Mohamed Fayçal Charfeddine: La révolution du jasmin comme hommage posthume...
Il y a des hommes qui prennent rendez-vous avec l’histoire et d’autres, c’est l’histoire qui décide de les inviter à sa table.
Apparu aux Tunisiens le 17 janvier sur une chaine dont le nom traduit dans la langue de Molière est « brise », ce retraité des honneurs de la république, a tenu à apporter à la Tunisie du jasmin, qui venait de naitre, le souffle de sa sagesse. Il a endossé la responsabilité du chef du gouvernement au moment où chacun ne savait pas si ce pays allait trouver rivage ou allait-il se noyer dans le chaos.
L’histoire l’a choisi car elle a vu dans cet homme celui qui comprendra son sens. La Tunisie allait sortir de l’ère totalitaire pour emprunter la démocratie, la liberté et la dignité. Ceux qui furent comme de simples mots sur les armoiries de la république, allaient finalement devenir une réalité (Sauf l’ordre Hélas! Mais ça viendra). Beji Caid Essebssi a pris conscience que le retour en arrière n’est plus une option et bien qu’il soit un homme du passée, il devait accompagner cette jeune république tel un père apprenant à sa fille ses premiers pas dans la vie.
Il a eu le génie de comprendre que la démocratie n’est pas de vains mots écrits dans un journal officiel, mais une pratique qui s’acquiert avec abnégation et surtout avec le temps. Il s'inscrit dans ce processus en fondant son “appel”. Ils étaient nombreux à le rejoindre, certains par espoir, d’autres pour l’appât du gain. Qu’importe ! Plus que les bras, il avait la conviction que l’exclusion serait une erreur que la Tunisie paiera un jour ou l’autre et elle risque d’être chère. Certains diront que pour protéger ses amis, d’autres pour faire en sorte que la Tunisie fasse un demi-tour et revient vers des temps plus obscurs… Toujours est-il, Il a fait sourde oreille aux sirènes de la vengeance interne car l’ennemi externe guettait la brèche dans une fortification encore très fragile.
Il laissait la parole publique s’exprimer, les tractations, négociations, querelles et toute forme d’échange sur la place publique prendre place. Mais ne soyons pas dupes, il tirait des coups, avançait ses pions dans les coulisses. En fin politicien et habile tacticien, ils avait joué aussi bien côté court que côté jardin.
A aucun moment, il n’a voulu rompre avec cette république ou de mettre en péril ses institutions. Il a joué le jeu avec les moyens dont il disposait. On peut lui faire un procès d’intentions, mais, en brillant avocat, ils avait que la justice est une question de fait savant tout.
Il n’a pas voulu dormir sur les lauriers. À quatre-vingt-dix ans, on n’est plus attirée par les ors de la république. Il laisse cela à d’autres, plus jeunes, mais sans talent! (Hélas!). Il profite du débat inutile sur l’identité, pour affirmer l’exception tunisienne en donnant une autre lecture aux dogmes et à certains sacro-saints. Il ne force pas, il joue son rôle, celui du garant des institutions et en cette qualité, encore une fois il laisse le débat s’installer…et indurera le temps qu’il faudra… Au fond, peu importe le résultat, l’essentiel est qu’on se parle.
Et c’est justement cette parole qu’il laisse aller à sa guise dans les arcanes des institutions, dans la presse, dans la rue, sur les réseaux sociaux. Elle le moque, elle le blesse, mais qu’importes a personne devant ce pays qu’il a tant servi.
Il a donné des coups et il en a reçu. Parfois des plus proches, mais il ne se venge pas. Il laisse le soin au destin de lui donner justice et un jour les urnes parleront.
Son dernier acte en tant que président était le refus de ratifier les amendements de la loi électorale. Certains voient dans cela une atteinte de la constitution qu’il est censé respecter. D’autres, un complot contre la république. Le citoyen naïf que je suis préfère croire que son acte est son apport au débat : on ne change jamais les règles du jeu au cours du jeu, surtout si la Tunisie et sa démocratie sont en jeu. C’est aussi la preuve que le vieux n’arien perdue de sa lucidité politique.
Beji Caied Essebssi n’a jamais cru à une gloire personnelle, car il y avait une autre meilleure personne digne de cela. Il a consacré toute sa vie à ses côtés pour servir le pays sans s’asservir. Il lui consacre le bon grain et l’ivraie, un livre qu’il publie en 2009 (après avoir pris du recul) et pour faire en sorte que cette Tunisie n’oublie pas celui qui l’a rendu indépendante.
Dans la carrière de Feu Beji Caid Essebssi, il y aura aussi de l’ivraie comme du bon grain. Viendra le temps où on reviendra sur son histoire et on l’écrira d’une manière dépassionnée. Mais aujourd’hui, il est parti, accompagné des larmes de tous les tunisiens, ses opposants comme ses partisans.
Il est parti avec un acte majeur (le plus important !). Un dernier geste républicain, celui de ne désigner aucun successeur car dans une démocratie, point de succession. Ce sont les vivants qui choisiront leurs gouvernants.
Ce respect presque religieux de la démocratie et des institutions de la république est au fond le legs du président…
Le déroulement de la passation et surtout les condoléances sincères montrent que la Tunisie est sur la bonne voie. Il a laissé un pays où les institutions encore en bas âge ont pu se relever pour marcher. Des citoyens qui se sont tenus les coudes; aujourd’hui pour l’accompagner à sa dernière demeure et demain pour avancer ensemble vers un avenir meilleur.
Il a réussi son pari. Ainsi, la révolution du jasmin qui l’a révélé, aujourd’hui c’est elle qui sera son épitaphe, son plus élogieux hommage posthume.
En homme galant, fin et intelligent, Feu Beji Caied Essebssi a accepté l’invitation de l’histoire et a fait en sorte qu’elle n’oublie jamais sa rencontre. Elle le lui rend bien. Il sera a jamais dans la panthéon de la Tunisie et dans les cœurs de ces citoyens.
Adieu Monsieur le Président…
Mohamed Fayçal Charfeddine
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