervention a cassé, plus que ne l’a fait le régime Kadhafi, l’engrenage qui permettait de faire tourner ensemble ces deux grands ensembles tribaux.

La France a clairement manqué sa stratégie dans la mise en place d’un gouvernement national de transition à partir de 2012. Aujourd’hui, nous avons une situation de guerre de tous contre tous ; avec une évolution en Cyrénaïque, où un pouvoir relativement fort se met en place, le pouvoir du Maréchal Haftar. Ce dernier est à la tête de la seule véritable force militaire libyenne ; il est soutenu par l’alliance tribale de Cyrénaïque, par l’Egypte, par les Emirats Arabes Unis, et il ne lui manquait qu’une reconnaissance internationale, dont celle européenne qu’il a fini par obtenir. La visite de Haftar en Russie lui a donné une assise internationale et un allié sérieux, car la Russie, contrairement aux occidentaux, est fidèle à ses alliances et n’abandonne pas ses alliés, comme pourraient le faire la France ou les Etats Unis. En face, les pays occidentaux, agitant une idéologie mondialiste fondée sur les idées de démocratie et des droits de l’Homme, idéologie qu’ils veulent universalistes et qui est portée par l’ONU, l’OTAN et l’Union Européenne. Ces Etats veulent plaquer une construction européo-centrée sur la Tripolitaine avec un Gouvernement dit d’Union Nationale, qui n’est ni un gouvernement, ni d’union et ni national. Ce gouvernement n’a aucune représentativité du fait qu’il est fondé sur des constructions sociopolitiques importées et qui donc ne correspondent pas aux réalités de terrain faites sur le mode tribal, comme principale réalité à prendre en compte. Tout ceci fait qu’un pouvoir fort se reconstitue en Cyrénaïque, qui entre dans une phase d’ordre et une anarchie de plus en plus prononcée en Tripolitaine, qui est en ‘’dégérance’’. La balance entre le monde en perdition tripolitain et le monde en construction Cyrénaïque n'est certes pas stabilisée, car son équilibre dépend des moyens dont disposeront les forces en présence, sur fond d’interventionnisme international, de la Turquie qui soutient la tripolitaine, du Qatar qui soutient les islamistes, de la France qui tergiverse. La situation des uns et des autres est donc relativement floue.

Pour sa part, la Tunisie hésite à prendre position, sous couvert de neutralité. Mais en fait, Il n’y a plus de politique étrangère tunisienne depuis 2011. Il n’y a que des tâtonnements et des hésitations pour définir une ligne de conduite claire et pour tenter, tant bien que mal de préserver ce qui a été acquis avec force maladresses. Mais cette politique étrangère doit être redéfinie complètement, en faisant preuve d’autonomie, de discernement et en se débarrassant des influences de ceux, mal intentionnés, qui murmurent à nos oreilles. Nous avons regardé passivement l’occident, et notamment la France sous la présidence Sarkozy, détruire la Libye, à la suite d’évènements totalement insolites, avec le résultat que l’on connaît. Nous sommes là, dans une situation difficile à comprendre. Notre pays, comme la Libye, se placent au centre du grand défi du flux migratoire, le déversement des populations sub-sahariennes sur l’Europe. Ce phénomène va s’amplifier avec la démographie devenue folle en Afrique. L’Afrique du nord et notamment la Tunisie et la Libye vont devenir les interlocuteurs privilégiés de l’Europe dans cette lutte contre la marée migratoire à venir. Les pays d’Afrique du nord seront les premiers Etats impactés par ce phénomène. Il faudra par la force des choses une véritable politique méditerranéenne de partenariat nord/sud en la matière. Celle-ci passe par une solution adéquate du conflit civil libyen. Le parlement tunisien n’a pas résisté à l’internationalisation du débat interne à propos de la Libye et de notre ligne de conduite à adopter. L’Assemblée des représentants du peuple (ARP) s’est durement polarisée autour de la question libyenne, avec ses partisans de l’axe turco-qatari (pro Al-Sarraj) et les supporters de l’axe Russo-Emirats (pro Haftar), lors des débats à propos d’une résolution dénonçant toute intervention étrangère en Libye. La Turquie comme les Etats Unis essaient de briser la neutralité de la Tunisie et de la forcer à prendre parti avec force gesticulation. C’est dans ce registre que s’inscrit la très peu protocolaire visite du président Turc à Tunis en décembre 2019 dans le but de forcer la main de l’Etat tunisien. Le cynisme perceptible au sein des coalitions étrangères intervenant en Libye est dangereux pour la stabilité institutionnelle tunisienne dont le modèle, démocratique et pluraliste, est de moins en moins toléré par certains autoritarismes arabo-islamistes. Mais dans un contexte démocratique il est délicat de contrôler toutes les forces intérieures en présence. C’est sur ce tableau plein d’ambigüités que joue Ennahdha en prenant des initiatives et en s’aventurant sur le terrain des relations extérieures de l’Etat en prenant parti.

Durant 42 ans, le colonel Kadhafi a régné sans partage sur la Libye, incarnant à lui tout seul le pays, de 1969 à 2011. Les printemps arabes ont emporté le régime de Kadhafi au terme de 8 mois de guerre. La mort du guide libyen a fait retomber le pays dans l’oubli jusqu’à ce que le monde se réveille alerté par la déliquescence d’une Libye morcelée, minée par les milices islamistes dont Daech ; une Libye devenue aussi le point de passage entre l’Afrique sub-saharienne et l’Europe dans la crise des migrants.

La Libye, située en Afrique du Nord, en bordure de la mer Méditerranée, avec pour voisins, la Tunisie et l’Algérie à l’ouest, l’Egypte et le Soudan à l’est, le Niger et le Tchad au sud est le quatrième plus grand Etat du continent africain avec une superficie d’environ 1,8 millions de Km2. Le pays compte environ 7 millions d’habitants, arabes, musulmans sunnites. La population très structurée par des liens tribaux compte aussi d’importantes minorités, les Berbères dans le Djebel Nefoussa, les Toubous, à la frontière avec le Tchad et le Niger, les Touaregs, à la frontière avec l’Algérie et le Niger. S’y ajoute une main d’œuvre étrangère représentant 12% de la population libyenne, venue, depuis les années 1960, travailler dans le secteur pétrolier. La quasi-totalité de la population vit le long du littoral méditerranéen, car plus de 90% du territoire libyen est désertique, tout en étant riche en hydrocarbures. En Afrique, ce sont les premières réserves prouvées de pétrole et les quatrièmes de gaz. Ces réserves pétrolières sont concentrées à 70% dans le bassin de Syrte, notamment dans le champ de Dahra. Ces réserves sont évacuées par les quatre principaux terminaux pétroliers le long du golfe de Syrte, qui forme ce que l’on a appelé symboliquement « le Croissant pétrolier ». Le pétrole est la ressource principale du pays, sur laquelle s’appuie l’économie libyenne.

Après la chute du régime de Mouammar Kadhafi, les premières élections démocratiques depuis l’indépendance, se sont tenues en juillet 2012, mais blocages politiques et milices armées conduiront à l’effondrement de l’Etat libyen. Le pays renoue alors avec ses divisions territoriales, mais aussi avec des divisions entre islamistes et laïcs, entre les nouvelles et les anciennes élites, faisant capoter les tentatives d’accords politiques, comme celui de Skhirat (Maroc) en 2015.

Début 2018, d’un côté il y a la Tripolitaine, contrôlée en théorie par le Gouvernement d’Union Nationale du premier ministre Fayez El-Sarraj, gouvernement considéré comme légitime par le concert des Nations. C’est quelqu’un qui est tributaire, pour tenir ses positions, de tout un réseau de milices composées d’Islamistes plus ou moins modérés ; on y trouve aussi des milices puissantes de la ville de Misrata, cet ensemble constituant que l’on appelle le pouvoir de Tripoli. De l’autre, il y a la Cyrénaïque, contrôlée par le maréchal Khalifa Haftar, chef autoproclamé de l’armée nationale libyenne, à la tête d’une coalition qui réunit des anti-islamistes, des réseaux tribaux et des ex-cadres du régime ancien, ce que l’on appelle le pouvoir de Tobrouk. Le maréchal Haftar, revenu en Libye lors de la chute de Kadhafi s’est installé dans l’est, à Benghazi. Il conquiert la Cyrénaïque, contre les islamistes de l’Est, grande région de l’Est libyen. Haftar bénéficie d’une double allégeance étrangère. Il a été, à un moment de sa vie, un agent d’influence américain. Il est aussi allié à la Russie, dans l’armée de laquelle il a effectué un certain nombre de stages de formation. Le 4 avril 2019, il lance une offensive sur Tripoli, ayant la certitude d’arriver à conquérir tout le pouvoir sur l’ensemble du territoire libyen, grâce au soutien des grands voisins. Mais son calcul est faussé et au lieu d’une ‘’Blitzkrieg’’, l’offensive éclair dont il était persuadé, c’est un conflit armé en bonne et due forme qui s’est ouvert devant lui. A la fin 2019, il est toujours coincé aux portes de Tripoli, ne parvenant pas à prendre la capitale, les milices loyales à Al-Sarraj ayant réussi à contenir son avancée, à tel point qu’ils ont repris une position, un avant-poste, Garian à une soixantaine de kilomètres de Tripoli. Cela fut, pour le Maréchal Haftar, le début de revers cuisants. La reprise de contrôle de tout l'ouest libyen par les troupes du GNA (Gouvernement d’accord national) a scellé l’échec de l’offensive du maréchal Khalifa Haftar contre Tripoli et celui de la solution militaire au conflit en Libye. L'appui turc au Premier ministre Fayez al-Sarraj a rééquilibré les forces sur le terrain face à l'homme fort de l'est du pays, qui apparaît désormais très affaibli, d'autant plus que ses alliés égyptiens et russes semblent désormais privilégier la carte diplomatique. Les forces du GNA visent la ville côtière de Syrte (450 km à l'est de Tripoli), verrou stratégique vers le fief d’Haftar. Toute avancée des pro-GNA vers Syrte pourrait entraîner une intervention "directe" de l’Egypte. Syrte est devenu le point focal de ce conflit, puisque les forces du Maréchal Haftar se sont retirées du Nord-Ouest de la Libye. C’est aussi la ligne rouge fixée par les alliés d’Haftar. Une toile de fond régionale dont la ville de Syrte est devenue l’enjeu. La Libye est aujourd’hui très fragmentée, éclatée, beaucoup plus que dans la division Est/Ouest d’auparavant, du fait du pouvoir territorial et militaire acquis par les milices, notamment celles de Misrata. On ne peut plus réduire le conflit à cette bipolarité. Le problème libyen est rendu encore plus complexe du fait de la situation dans le sud, au Fezzan, à la frontière avec le Niger et le Tchad, ainsi qu’à la frontière avec l’Algérie, avec des retombées et des prolongements dans la Zone Sahélienne.

On assiste à un conflit qui incarne la symbolique du désordre du monde et de l’incapacité de la société internationale à intervenir collectivement, de manière coordonnée pour régler des situations du genre qui sont autant de menaces à la paix et à la sécurité internationale. Il y a un désintérêt total des grandes puissances, aujourd’hui, à agir collectivement. La Russie mène son jeu d’influences, les USA également ; on constate une désunion des nations qui rend toute médiation vaine et aucune volonté collective de régler ce problème. Le conflit n’est pas dogmatique, n’est pas religieux, n'est pas un conflit qui oppose les laïcs contre les frères musulmans ; c’est un conflit d’intérêt, qui engage d’énormes enjeux géopolitiques. La Libye jouit d’une position stratégique quasi-unique en Méditerranée orientale et dans toute la Méditerranée, si l’on excepte la Tunisie ; les ressources énergétiques y sont très importantes, et aucun Etat dans la région, aussi bien l’Egypte que l’Algérie, n’a intérêt à ce que la Libye reste un Etat failli, d’où la nécessité d’une prise en charge, par les voisins d’abord, par l’Union Africaine ensuite, puisqu’il s’agit d’un conflit africain, et enfin nationale avec une réconciliation nationale urgente et prioritaire. Tant que l’ingérence étrangère se poursuivra, il est illusoire de penser à une réconciliation nationale. La réhabilitation du rôle de l’ONU pourrait être une première étape, comme coordinateur de résolution du conflit. L’Accord de Skhirat reste une référence internationale, du fait que le projet d’une nouvelle constitution libyenne est à l’arrêt. Une partition sur trois, n’est pas souhaitable et très difficile à mettre en place du fait des enjeux pétroliers. C’est d’autant plus vrai qu’il y a des appartenances tribales qui traversent les éventuels tracés de frontières plausibles en vue de la création de trois Etats. De la même manière, la solution proposée par l’Egypte de militarisation des tribus est à rejeter parce que dangereuse. Les tribus sont la valeur encore sage, valeur refuge en Libye conservatrice, qu’il faut garder paisible. La partition de la Libye pourrait aussi représenter une bombe à retardement pour les Libyens eux-mêmes, et surtout pour les pays voisins.

Les belligérants étant pratiquement de forces égales, il y a aujourd’hui un véritable risque de fuite en avant. Notamment il y a risque de recours systématique aux raids aériens, principalement par l’utilisation de drones armés, qui ont des effets dévastateurs dans les zones densément peuplées. Ces deux régions en conflit reçoivent des soutiens extérieurs ; pour la Tripolitaine, le soutien du Qatar et de la Turquie ; pour la Cyrénaïque, le soutien de l’Egypte et des Emirats Arabes Unis. A cela s’ajoute la présence de milices liées à Al-Qaïda et celles de Daech dans la région de Syrte. En clair, la Libye retrouve la même fracture entre les deux régions qui existait avant le coup d’Etat de 1969. Sur le terrain, l’avantage était au Maréchal Haftar, depuis que ses forces avaient repris le croissant pétrolier et surtout depuis qu’il avait libéré Benghazi des organisations djihadistes, notamment l’organisation de l’Etat islamique qui avait pris pied en Libye au moment où l’Etat s’étendait entre Tobrouk et Tripoli. Toutefois, depuis la fin de l’été 2017, l’organisation de l’Etat islamique a repris sa position dans la région de Syrte et on redoute qu’après ses défaites en Irak et en Syrie, daech fasse son comeback en Libye.

Aujourd’hui c’est l’incertitude. Par ailleurs, l’instabilité en Libye a contribué à l’implantation de milices mafieuses qui font du trafic d’êtres Humains. Sous Kadhafi, le pouvoir corrompu percevait déjà sa part sur le trafic des êtres humains, et les flux migratoires depuis l’Afrique sub-saharienne permettaient de faire du chantage à l’Italie. L’actualité récente a démontré que ces trafics n’avaient pas disparu, faits qui confirment que la Libye joue un rôle clé dans la crise des migrants ; elle continue de servir de hub migratoire vers l’Europe pour les migrants provenant de l’Afrique de l’Ouest et de l’Est, du fait de sa proximité avec le Sud de l’Europe en Méditerranée centrale et surtout à cause des faiblesses des contrôles aux frontières. Cette route de la Méditerranée centrale s’est encore renforcée depuis le printemps 2016, suite à la fermeture de la route des Balkans et l’entrée en vigueur de l’accord entre l’Union Européenne et la Turquie. La Libye, avec par extension son voisin tunisien, est ainsi devenue le principal point de passage vers l’Italie, non seulement pour les migrants africains, mais aussi pour ceux originaires du Moyen Orient ; les chiffres sont là pour le montrer, en 2016, sur les 360 000 migrants arrivés en Europe par la Méditerranée, la moitié était passée par la route de Méditerranée centrale ; en 2017, ce sont plus des ¾ des migrants qui ont transité par cette même route. Il s’agit d’une route longue de 300 Km, entre les côtes libyennes et le canal de Sicile ; c’est aussi la route vers l’Europe la plus mortelle au monde avec plus de 14 500 morts enregistrées dans cette zone entre janvier 2014 et juillet 2017.

Dès 2018 et jusqu’aujourd’hui, la Libye reste engluée dans une interminable crise de transition, instabilité politique, terrorisme, trafics d’êtres humains, crise migratoire, et ce, en dépit de l’activisme de Ghassen Salamé, envoyé spécial de l’ONU, nommé en août 2017, avec un plan en trois axes pour la Libye, un gouvernement de transition, une Constitution, puis des élections pour juillet 2018. Salamé considérait qu’en cas de coup de force, faute d’armée, rien ne pourrait être fait. Ainsi, l’anarchie actuelle de la Libye semble donner raison post mortem à Kadhafi, mais pour ceux qui ne partagent pas cet avis, la situation actuelle est bien au contraire la conséquence logique de près d’un demi-siècle de dictature et peut-être aussi la conséquence d’une intervention internationale mal maîtrisée. Au début de cette année, Ghassen Salamé a quitté la mission de l’ONU. Cette démission montre bien que la diplomatie Onusienne en Libye est un échec total. De nombreuses tentatives de résolution du conflit n’ont pas non plus abouti, comme celle de la France, du Maroc ou de la conférence de Berlin.

Du côté de F. Al-Sarraj, gouvernement réputé légitime et reconnu, nous trouvons la Turquie, indéniablement, qui fournit de l’armement ; il y a aussi le Qatar et la Jordanie. De l’autre côté, le Maréchal Khalifa Haftar est soutenu par l’Arabie Saoudite, les Emirats Arabes Unis, le voisin égyptien et d’une manière plus ambigüe, des pays qui officiellement soutiennent, les efforts de Nations Unies pour apaiser le front libyen, le gouvernement Al-Sarraj, mais qui, officieusement et discrètement, épaulent Haftar. Au premier rang, il y a la Russie, les USA et la France. Ces Etats considèrent qu’Haftar est incontournable, qu’il pourrait représenter la seule force qui pourrait pacifier la Libye, même si ce serait ‘’au bout du canon’’. Il apporte une sorte de garantie dans la lutte contre le terrorisme mais aussi dans le contaminent des flux migratoires. La duplicité des soutiens, nous la trouvons aussi dans l’administration américaine et dans ses actes d’Etat.

Au niveau de l’opinion publique libyenne, il règne une psychologie de révisionnisme instantané, une nostalgie de l’ancien régime qui garantissait une forme de stabilité autoritaire. Toutefois cette idée est à nuancer car la Libye n’a jamais été une entité unitaire. Les tropismes régionaux et tribaux ont toujours prévalu sur les institutions modernistes. La difficulté de solution du problème libyen est de concilier à la fois le traditionalisme sous-jacent de la société libyenne avec les structures d’un Etat moderne. C’est sur leur conciliation que tout le monde bute, entre-autre, l’émissaire spécial des Nations Unies, Ghassen Salamé, jusqu’à sa démission. Chef de la Mission d’Appui des Nations Unies à la Libye (MANUL ou UNSMIL), Il était un Sisyphe qui hissait son rocher jusqu’au moment où il croyait avoir réussi à convaincre tel ou tel, de se réunir autour d’une table pour négocier et envisager une solution de Gouvernement d’Union Nationale véritable ; c’est alors que tout s’effondrait, parce que les allégeances, tribales, régionales, personnelles, les vieux comptes à régler, les adhérences historiques autour de Kadhafi, pro ou prou, refaisaient surface et sapaient tous les efforts déployés depuis des années, et le rocher retombait tout en bas.

Personne ne peut prétendre, aujourd’hui, détenir la solution militaire ou politique pour apaiser la Libye.

Monji Ben Raies
Universitaire, Juriste,
Enseignant et chercheur en droit public et sciences politiques,
Université de Tunis El Manar
Faculté de Droit et des Sciences politiques de Tunis

 

Vous aimez cet article ? partagez-le avec vos amis ! Abonnez-vous
commenter cet article
0 Commentaires
X

Fly-out sidebar

This is an optional, fully widgetized sidebar. Show your latest posts, comments, etc. As is the rest of the menu, the sidebar too is fully color customizable.