Mohamed Larbi Bouguerra - Au «Deal du siècle» de Donald Trump : le poème de Mahmoud Darwich «passants parmi les paroles passagères»
Le 28 avril 1988, quatre mois après le déclenchement de la Première Intifada en Cisjordanie occupée, le Premier ministre d’Israël Ytzhak Shamir prend la parole à la tribune du Parlement israélien (Knesset) pour vomir sa détestation du poème de Mahmoud Darwich intitulé «Passants parmi les paroles passagères»:
«L’expression exacte des objectifs recherchés par les bandes d’assassins organisés sous le paravent de l’OLP, vient d’être donnée par l’un de leurs poètes, Mahmoud Darwich, soi-disant ministre de la Culture de l’OLP et dont on se demande à quel titre il s’est fait une réputation de modéré…. J’aurais pu lire ce poème devant le Parlement, mais je ne veux pas lui accorder l’honneur de figurer dans les archives de la Knesset.»
Il est clair que le poème de Darwich a fait mal à Shamir comme à beaucoup d’autres sionistes. Une véritable hystérie, allumée par la droite et par une traduction contestable du poème publiée par le journal très droitier Maariv, allait s’emparer de l’occupant.
D’ailleurs, en ce qui concerne «les bandes d’assassins», Shamir est un orfèvre en la matière puisqu’il a fait partie du groupe terroriste Stern et de l’Irgoun-organisation terroriste sioniste dirigée par Menahem Begin qu’Albert Einstein qualifiait de «fasciste» (Lettre au New York Times du 2 décembre 1948).
Shamir, connu comme «ennemi juré des Arabes », ce natif de Pologne, «rigide et dogmatique», a longtemps servi comme espion au Mossad. (Lire «The Iron Wall. Israël and the Arab World » par Avi Shlaim, Editions The Penguin Press, Londres, 2000).
Face au «deal du siècle» de Trump, le poème de Darwich ci-dessous (traduit par Abdelaatif Laabi) garde toute sa pertinence et son magistral punch. Il aurait pu être écrit à l’intention de Donald Trump car pour Darwich comme pour l’OLP, leur doctrine était simple: «la paix sur tout le territoire, en échange d’un Etat indépendant sur une partie du territoire.» Le 22 mars 1988, Darwich écrivait de Tunis à son ami Samih al-Qassim: «L’alibi des Israéliens que constitue leur lutte pour la survie exige en permanence que l’autre soit un sauvage. Son « antisémitisme» doit justifier l’occupation, et toutes les occupations à venir, destinées à consolider la précédente!» (Lire Mahmoud Darwich «Palestine, mon pays» L’affaire du poème avec la participation de Simone Bitton, Matiliahu Peled et Ouri Avnéri ; Les Editions de Minuit, Paris, 1988):
1
«Vous qui passez parmi les paroles passagères
Portez vos noms et partez
Retirez vos heures de notre temps, partez
Extorquez ce que vous voulez
Du bleu du ciel et du sable de la mémoire
Prenez les photos que vous voulez, pour savoir
Que vous ne saurez pas
Comment les pierres de notre terre
Bâtissent le toit du ciel
2
Vous qui passez parmi les paroles passagères
Vous fournissez l’épée, nous fournissons le sang
Vous fournissez l’acier et le feu, nous fournissons la
Chair
Vous fournissez la bombe lacrymogène, nous four-
-nissons la pluie
Mais le ciel et l’air
Sont les mêmes pour vous et pour nous
Alors prenez votre lot de notre sang, et partez
Allez dîner, festoyer et danser, puis partez
A nous de garder les roses des martyrs
À nous de vivre comme nous voulons
3
Vous qui passez parmi les paroles passagères
Comme la poussière amère, passez où vous voulez
Mais ne passez pas parmi nous comme les insectes
Volants
Nous avons à faire dans notre terre
Nous avons à cultiver le blé
à l’abreuver de la rosée de nos corps
Nous avons ce qui ne vous agrée pas ici
pierres et perdrix
Alors, portez le passé, si vous le voulez
au marché des antiquités
et restituez le squelette à la huppe
Sur un plateau de porcelaine
Nous avons ce qui ne vous agrée pas
Nous avons l’avenir
Et nous avons à faire dans notre pays
4
Vous qui passez parmi les paroles passagères
Entassez vos illusions dans une fosse abandonnée, et
Partez
Rendez les aiguilles du temps à la légitimité du veau
D’or
Ou au battement musical du revolver
Nous avons ce qui ne vous agrée pas ici, partez
Nous avons ce qui n’est pas en vous:
Une patrie qui saigne, un peuple qui saigne
Une patrie utile à l’oubli et au souvenir
5
Vous qui passez parmi les paroles passagères
Il est temps que vous partiez
Et que vous fixiez où bon vous semble
Mais ne vous fixez pas parmi nous
Il est temps que vous partiez
Que vous mouriez où bon vous semble
Mais ne mourez pas parmi nous
Nous avons à faire dans notre terre
Ici, nous avons le passé
La voix inaugurale de la vie
Et nous y avons le présent, le présent et l’avenir
Nous y avons l’ici-bas et l’au-delà
Alors sortez de notre terre
De notre terre ferme, de notre mer
De notre blé, de notre sel, de notre blessure
De toute chose, sortez
Des souvenirs de la mémoire
Ô vous qui passez parmi les paroles passagères.»
Mohamed Larbi Bouguerra
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