Mohamed Adel Chehida: Dans l’Arène des législatives de 2019, retour sur une expérience en Italie
Un ami qui connaît bien le monde de la politique alors que je lui parlais de mon intention de me présenter aux législatives m’a demandé brusquement si j’avais sous la main où le parti qui me soutenait était disponible à dépenser 60 000 euro? Avant d’ajouter, sais-tu que la campagne d’un candidat en Italie a coûté aux alentours de 80 000 euro en 2014 ? Evidemment que je ne le savais pas et je n’avais pas cette somme. Une autre personne qui connaît la réalité des tunisiens en Italie, une fois ma candidature déposée m’a dit, Doc moi je vous aime bien et je vous promets que vous aurez ma voix mais je vais prier Dieu que vous ne passiez pas. Malgré ces mises en garde je me suis engagé en pensant de pouvoir changer les choses.
Pourquoi vouloir se présenter aux législatives tunisiennes à l’étranger?
Ayant fait du travail associatif, ayant agi sur le terrain, étant au côté de la communauté tunisienne et ayant vu de près leurs difficultés socio économiques, l’absence ou le manque de considération dont ils souffraient même dans leur pays d’origine, et surtout l’indifférence et la totale démission ces dernières 8 années de leurs représentants à l’ARP, je me suis senti dans l’obligation de me présenter. Voici pourquoi je me suis engagé sans tenir compte des conseils d’amis proches.
Prendre la décision de se présenter
Il ne s’agit pas d’un coup de tête mais d’une décision mûrement réfléchie. Prendre la décision de me présenter alors que j’ai des responsabilités professionnelles importantes dans la clinique, et des responsabilités familiales en tant que père de famille, couple mixte avec des enfants adolescents en un petit dernier âgé de 5 ans n’était pas facile car je devais continuer à gérer le quotidien. Ici j’ouvre la parenthèse pourquoi vouloir se présenter au sein d’un parti et non comme indépendant ? Je reste convaincu que la seule issue viable dans un parcours démocratique d’un pays demeure une activité politique bien réglementée par un statut et des règles avec une vision et un programme. D’ailleurs les jeunes qui se sont mobilisés pour élire le nouveau président se trouvent actuellement devant la nécessité de se structurer au sein d’un mouvement ou un parti.
Candidature
Ma liste était prête malgré une campagne de dénigrement contre ma personne et le parti que j’ai choisi. Il fallait proposer et convaincre des gens sérieux et cela n’était pas facile. Il y a eu un désistement à la dernière minute, il fallait affronter de l’étranger la bureaucratie locale. Il fallait par exemple présenter entre autres documents un bulletin n°3 et pour l’avoir il fallait payer 38 euros et attendre quelques jours, chose que l’ISIE a décidé en fin de compte de ne plus exiger. Il fallait remplir des formulaires avec des signatures légalisées auprès d’une représentation consulaire tunisienne uniquement, je vous donne l’exemple des candidats de notre liste. Le jeune Tarek, que je salue à l’occasion a dû prendre l’avion de Cagliari (Sardaigne) pour Rome pour pouvoir s’inscrire, la jeune Mouna s’est déplacée de Palerme.
Je me rappelle très bien de cette inscription de ma liste où je me suis déplacé de Porto San Giorgio (côte adriatique) jusqu’à l’aéroport de Fiumicino à Rome soit trois heures de route pour avoir ma désignation du président du parti en tant que tête de liste, un certain 24 juillet par 36 degrés à Rome. Une journée pas comme les autres. Je prend le document et je vais au bureau de l’ISIE à Rome zone Monte Sacro, beau quartier, il est 13h.45, je me gare en plein soleil faute de place, je change mon t-shirt, je mets une chemise propre pour être bien présentable et j’entre au siège de l’ISIE au sous-sol du consulat, un peu content et un peu tendu de peur qu’un éventuel document manque, hélas mon dossier n’était pas complet et il fallait revenir avec les autres membres de la liste le lendemain!
On se présente quatre candidats sur cinq venus des quatre coins d’Italie et notre liste est enfin acceptée. On est contents on pose pour des photos, on organise une réunion impromptu en mangeant des panini, on savait que 24 listes s’étaient présentées mais on y croyait!
Et puis… j’apprends que des personnes dont j’avais le soutien, qui m’ont contacté spontanément et qui m’avaient assuré partager mon projet, je découvre avec stupeur qu’elles sont candidates sur d’autres listes. Est-ce ma naïveté politique?
Les vacances terminées je reviens en Italie, je reprends mon travail à la clinique et voilà que l’ISIE nous demande d’ouvrir un compte bancaire en dinars convertibles en Tunisie et me voilà reparti à des centaines de km de chez moi avec le jeune qui a accepté de faire le délégué…Signatures légalisées au temps d’internet, de mail certifié, un chaos total auquel n’ont pas servi ni mes appels ni mon intervention sur matinal radio express FM. Tout ceci sous prétexte que tout doit être contrôlé, qui finance et combien et qu’une carte bancaire internationale sera à notre à disposition. Risible devant les sommes d’argent qui circulent de la main à la main. Aucun contrôle n’est réellement possible, ces gens sont en dehors de la réalité.
Campagne électorale
Arrive la campagne électorale. Exposer notre programme électoral et notre vision à nos concitoyens en Italie. Disons d’emblée que le plus difficile a été de les convaincre à voter pour un parti. Doc, beaucoup m’appelaient ainsi, pour vous oui mais je ne donnerai pas ma voix à un parti.
Arrive la course d’étapes, étape sicilienne, je prends l’avion et je fais avec une colistière le tour de la Sicile en 48 heures, puis l’étape Bologne, Brescia, Milan et Turin par train où je dormais dans des B&B ou chez des amis, je profite de l’occasion pour les remercier. Le travail était basé sur la rencontre des gens par petits groupes, parfois même une ou deux personnes, des gens bien, intéressés et amoureux de la Tunisie.
Satisfait et content je rentrais chez moi fatigué car entre-temps j’ai continué à assurer mon travail d’anesthésiste réanimateur.
Des surprises j’en ai vécues. Des personnes qui nous soutenaient et collaient avec nous les affiches la veille et voilà que je les retrouve à applaudir et danser durant des fêtes organisées par d’autres candidats…je n’arrive toujours pas à comprendre leur logique.
Résultats
Arrive le jour de vote, une journée pluvieuse grise, au bureau électoral toujours les mêmes personnes depuis 2011, une dame du bureau m’a bien dit que mes cheveux avaient blanchi depuis 2014, l’affluence est faible les observateurs éparpillés, un seul portait un badge. Des gens qui avaient voté aux présidentielles ne retrouvaient pas leurs noms sur les listes, des gens qui se sont inscrits pour voter dans une ville et qui se retrouvent leurs noms dans des bureaux à des centaines de kilomètres.
Des candidats qui ont continué d’une façon ou d’une autre à partager des postes sur FB indiquant le numéro de leur liste, et même un tête de liste qui a continué à sponsoriser sa page officielle jusqu’à la dernière minute des élections et même le lendemain des élections, tout ceci sous les yeux de l’IRIE sans aucune réaction.
Seulement 5665 ont voté sur 56000 inscrits (nous sommes plus de 200000 tunisiens en Italie), soit un taux inférieur à 6%, ma liste est classée quatorzième avec 102 votes, la première liste est passé avec 1964 la deuxième avec 606 et la troisième avec 382. Est-ce que ces résultats sont représentatifs de nous tunisiens à l’étranger ? A t on le droit de devenir un représentant du peuple avec seulement 400 votes ? Est-ce que les procédures adoptées en Tunisie sont applicables à l’étranger ? N’est-ce pas la porte ouverte à tous les opportunistes à gros moyens de gagner des sièges facilement au détriment des candidats sincères?
Je suis fier d’avoir pris ce challenge et même si le résultat me déçoit je remercie tout ceux qui ont cru en notre liste, je continue à penser que les tunisiens à l’étranger méritent d’être représentés autrement.
Mohamed Adel Chehida
- Ecrire un commentaire
- Commenter