Aram Belhadj: L’antidote pour une économie malade ne pourra être que « Structurel »!
L’économie Tunisienne continue de vivre des moments difficiles avec une gestion des affaires économiques contrariée par de nombreux obstacles : une conditionnalité embêtante des bailleurs de fonds internationaux, un laxisme patent des acteurs nationaux, régionaux et locaux à faire évoluer la productivité et la compétitivité, et une forte résistance syndicale aux réformes et au changement.
Malheureusement, dans les débats actuels, on s’échine à pointer du doigt l’amateurisme béat des équipes gouvernementales successives dans la gestion des affaires courantes (ce qui est en partie vraie) alors qu’on oublie souvent que nos maux sont historiquement structurels. En effet, la faiblesse de la croissance, la lenteur du rythme de création d’emplois et de réduction de la pauvreté, le creusement des inégalités ainsi que l’importance de l’inflation, du déficit commercial et de l’endettement, etc ne sont que les conséquences des déséquilibres structurels flagrants de notre économie. Certains experts s’amusent à résumer tout ça en quelques mots : la défaillance du modèle de développement.
Bizarrement, et jusqu’à maintenant, les « politiques » ne sont pas parvenus à initier un débat de fond sur l’économie où des solutions adaptées et réalisables sont posées sérieusement sur la table. Même les plus éminents économistes n’ont pas réussi à convaincre une classe politique pétrifiée -et probablement incompétente en la matière- de la nécessité de réfléchir « out of the box » en ouvrant la voie vers un chemin de croissance durable. La plupart d’entre eux hésitent entre un alignement aveugle derrière les prescriptions des institutions internationales ou un lâche repli vers des analyses et des propositions complaisantes.
Il est certain que la Tunisie dispose des atouts nécessaires pour bâtir les nouveaux socles d’une économie moderne, prospère, efficace et équitable : son emplacement géographique, les ressources qu’elle possède et ses acquis post-révolution qui sont la démocratie, la liberté et les droits de l’homme.
Le chemin vertueux espéré pour notre jeune démocratie suppose le renforcement des fondamentaux de l’économie : une croissance durable et équitable, un chômage en décroissance continue, une amélioration substantielle des équilibres budgétaires, une baisse importante de l’endettement public et une meilleure maîtrise du déficit commercial. Ce chemin passe indubitablement par une diversification qualitative des activités productives, une sophistication de la production ainsi qu’une montée en gamme technologique. C’est là le cœur de la transformation structurelle de toute économie et c’est dans ce cadre-là que des politiques publiques efficaces et efficientes devront être menées!
Manifestement, les décideurs devront s’appuyer sur au moins trois facteurs, considérés comme piliers de transformation de l’économie. Il s’agit des capacités productives, du climat des affaires et de l’intégration. Bien entendu, toutes les politiques publiques menées dans ce sens devront respectées un certain seuil de cohérence et devront être harmonisées dans le temps.
Le renforcement des capacités productives suppose la focalisation sur deux éléments : le capital humain et l’innovation. Dans ce cadre, il est indispensable d’augmenter le budget consacré à la Recherche et de le concentrer sur les domaines porteurs, renforcer la formation professionnelle en collaboration avec les acteurs industriels, rapprocher davantage les instituts de sciences et technologies au secteur privé et faciliter la reconversion professionnelle. D’autre part, avec la transformation numérique, la révolution du digital et les nouvelles découvertes en médecine et en biologie, il est inévitable de se préparer à des bouleversements dans le monde de l’emploi. Une politique d’innovation s’avère cruciale à sécuriser la croissance future. Elle doit contenir la création des cités d’innovation (en partenariat avec les universités), la multiplication des mécanismes de financement au profit des programmes de certification ainsi qu’une modernisation des systèmes d’information des différents marchés. Il est temps pour les pouvoirs publics de saisir les leçons de la réussite (ou de l’échec) relatif à l’expérience des technopôles en Tunisie et d’en faire une analyse critique.
L’amélioration du climat des affaires et le renforcement de la base entrepreneuriale nécessite que l’on accorde beaucoup d’importance au secteur privé et que l’on se détache du dogme de l’Etat hégémonique et du capitalisme prédateur. Des politiques d’ouverture à la concurrence en vue de réduire les rentes bénéficiant aux privilégiés, un renforcement de la protection de la propriété intellectuelle, un développement des liens entre les firmes multinationales et les entreprises locales, des efforts supplémentaires pour trouver des solutions de financement adaptées au profit des PME-PMI (à l’instar du private equity, de la micro-finance, de garantie de crédits, etc) et une modernisation de l’administration et des services publics sont devenus urgents.
L’intégration de la Tunisie dans les chaînes de valeurs régionales et mondiales doit impliquer un repositionnement stratégique de long terme, surtout avec la montée de l’incertitude chez nos partenaires de la rive nord de la méditerranée. Dans ce cadre, notre profondeur stratégique avec notre voisinage immédiat (Algérie et Libye) et avec l’Afrique subsaharienne devra être valorisée, surtout avec l’adhésion de la Tunisie à la zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAF). Aussi, il est indispensable de profiter du potentiel de complémentarité existant avec nos confrères maghrébins d’une part et de la présence des ressources nécessaires en amont et en aval d’autre part afin de développer des chaînes de valeurs régionales dans différentes industries : automobile, aéronautique, énergie et agroalimentaire. Il est à préciser que cette intégration ne pourra se produire qu’en repensant nos stratégies relatives au développement des infrastructures et la logistique, qu’en multipliant les zones franches et qu’en recourant à des politiques de « clusterisation » spécifiques.
Bien sûr que des réformes structurelles touchant les institutions de l’Etat devront compléter toutes les politiques publiques susmentionnées. Et ce n’est qu’avec ces réformes et ces politiques que la Tunisie pourra se positionner sur un sentier de croissance économique durable, retrouver le chemin de prospérité et affermir son choix pour la liberté et la justice sociale !
Aram Belhadj
Enseignant-chercheur, Université de Carthage
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