Ridha Bergaoui: Pour un ministère chargé du bonheur des Tunisiens
Le bonheur est un état émotionnel agréable qui résulte de la satisfaction des aspirations et des désirs de la personne concernée. Le bonheur est caractérisé par une sensation agréable où l’esprit et le corps sont en plein accord. Il est en rapport avec notre mental et résulte de la sécrétion de trois hormones importantes : la dopamine, la sérotonine et l’ocytocine. Ces trois sécrétions influent directement sur notre humeur et notre comportement. Elles donnent cette impression du bien être, on est content et fier de soi. Etre heureux se traduit par la joie de vivre et la motivation. Cette joie de vivre est une émotion contagieuse et se transmet facilement à l’entourage. Des études ont montré que les personnes heureuses vivent plus longtemps, sont moins souvent malades et travaillent deux fois mieux que les autres. Le bonheur se traduit sur notre comportement, notre attitude et notre visage. De nos jours, il existe même des applications sur Smartphone pour mesurer le bonheur, en faisant appel à l’intelligence artificielle, à partir des expressions du visage en prenant juste une photo de la personne concernée. Le bonheur vient de l’intérieur, du fond de nous même. Il dépend peu de notre physique. On peut être heureux tout en étant pas très beau ou en souffrant d’handicaps.
Depuis quelques années, il est devenu possible de mesurer le bonheur et d’établir des indices du bonheur (IB). Le rapport de l’indice du bonheur relatif aux dernières années, montre que les pays scandinaves (Finlande, Norvège et le Danemark) occupent les premières places. La Tunisie se trouve dans le dernier tiers de la liste des pays étudiés. Dans le rapport de 2019 (World Happiness Report), la Tunisie occupe la 124 éme place sur les 156 pays. Cet indice montre que le Tunisien n’est pas heureux et qu’il peine dans sa vie quotidienne.
La Tunisie a plusieurs atouts pour rendre ses habitants heureux. Un climat méditerranéen doux, du soleil presque toute l’année. Une nature généreuse et des paysages fantastiques allant des montagnes et de la neige en hiver au Sahara et le désert en passant par des plages magnifiques. Une histoire glorieuse de plus de 3 000 ans et une révolution soft (qualifiée de révolution du Jasmin) qui a libéré le peuple de la dictature. Le Tunisien se sent libre, il a acquit la liberté de la parole et de la presse (le quatrième pouvoir), la liberté politique, la liberté de former des associations et des parties, la liberté de pratiquer sa religion… Pourtant le Tunisien se sent malheureux, mal dans sa peau et déprimé et sa santé mentale ne cesse de se détériorer.
Quelques données sur la santé mentale en Tunisie
Quoique les données concernant l’état de la santé mentale et psychologique des Tunisiens sont rares, les quelques chiffres présentés ici sont néanmoins révélateurs. En effet, il semble qu’un Tunisien sur deux souffre de troubles mentaux. La schizophrénie représente environ 60% des personnes qui consultent à l’hôpital Razi de Tunis (le plus grand pôle psychiatrique du pays). En 2011, parmi les patients accueillis dans les centres de la santé de base, 30 à 50% souffrent de troubles mentaux dont 30% sont atteints de dépression et 20% d’anxiété, le reste concerne les autres troubles psychologiques (troubles bipolaire, addictions…). L’addiction aux drogues est fort importante. Le ministère de la santé estime en 2013 le nombre d’usagers des drogues (cannabis, Subutex, seringues) à environ 350 000 personnes.
Toutes les couches sociales et tous les âges sont touchés par la détérioration de la santé mentale. En 2019, le nombre de patients admis à l’hôpital Razi remonte à 9 400 dont 8000 adultes et 1400 enfants (15%) alors que la moyenne avant la révolution se situait à 5000 patients (Réalités online 09/01/2020). Un lycéen âgé de 15 à 17 ans sur 10 se sent malheureux. Le suicide a augmenté ces dernières années. En 2015 on a enregistré 365 cas de suicides (soit le double de celui d’avant la révolution), le suicide de jeunes de 20 à39 ans mais aussi des lycéens et même des écoliers. Ces suicides se font soit par pendaison (60% environ) et de plus en plus par immolation (16%).
Les maladies psychiatriques entraînent au niveau individuel et au niveau familial un mal être général et handicapant. Ils s’accompagnent de frais de santé couteux aussi bien au niveau personnel qu’au niveau national. Ils conduisent à une diminution de la productivité ou un arrêt de travail. Les maladies mentales ont également des conséquences sur la santé physique et l’apparition de maladies concomitantes comme le diabète, la tension artérielle, ulcères gastriques, les maladies neurologiques…
Causes de nos difficultés mentales
Les troubles psychologiques existent depuis très longtemps. On a l’impression qu’ils sont devenus plus fréquents après la révolution. Ceci est dû en partie probablement du fait qu’il n’y a plus de tabous autour de ces questions de santé mentale et la personne atteinte n’est plus considérée comme folle mais comme malade qui a besoin de soins spécifiques. Toutefois les pressions que subissent tous les jours et d’une façon continue nos concitoyens ces dernières années ont certainement contribué à la détérioration de la situation. Le chômage et la pauvreté sont parmi des causes importantes de la détérioration de la santé mentale de la personne. L’augmentation du coût de la vie et l’érosion continue du pouvoir d’achat du consommateur l’expose à des difficultés très gênantes de fin de mois. Les saletés accumulées partout et la détérioration du cadre de vie, associés au manque d’espaces verts et aux loisirs, sont des sources de désolation et de tristesse. L’agressivité et la violence sont présentes partout et la défaillance du système éducatif et l’exclusion scolaire poussent les jeunes à la délinquance. Le manque de sécurité (vols, braquages, meurtres, agressions sexuelles…) dans les moyens de transport, dans la rue et même chez soi (intrusion de voleurs), entrainent l’instauration climat d’inquiétude et de méfiance. Les catastrophes naturelles (inondations, sécheresse et incendies), les accidents de la circulation et les erreurs professionnelles avec parfois un nombre de mort très élevé ne font que renforcer le pessimisme et la déprime collective. Certains mass médias ne font que rapporter et rappeler en boucle et sans se gêner les mauvaises nouvelles. Les violences verbales, psychologiques et physiques envers la femme ainsi qu’envers les enfants sont très élevées. Une femme sur deux déclare avoir subi au moins une fois des violences. L’absence d’un leader politique qui rassemble, le comportement parfois indigne et peu éthique des politiciens et des représentants du peuple ne font qu’aggraver cette absence de visibilité, l’incertitude du futur et la peur de l’avenir.
Cette ambiance se traduit chez le citoyen par de la frustration et du stress. Celui ci affecte notre comportement et affaiblit nos défenses immunitaires ce qui entraine un dysfonctionnement du corps et l’apparition de maladies physiques et mentales. La Tunisie passe par une crise économique et une crise politique qui ont impacté la santé mentale de nos concitoyens qui vivent, depuis la révolution, une crise multiforme : crise sociale, crise des mœurs, des valeurs et de la conduite, crise identitaire… Ces crises viennent renforcer ce climat de tension qui se traduit par l’agressivité, la violence, l’intolérance et le stress au quotidien. Tous ces éléments affectent la santé morale des Tunisiens et les rendent malheureux, négatifs et pessimistes.
Pour la création d’un ministère chargé du bonheur des Tunisiens
En 2016, le Premier Ministre des Emirats Arabes Unis, a eu l’idée de créer un Ministère très original au sein de son gouvernement qu’il a appelé Ministère chargé du bonheur. Il a désigné à ce poste une jeune dame nommée âgée de 22 ans. Ce Ministère est chargé d’élaborer des plans, des programmes et des politiques pour parvenir à une société encore plus heureuse. Pourtant aux EAU tous les indicateurs sont au vert avec un PIB pour 2016 de 38 000 dollars/habitant/an, une croissance économique de 2,7 % du PIB. Classés 4éme pays pétrolier le pays dispose d’importantes réserves de pétrole (7 éme réserve dans le monde). Le classement des EAU au niveau de l’Indice de bonheur en 2019 est à la 21 éme place, il est parmi les pays dont les citoyens sont les plus heureux. Pourtant les responsables ont jugé important de rendre leurs ressortissants encore plus heureux et d’améliorer son Indice du bonheur.
En Tunisie, la situation économique est catastrophique. Le déficit budgétaire est alarmant, l’endettement chronique, la monnaie est fragile, l’inflation est mal maitrisée, le chômage galopant … et la santé psychologique la population au plus bas. La création d’un ministère du bonheur pourrait rendre le Tunisien plus heureux, plus motivé pour vaincre les difficultés auxquelles il est exposé et lui donner envie de profiter de la vie. Ce Ministère doit œuvrer pour l’amélioration des conditions de vie du Tunisien (à la maison, dans la rue et au travail), pour tous les âges (enfants, adolescent, adulte et senior). Il doit également concevoir des activités visant la promotion du bonheur et de la positivité, la formation d’un personnel chargé du développement de la culture du bonheur et de la bonne parole, faire des études et de la recherche sur l’état du bonheur dans la société et comment la renforcer… Le budget de ce Ministère peut provenir en partie du budget du Ministère de la santé, du fait qu’il y aura une importante économie des frais de santé grâce à l’amélioration de la santé mentale du citoyens, ainsi qu’un prélèvement sur les budgets des autres Ministères et des entreprises suite à l’amélioration de la productivité et la réduction de l’absentéisme.
Ce Ministère doit également œuvrer avoir les autres Départements pour améliorer la propreté et l’aménagement d’espaces verts et de parcs qui ont une incidence favorable sur le mental. La sécurité est un facteur essentiel du bonheur.
Le bonheur c’est vivre en sécurité et en paix sans aucune menace pour son intégrité physique ou morale, ses biens et ses proches. C’est vivre en harmonie avec son environnement et jouir pleinement de ses libertés, c’est profiter de tous les avantages que nous offre la démocratie. Il faut également instaurer la culture du bonheur et de la positivité et fuir à tout prix la négativité en optant au quotidien pour une terminologie adaptée. Les mass médias (surtout TV et radio) et les réseaux sociaux ont un important effort à faire en évitant les programmes violents, provocateurs et touchant à la morale et à la bonne éducation et le colportage des « fake news » destinés à saboter le moral des gens.
Les jeunes, dont le pourcentage est le plus élevé de la population, et qui représentent l’avenir du pays doivent être mieux encadrés. L’école ne doit pas se limiter à dispenser un savoir fonctionnel mais inculquer aux jeunes des valeurs du respect, de tolérance, de discipline, de bonne conduite, d’empathie envers les autres… On doit lutter contre le décrochage scolaire qui jette ces jeunes fragiles dans la rue pour devenir des délinquants et des bandits potentiels. La famille doit retrouver son rôle d’encadrement, d’éducation, d’apprentissage de la vie en commun et des valeurs nobles. Il faut laisser la place aux activités culturelles, sportives et artistiques et encourager les jeunes à intégrer des clubs où ils pourront pratiquer leurs passe-temps favoris au lieu de s’ennuyer et trainer dans les rues au risque de se lancer dans la violence, le banditisme, le vandalisme et la détérioration des biens publics (voir les bagarres sauvages dans les stades lors des matchs de football) . Le service militaire est une école pour apprendre la discipline, la tolérance le vivre ensemble, l’esprit du groupe, l’amour du pays… Il doit être réinstauré et obligatoire pour tous les jeunes avant toute occupation ou emploi. Le phénomène de la violence au sein de la population tunisienne doit être étudié scientifiquement afin d’étudier les solutions pour y remédier.
Conclusion
Malgré le tableau sombre sur la situation de la santé mentale du Tunisien, l’optimisme est inévitable. « Quand on touche le fond, on ne peut que lutter pour remonter pour rester en vie ». Le Tunisien a tout le temps montré qu’il est capable de surmonter les difficultés et de sortir des situations parfois très délicates.
Et pourquoi pas la création d’un Ministère chargé du bonheur pour améliorer la qualité de vie, le bien être de nos concitoyens, leur rendre la joie, le sourire et l’épanouissement aussi bien au niveau personnel qu’au niveau social et professionnel. Ce Ministère pourra aider les gens à concrétiser leurs espoirs en des jours meilleurs pour eux et pour leurs enfants. Il pourra aussi favoriser un milieu propice pour réaliser nos ambitions de développement et répondre aux aspirations de notre jeunesse d’une vie digne et paisible. Cette jeunesse qu’on est actuellement entrain de sacrifier et qui essaye de fuir la réalité du pays soit pas dés départs clandestins au risque de périr en route soit l’exode des jeunes talentueux diplômés de nos universités dans les différentes spécialités soit par l’utilisation des drogues de plus en plus dures et dangereuses.
Pour terminer cette citation de Derotteleur «Gardons le sourire et la vie nous apparaîtra plus lumineuse. Notre optimisme nous mettra en confiance et nous donnera l’élan nécessaire pour agir efficacement autour de nous».
Professeur Ridha Bergaoui
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C´est une société ideale que vous voulez, Monsieur, les Europens qui sont plus avancés que les Tunisiens, d´après ce qu´ills disent, ils ne leur manque que le problème de l´égalité en économie pour être heureux, D´autre part,le même premier ministre des Emirats Arabes Unis pense rendre le sourire a ses sujets et les faire eloigner du prentemps Arabe et même de la revolte du jasmin.La politique, comme on le voit, complique la question. D´après moi la liberté dans tous les domaines prime l´action politique. Le reste est individuel. L´Etat doit combattre la corruption bien sûr, car la corruption rende l intention de l´autre mechante, avec une corruption nulle, il devient plus facile de rendre les villes propres et orienter les actions collectives plubliques d´une manière positive.
Cessons de prendre en compte que l’augmentation de la production et de la vente des biens et services en excluant le bien-être des populations hommes et femmes, il faut apaiser la jalousie des pauvres envers les plus riches par l’imposition de la zaket, d’où une nouvelle répartition de la richesse. d'autres priorités sont à gérer comme l'air moins pollué, moins de bruit des camions en fixant leur circulation entre 9h et 20h, et pas le dimanche Aux Etats Unis en 1970, le sentiment d’être heureux reste stable voire diminue malgré l’accroissement du PIB. D’où l’appel à l’élaboration de nouveaux indicateurs de richesse alternatifs excluant la richesse monétaire comme seul critère de mesure et de développement d’une société.