Le gouvernement tunisien face aux retombées économiques et sociales de la crise du coronavirus
En dépit des mises en garde de certains spécialistes prospectivistes sur les risques de survenance d’une pandémie meurtrière d’envergure internationale, la communauté internationale a été dans son ensemble prise au dépourvu par le déclenchement impromptu de la crise multidimensionnelle du coronavirus et ses effets politiques, économiques et sociaux dévastateurs à l’échelle mondiale notamment dans les grands pays post industriels supposés être les mieux outillés pour faire face aux pires des éventualités.
En Tunisie, les risques de dérapage incontrôlé de l’épidémie de coronavirus demeurent élevés au regard du rythme croissant de infections et de l’extension géographique des contaminations contractées localement qui touchent la plupart des gouvernorats ainsi que la montée inquiétante des derniers chiffres annoncés par le ministère de la santé. Il convient de rappeler que la Tunisie ne comptait au début du mois de mars qu’un seul cas d’infection importé identifié à Monastir ce qui fait craindre le pire au vu de l’expérience de l’Italie, de l’Espagne, de la France, de l’Iran et des USA qui, après avoir atteint cette phase, ont connu, en un court laps de temps, une explosion terrifiante du rythme de contaminations et du nombre de décès.
En vérité les autorités tunisiennes semblent avoir commis les mêmes erreurs que les pays européens et les USA qui avaient minimisé au départ les dangers du coronavirus ainsi que les risques de sa propagation en dehors de la Chine et de ses environs immédiats. A l’exception de l’Allemagne où la situation demeure relativement sous contrôle, la plupart des pays européens connaissent une évolution tragique de la pandémie car elles n'ont pas pris à temps les mesures susceptibles de limiter son extension au niveau local et à l’échelle régionale en Méditerranée.
D’aucuns n’ont pas manqué de faire le lien entre la progression fulgurante du coronavirus aux USA ainsi qu’en Europe occidentale et la dégradation continue de leurs systèmes de santé soumis depuis des décennies à des mesures d'austérité drastiques par les pouvoirs publics et l’Union européenne conformément à la logique de l'économie de marché. Celle-ci implique la marchandisation de la santé humaine et des services publics de base qui sont ainsi transformés en un bien commercial ouvert à l’investissement privé local et international. D’où les répercussions dramatiques de cette politique en Occident et en Méditerranée qui sont devenus les principaux foyers de propagation du coronavirus.
En fait, ces pays ont vraisemblablement cru pouvoir miser au départ sur la stratégie de « l’immunité collective » avant de se raviser tardivement sous la pression de leur opinion publique outragée par l’explosion du nombre de décès de personnes âgées que le personnel soignant débordé, est contraint de sacrifier en raison du manque de moyens adaptés à l’ampleur du fléau.
A ce propos, la Tunisie a intérêt à accentuer sa coopération avec la Chine, la Russie et Cuba, qui se sont distingués par leur efficacité et leur politique solidaire et coordonnée dans la gestion de la pandémie considérée comme étant une menace dirigée contre l’humanité et nécessitant de ce fait une action concertée et coordonnée à l’échelle mondiale. Toutefois, cette coordination ne semble pas acquise au vu de l’unilatéralisme et de l’approche conflictuelle qui caractérise la politique occidentale face à ce défi collectif.
En somme, c’est sur le registre des valeurs éthiques et morales que sont interpellés les dirigeants occidentaux soupçonnées de négliger la vie humaine et de privilégier le sauvetage du système capitaliste et des multinationales déjà fortement ébranlés par la crise économique qui s’est accentuée avec la propagation du coronavirus. Désormais les USA se positionnent en tête des pays affectés en nombre de décès suivis de près par l’UE.
A noter que le Président Trump, confronté à de virulentes critiques pour sa gestion jugée irresponsable de la crise, a complètement reconsidéré ses projections optimistes tout en concédant, ainsi que ses homologues occidentaux, que le fléau n’est qu’à ses débuts. Toutefois, il tente, pour des considérations électorales, de faire assumer à la Chine et à l’OMS la responsabilité de la diffusion à grande échelle de la pandémie en arguant de leur manque de coopération.
En outre, certains pays occidentaux envisagent - ou ont déjà entamé comme l’Espagne - la levée progressive des mesures de confinement pour relancer l’activité économique au grand dam de nombreux spécialistes qui redoutent une nouvelle vague de contamination du fait que le fléau est loin d’être maitrisé.
Quant à l’Union européenne, violemment critiquée en Europe, surtout dans les pays européens les plus sinistrés, elle fait face à une nouvelle vague d’euroscepticisme mettant en cause son avenir, sa viabilité et son existence. Il lui est notamment reproché d’avoir imposé aux pays membres des mesures d’austérité et des coupes budgétaires qui ont gravement affecté les services de santé européens ainsi que leur capacité à faire face à cette tragédie d’échelle planétaire.
La Tunisie qui souffre du même handicap en relation avec son insertion dans la mondialisation globalisante à travers les accords de partenariat déséquilibrés avec l’Union européenne ainsi que les PAS avec le FMI, est encore bien moins outillée sur le plan sanitaire pour gérer une situation comparable à celle des pays européens les plus affectés. D’où l’approche préventive adoptée par le gouvernement qui éprouve toutefois de grandes difficultés à faire respecter le confinement ce qui ouvre la voie aux pires des scénarios et à toutes les éventualités.
Politique gouvernementale controversée dans la lutte contre le coronavirus
Néanmoins, les décisions prises par le gouvernement tunisien pour faire face aux retombées économiques et sociales de la pandémie sont en butte à de nombreuses critiques car elles se font essentiellement au détriment des fonctionnaires et des classes moyennes alors que les milieux d’affaires tunisiens sont relativement épargnés en dépit de leur contribution jugée insuffisante au fonds spécialement créé pour financer les failles considérables du système sanitaire tunisien. En outre, il n’envisage pas de récupérer les ressources initialement prévues pour le service de la dette - qui avoisinent les 8 milliards de dinars – au profit de la lutte contre le coronavirus. A cet effet, des négociations devraient être engagées avec nos créanciers afin de parvenir à une suspension ou à un moratoire de l’insoutenable dette bilatérale et multilatérale de la Tunisie.
A ce propos, il importe de signaler que le G20, le FMI et de la Banque mondiale ont recommandé aux créanciers bilatéraux de suspendre, à la demande des pays débiteurs pauvres et surendettés, le paiement de leur dette afin de faire face à leurs besoins pressants de liquidités en relation avec la propagation du virus en Afrique. De même, le Président Macron a évoqué, dans son dernier discours, la nécessité d’annuler l’essentiel de la dette des pays Africains confirmant ainsi que le contexte international est favorable à l’initiation d’une requête en ce sens auprès des créanciers bilatéraux et multilatéraux de la Tunisie.
Mais la Tunisie n’a pas demandé, selon la BM à bénéficier de ces mesures ce qui confirme les déclarations fortement controversées du ministre des finances selon lesquelles le gouvernement continuera à assumer le fardeau d’une lourde dette de l’ordre de 80 milliards de dinars largement toxique et insoutenable selon les spécialistes. D’ailleurs, le gouvernement vient de demander officiellement la conclusion d’un nouveau PAS avec le FMI dans la foulée du nouveau crédit de plus de 740 millions de dollars qu’il a alloué à la Tunisie.
Cette politique est loin de faire l’unanimité au regard du bilan, pour le moins négatif, des précédents PAS engagés depuis 2013 d’autant plus que l’essentiel des nouveaux crédits est consacré depuis des années, non à l’investissement, mais à financer le service de la dette extérieure que la Tunisie n’est plus en mesure de financer par ses propres ressources.
Pourtant, le gouvernement a d’autres alternatives dont la mise en œuvre des clauses de sauvegarde de l’accord de libéralisation des échanges industriels de 1995 Tunisie UE prévoyant le rétablissement provisoire des droits de douane en relation avec le déficit considérable de notre balance des paiements. La Tunisie pourrait également engager des négociations pour alléger le fardeau de la dette bilatérale contractée auprès de nos principaux partenaires du G7 notamment la France, l’Allemagne et l’Italie.
L’objectif de ces mesures serait de permettre au gouvernement tunisien de mobiliser le maximum de ressources propres afin de faire face à cette conjoncture particulièrement difficile qui risque de se prolonger dans la durée. Toutefois l’endettement excessif de la Tunisie ainsi que le rétablissement de nos équilibres financiers figurent au nombre des questions d’ordre stratégique liées aux déséquilibres structurels qui caractérisent nos relations avec nos principaux partenaires économiques de la rive Nord de la Méditerranée et en particulier l’UE.
Or ces relations seront forcément tributaires des bouleversements actuels et futurs prévisibles consécutifs à la crise générée par la pandémie qui constituera sans doute un tournant capital dans l’histoire récente de l’humanité. Celle-ci risque en effet d’affecter en profondeur l’architecture des relations internationales ainsi que le modèle de société prédominant associé à la globalisation économique tel qu’il a été promu jusqu’à présent par les principaux acteurs économiques et politiques qui dominent la scène politique et les échanges économiques au niveau mondial.
Ahmed Ben Mustapha
Chercheur en histoire diplomatique et économique
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