Taoufik Habaieb: Notre devise aux oubliettes !
Est-ce un luxe ? L’implosion sociale, attisée par un chômage multiplié, un effondrement économique et financier aggravé et une précarité pandémique, devient difficile à désamorcer. Notre salut serait-il alors dans l’activation de la devise de notre République. Quatre mots : Liberté, Dignité, Justice et Ordre, ordonnancés, inscrits de la nouvelle constitution, fondent l’âme de l’Etat, le droit des Tunisiens. Cinq ans après la promulgation de la Constitution, cette devise nationale n’est pas encore inscrite dans les nouvelles armoiries de la République, ni gravée dans le marbre aux frontons. Renvoyée aux oubliettes.
La liberté est menacée. Expression de volonté, sans nuire à autrui, elle a éclaté en revendication unanime. La décision, toute compréhensible, de confinement général a été la première entrave dans l’histoire de la Tunisie à la liberté individuelle. Les Tunisiens y ont consenti... à la tunisienne, avec une observance assouplie. Ils ne sauraient admettre cependant qu’elle donne droit d’empiéter sur leurs acquis. Traçage numérique, restriction de la liberté d’expression, étouffement de la presse écrite et riposte véhémente et accusatrice contre toute critique, constituent des lignes rouges infranchissables.
La dignité est-elle préservée ? Sans le droit au travail, aux soins de santé, à un revenu de base garanti et à une éducation gratuite et de qualité, ce respect à l’humain peut-il trouver son accomplissement ? L’exigence de dignité, c’est l’honneur même qui ne saurait être bafoué. Elle exige reconnaissance et considération que les pouvoirs publics et tout un chacun se doivent d’incarner.
La justice attend sa transformation. Le règne de la loi, idéal, norme et institutions aspirent à cette mutation essentielle escomptée. Persister à confondre fonctionnement de la justice et organisation du système judiciaire entrave toute la refonte indispensable.
Le blocage de la mise en place de la Cour constitutionnelle doit être contourné. Le non- aboutissement à un accord entre les députés sur le choix des trois personnalités sur quatre qu’il leur reste à élire est toxique. Ce cas inédit de «formalités impossibles» peut être dépassé. Il suffit au président de la République et au Conseil supérieur de la magistrature de désigner chacun quatre personnalités comme les y autorise la Constitution. S’ajoutant à Raoudha Ouersighni, déjà élue par l’ARP, elles peuvent ainsi former cette instance suprême tant nécessaire.
L’ordre est le liant de la cohésion sociale. Fondement de la paix entre les individus, de la sécurité et du respect des droits et devoirs, il est aussi le salut face au désordre. La déconstruction de l’Etat conduit au chaos. Plus que jamais, la pandémie de Covid-19 a montré la primauté de l’ordre, mais aussi mis en garde contre des dérives populistes ainsi que des abus en tous genres. Arrêter l’extraction de phosphate, suspendre la production pétrolière, entraver des services publics, et prendre en otage les Tunisiens, tout cela ne doit avoir qu’une seule réponse : le rétablissement de l’ordre, dans le respect de la loi.
L’angle d’or en plein milieu du carré magique de notre devise nationale n’est autre que le respect. Cette estime mutuelle, fondée sur la confiance, est-elle entièrement partagée entre nos gouvernants et les Tunisiens ? La désinvolture qui transparaît de l’agissement de certains ne nous le confirme pas.
Le respect dû au Tunisien l’est également pour la Tunisie. Si notre pays a gagné en considération universelle par son avancée démocratique, il n’en demeure pas moins qu’il n’arrive pas à convertir ce capital précieux en rayonnement diplomatique international. De plus en plus en repli, malgré les initiatives de recentrage opérées par le président Saïed et les tentatives de nombre de nos chancelleries, la conduite de notre diplomatie peine à remettre la Tunisie dans la galaxie d’un nouveau monde qui se reconfigure. Le risque est grand de perdre tout intérêt aux yeux des autres nations, et d’affaiblir notre influence positive ne serait-ce que sur les questions de notre premier intérêt, comme la Libye.
Notre devise nationale est notre profession de foi. Sortons-la des oubliettes, clamons-la haut et fort en Tunisie et dans le monde et surtout concrétisons-la sans tarder..
Taoufik Habaieb
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