Opinions - 17.07.2019

Nanotechnologies : Faire du grand pour le futur avec du très petit

Nanotechnologies : Faire du grand pour le futur avec du très petit

La technologie n'a pas fini de nous émerveiller, ni de nous effrayer tout à la fois, comme peuvent le faire toute entreprise humaine transcendante. Pour preuve, l'IA et la Singularité. Mais l’avènement de l’IA ne devrait pas être le seul événement qui serait amené à affecter l’Humanité dans les prochaines années. Un autre événement, sans aucun précédent ou analogue dans l’histoire humaine, serait l’avènement des nanotechnologies. En 2003, la première liaison atomique a été réalisée, prélude à l’assemblage de molécules sur mesure et non plus par des réactions chimiques aveugles. Il est désormais possible de déplacer un par un des atomes et de les assembler en structures, comme il est possible de découper, avec une précision chirurgicale, une séquence génétique d’un brin d’ADN ou de la transplanter.

Le concept de nanotechnologie, peu connu du grand public, existe dans le dictionnaire, mais la définition qui en est donnée (« l’application de la microélectronique à la fabrication de structures à l’échelle du nanomètre ») est complètement fausse et induit en erreur en faisant penser que la nanotechnologie n’est qu’une branche de la microélectronique, un peu plus évoluée, ce qui est faux ! Ainsi, la Nanotechnologie s’entend de tous les procédés et processus visant à Comprendre, façonner et combiner la matière à l'échelle atomique et moléculaire. Elle concerne non seulement la science comme domaine générique, mais aussi, la médecine, l'ingénierie, l'informatique et la robotique à l’échelle du nanomètre, c'est-à-dire du milliardième de mètre (correspondant à 10-9m). Elle recouvre l’ingénierie moléculaire, c’est-à-dire, tout ce que l’on peut faire en manipulant et en assemblant des structures, molécule par molécule, voire atome par atome. Les nanotechnologies représentent un progrès potentiel pour diverses applications comme, de nouveaux types d’ordinateurs, plus petits, plus rapides et plus performants, des sources d’énergie moins polluantes et plus pertinentes et des traitements médicaux plus efficaces et moins invasifs, permettant de sauver plus de vies. Ces technologies, concernent la possibilité de construire des structures, des systèmes, des machines, et même des unités de fabrication complètes, en utilisant des matériaux dont la taille serait de l’ordre du nanomètre. On imagine ainsi aisément que les propriétés quantiques particulières des nanomatériaux peuvent être mises à profit pour créer des applications et des produits novateurs ; mais cela dit, elles peuvent tout aussi bien entraîner des effets dont il faudra évaluer l´incidence sur l´environnement, sur la santé et la sécurité humaines. Les applications des nanotechnologies dans le domaine de la dépollution, ou dans le domaine médical, seront immenses. On nous promet que des nanorobots, des robots sur-miniaturisés assemblés, atomes par atomes, intelligents et capables de s‘auto-répliquer sur le modèle du vivant, répareront nos corps et le régénèreront, ce qui nous rendrait immortels. Au moyen d’un instrument appelé microscope à force atomique, nous savons et pouvons déplacer des atomes un par un pour créer ces structures à l’échelle atomique ou moléculaire. Elles présentent de nombreux avantages à différents niveaux ; néanmoins leurs désavantages potentiels, concerneraient sans doute les perturbations économiques et des marchés et les menaces potentielles pour la sécurité, la vie privée, la santé et l'environnement. Les nanotechnologies peuvent aussi s'avérer une aubaine pour le domaine de l’armement et de la stratégie militaires.

Dans le secteur de la fabrication industrielle, la nanotechnologie met déjà à disposition de nouveaux matériaux, qui pourraient révolutionner de nombreux domaines de production. Ainsi, les nanotubes et les nanoparticules, qui sont des structures de quelques atomes seulement, ou encore les aérogels, des matériaux composés d’éléments très légers et très résistants, et dont les propriétés isolantes sont remarquables, pourraient ouvrir la voie à de nouvelles techniques de pointe et à des produits de qualité supérieure. Par exemple, le graphène, une forme de carbone, est le matériau le plus dur, le plus résistant, le plus mince du monde et aussi l’un des plus souples ; il est aussi le meilleur
conducteur d’électricité et de chaleur qui soit, avec une épaisseur d’un atome. De plus, les ‘’nanobots’’ et les nano-usines pourraient aider à construire de nouveaux objets et nouvelles matières, n’existant pas encore dans le tableau périodique des éléments de Mendeleïev.

Des avantages sur le plan énergétique; Les nanotechnologies pourraient transformer la manière dont nous produisons et utilisons l’énergie dans nos sociétés. En particulier, les nanotechnologies pourront très probablement rendre l’énergie plus économique, en réduisant les coûts des équipements connexes et en fabriquant des éléments de plus grand rendement. Il en est de même des dispositifs de stockage, qui deviendront eux aussi plus efficaces et moins couteux.

Des avantages en électronique et informatique; Les nanotechnologies sont sur le point de révolutionner le domaine de l'électronique avec des nano-composants et nano-circuits. Les points quantiques, microscopiques cellules productrices de lumière, pourraient être utilisées pour l’éclairage ou à des fins d’affichage pour les écrans de visualisation et remplacer les Diodes électroluminescentes (LED) d’aujourd’hui. Elles permettront aussi de repousser les limites de l’électronique de pointe surtout dans la construction de processeurs de nouvelles générations avec des composants à l’échelle atomique et moléculaire et la conception de circuits intégrés très précis. Elles permettront entre-autre de remédier au problème des passerelles électrostatiques.

Mais les avantages majeurs sont médicaux ; Les nanotechnologies et les nanomatériaux utilisés en médecine apporteront un espoir de développer et/ou améliorer de nouvelles thérapies dans des pathologies autrefois considérées comme incurables. Ainsi, des nano-vecteurs, transporteurs microscopiques qui peuvent franchir certaines barrières biologiques, pourraient apporter les médicaments avec une précision accrue vers les cellules ciblées. Cette amélioration de la délivrance et du ciblage du médicament permettrait d’en diminuer les doses et donc de limiter de manière appréciable les effets secondaires sur les cellules/organes voisins non ciblés. Encapsuler les médicaments sous forme de nanoparticules permettrait donc d’améliorer leur bio-livraison, leur bio-distribution et leur pharmacocinétique. Les nanotechnologies pourraient aussi permettre d’affiner la production de médicaments, au niveau moléculaire pour les rendre plus efficaces.

Dans le domaine de l’imagerie médicale, les nanoparticules pourraient être une alternative aux agents de contraste (fluorures organiques ou isotopes radioactifs). Ces nouveaux marqueurs pourraient améliorer la résolution des images obtenues. La miniaturisation servirait aussi dans le diagnostic génétique avec les puces à ADN avec nanoparticules d’or. (Ensemble de molécules d'ADN fixées en rangées ordonnées sur une petite surface qui peut être du verre, du silicium ou du plastique. Les puces à ADN sont l’outil le plus abouti de la génomique, qui vise à étudier la séquence et l’expression des génomes ou encore de mesurer le niveau d’expression de tous les gènes d’un génome : le ‘’transcriptome’’). Il serait même possible d’intervenir au niveau de gènes endommagés ou mutants, pour traiter les anomalies qui sont la cause des diverses maladies génétiques.

Certes de nombreuses questions éthiques, environnementales et sanitaires restent pour le moment sans réponse. Ainsi en est-il du contrôle de la diffusion des nanomatériaux et de leur traçabilité dans l’environnement et le corpus humain. Un rapport de l’OCDE soulignait récemment le fait que l’on ne disposait que de très peu de connaissances sur le devenir, dans l’environnement, des nanoparticules, lorsque les produits qui les contiennent arrivent en fin de vie, dans les sites de traitement des déchets et des eaux usées. Les nanoparticules seront-elles absorbées par le sol et les plantes, surtout pour les nanoparticules non-biodégradables qui risqueraient d’augmenter la pollution écologique. Ces nanotechnologies décloisonnent les barrières entre Biologie, Informatique, Sciences cognitives, physique… Elles sont indubitablement susceptibles d'initier des avancées majeures en matière de chirurgie médicale. Des ‘’nanobots’’ pourraient être envoyés dans les artères de patients pour éliminer les thromboses et/ou les dépôts qui réduisent la lumière vasculaire. Les interventions chirurgicales pourraient devenir beaucoup plus rapides, plus précises et moins invasives et ainsi accélérer les convalescences et les guérisons. Les traumatismes et lésions pourraient être réparées in situ, au niveau cellulaire.

Une médecine plus préventive et plus personnalisée, capable de déchiffrer les signaux les plus intimes de nos organismes. Des soins moins invasifs et des thérapies adaptées contre le cancer ou les maladies cardiovasculaires, grâce à la faculté nouvelle de ne traiter exclusivement que les cellules malades in situ. Des possibilités radicalement nouvelles, comme celle d’inciter nos tissus perdus ou endommagés à se régénérer. Les nanotechnologies promettent de prolonger et d’améliorer nos vies en révolutionnant les pratiques médicales. Selon certains, leur pouvoir pourrait aller jusqu’à favoriser l’apparition d’un Homme nouveau aux performances augmentées. Fantasme ou réalité ? Quelles répercussions concrètes les applications médicales des nanotechnologies vont-elles avoir sur la vie ? Et à quels nouveaux questionnements vont-elles nous confronter ? Il y a trente ans, le monde voyait l’invention du microscope électronique à balayage et il n’y a que huit ans, le microscope ‘’Titan Krios’’, considéré comme le microscope le plus puissant, puisqu’il permettrait une résolution jusqu’à l’échelle atomique et moléculaire. Sa technologie pourrait permettre des avancées importantes dans de multiples domaines dont la santé. L’invention de ces nouveaux microscopes a ouvert aux chercheurs les portes de cette nouvelle dimension, encore inexplorée alors, la dimension NANO, celle du milliardième de mètre, le monde invisible des atomes et des molécules. A cette échelle, la matière manifeste des propriétés surprenantes, d’ordre quantique, soumises aux lois de la relativité. Pouvoir les exploiter promettait une révolution technologique majeure, une avancée radicale qui allait repousser les limites de pratiquement toutes nos technologies actuelles et les rendre obsolètes. Aujourd’hui, l’avant-garde des produits issus de ces recherches, émergent progressivement des laboratoires pour faire leur entrée dans nos vies.

Détecter plus facilement et plus tôt, les maladies

Dans le domaine médical, les premières applications des nanotechnologies devraient toucher chacun de nous de très près. Elles vont permettre de détecter beaucoup plus facilement et beaucoup plus tôt, toutes sortes de maladies. Des tests existent déjà, qui permettent de repérer des prédispositions génétiques, ou les signes précurseurs des nombreuses pathologies. Mais ils reposent sur des protocoles complexes et des outils sophistiqués, accessibles uniquement dans les grands laboratoires centralisés, trop lourds, trop chers, trop lointains, pour être couramment utilisés. Pour qu’ils jouent pleinement leurs rôles, il faudrait les rapprocher des patients. Il est avéré que c’est à l’échelle nanométrique qu’apparaissent les premiers signes de la maladie. Chacune des 100 000 milliards de cellules qui constituent notre corps mesure entre 10 000 et 20 000 nanomètres de diamètre. Pour pouvoir se coordonner, nos cellules échangent en permanence une quantité de minuscules molécules messagères, des fragments d’ADN et des protéines, qui ne mesurent que quelques nanomètres. Des cascades de réactions opérées par ces messagers moléculaires, constituent le langage intime de nos cellules, de la vie même, dans une certaine mesure. Lorsqu’une cellule est malade, elle émet des messagers différents. Les biologistes les appellent des Biomarqueurs, qui sont les signatures moléculaires des maladies, et c’est sur la détection de ces éléments que repose aujourd’hui nos systèmes de diagnostic les plus sophistiqués. Il se trouve qu’il y a un biomarqueur génétique spécifique, et souvent un biomarqueur protéinique spécifique, pour presque toutes les maladies et au cours des vingt dernières années, la biologie médicale a fait de grands progrès dans l’identification de ces biomarqueurs. Aujourd’hui des tests sont créés pour la détection de ces biomarqueurs et pour permettre de déterminer rapidement la nature et le degré de développement d’une maladie et le traitement à appliquer. Cette révolution-là est déjà bien avancée et continue sa
marche vers l’avenir. Les premiers systèmes de diagnostic issus des recherches sont déjà utilisés depuis trois ans dans une cinquantaine d’hôpitaux américains. Ces types de dépistages pourraient devenir une réalité courante au cours de la prochaine décennie. Les avancées très concrètes des nanotechnologies vont sans doute permettre le développement d’une médecine plus préventive et personnalisée ; elles pourraient aussi, à plus longs termes, nous confronter à des situations inédites.

Des thérapies ciblées

Un monde où le cancer ne serait plus un problème grave, mais une simple maladie comme les autres. Le cancer demeure l’une des principales causes de décès dans le monde. Certes, les malades vivent plus longtemps, mais il est toujours très difficile de traiter ceux d’entre eux, chez qui la maladie est déclarée et avancée. A Harvard medical school, des nanoparticules (capsules nanométriques) capables de cibler uniquement les cellules cancéreuses, pour leur délivrer les molécules toxiques des chimiothérapies sans affecter les autres cellules de l’organisme, ont été mises au point. La livraison ciblée permet de contrôler très précisément la destination finale des molécules utilisées. Les tests sur des modèles animaux ont permis de démontrer l’efficacité de cette approche. Ces tests ont aussi confirmé que ce procédé permettait d’administrer aux cellules cancéreuses des doses bien plus fortes et donc beaucoup plus efficaces dans le traitement du mal, sans risques supplémentaires pour les patients. On obtient plus facilement une éradication complète de la tumeur. Le procédé mis au point, des nanoparticules de livraison ciblée, ouvre de vastes perspectives et pourrait améliorer de nombreuses thérapies existantes, voire permettre le développement d’approches radicalement nouvelles et de nouveaux protocoles de traitement. Le véritable potentiel des nanotechnologies va bien au-delà des seules thérapies anti-cancéreuses. On peut développer des traitements bien plus efficaces pour les maladies cardio-vasculaires, ou encore fabriquer des vaccins synthétiques beaucoup plus puissants, bien plus performants, et qui peuvent être utilisés contre des maladies très diverses. C’est là aussi une révolution dans le domaine des vaccins. Un nouveau concept voit le jour, celui des nano-vaccins synthétiques, des nanoparticules adressées aux cellules du système immunitaire qui imitent la taille, la forme et la signature moléculaire de pathogènes naturels. Les résultats de recherches sur des modèles animaux ont montré que les particules ciblées parvenaient même à déclencher une réponse immunitaire contre une maladie non reconnue par l’organisme comme une tumeur, par exemple. Les premiers nano-vaccins synthétiques sont en phase d’essais cliniques et en cas de succès, pourraient bien être disponibles dans cinq ou six ans. Dans le traitement du VIH, le développement d’une nouvelle galénique, qui repose sur l’utilisation des nanotechnologies, fait appel à la synthèse et à la manipulation de matériels ou systèmes, destinées à optimiser l’efficacité et la tolérance des traitements antirétroviraux, incluant les molécules actuelles. Dans le cas des nanotechnologies, ce qui frappe, c’est la modestie des installations nécessaires à la fabrication de ces nouveaux médicaments. Une unité de production pour alimenter le marché mondial pourrait tenir dans une pièce de 10 mètres par 5. Cette méthode de fabrication est très sûre car tout est petit, confiné, simple à faire et utilise une technologie déjà utilisée dans l’industrie pharmaceutique depuis longtemps. Les nanoparticules pour le traitement du cancer ou les nano-vaccins ne sont que deux des premières applications du principe de livraison ciblée, mais elles ouvrent la voie à de très nombreuses autres possibilités. Dans 30 ou 40 ans, la médecine n’aura plus rien à voir avec celle qui est pratiquée aujourd’hui. Les prochaines années vont être cruciales pour le développement de ces nouvelles approches. Leur potentiel à long terme est vertigineux et entraineront des changements discrets et profonds dans nos vies.

Régénérer les tissus endommagés ou perdus

Une médecine plus efficace pourrait allonger la durée de nos vies. Mais comment pourrait-elle nous assurer une autonomie et une qualité de vie satisfaisante ? De nombreux tissus de nos corps cessent de se développer à l’âge adulte, et lorsque le temps, les accidents ou les maladies les ont endommagés, récupérer leur fonctionnalité est bien souvent impossible. Une approche nouvelle de ce problème est à l’étude dans le monde. Les nanotechnologies ouvrent des perspectives inédites à une médecine en plein essor, la médecine régénératrice. Son objectif est d’inciter les cellules de notre corps à reprendre leur croissance pour régénérer les tissus endommagés ou perdus. Durant le développement de notre corps, nos cellules reçoivent de nombreux signaux transmis par les nanostructures qui les entourent. Ces instructions les amènent à se spécialiser en tel ou tel tissus et à émettre les signaux qui vont leur permettre de se connecter pour former un organe ou un tissu fonctionnel. L’idée est de créer des nanostructures synthétiques conçues pour communiquer avec les cellules, comme si elles faisaient partie d’un tissu naturel durant son développement. Un environnement artificiel capable d’inciter des cellules à former sur commande, en laboratoire des tissus spécifiques serait déjà un accomplissement spectaculaire. Ce serait encore plus extraordinaire de pouvoir régénérer les neurones que nous perdons tout au long de notre vieillissement ou soigner, par ce procédé, la maladie d’Alzheimer ou des AVC. Avec les nanotechnologies, nous pouvons manipuler le corps humain d’une manière que nous n’avions jamais imaginée auparavant.

Améliorer et optimiser

En 2001, un rapport intitulé « Technologies convergentes pour l’amélioration de la performance humaine » est paru, qui attribuait aux nanotechnologies un rôle déterminant dans l’avènement futur d’un Homme aux capacités démultipliées par la connexion d’implants à son système nerveux. Cette idée a contribué à convaincre les décideurs américains, de faire des Nanotechnologies une priorité scientifique nationale. Certains travaux récents peuvent en effet laisser penser que nous sommes proches de la réalisation d’une interface Homme/Machine, entre notre système nerveux et des extensions électroniques, fiable. La connexion au système nerveux ne semble encore, au mieux, qu’une perspective et les nanotechnologies ne jouent aujourd’hui qu’un rôle hypothétique dans les développements à venir de ces projets. En fait, l’humain augmenté ne semble pas faire partie des objectifs de la plupart des chercheurs. Plus ils l’explorent, plus le fonctionnement du vivant à l’échelle nanométrique fascine les chercheurs de tous horizons. En rendant possible l’étude et la construction d’objets de cette dimension, les nanotechnologies ouvrent un nouveau chapitre dans l’histoire de la maîtrise de notre organisme. Elles trouvent dans le domaine de la médecine ses applications les plus immédiates et les plus indiscutables. Ces recherches n’existent que depuis une quinzaine d’années, et elles produisent déjà des outils susceptibles de faire évoluer de manière significative notre pratique de la médecine. Difficile d’imaginer à quel rythme ces nouvelles approches vont se développer, car la surprenante simplicité de leurs procédés de fabrication pourrait entrainer un essor très rapide. Mais si les résultats seront bientôt disponibles, pour qui ? Tout le monde aura-t-il accès à ces technologies ? C’est sans doute à ce niveau que se situera la véritable révolution.

Le but ultime des nanotechnologies serait-il de transformer l’être humain ?

Les nanotechnologies paraissent se développer sans contrôle, répondant au rêve d’une amélioration technologique de l’Humain lui-même. En cela, elles sont les objets d’un engouement et d’un enthousiasme tels, qu’elles ont depuis longtemps dépassé le champ des récits de science-fiction pour s’intéresser principalement aujourd’hui, à la constitution intime des matériaux et de la matière alors que leurs applications potentielles vont et irons à l’avenir, bien au-delà. Depuis plusieurs décennies, les media s’interrogeaient sur la création de machines capables de s’auto-fabriquer ; dès 1980, une publication de la Nasa passait en revue différentes méthodes pour y parvenir. Ce phénomène plausible amène une autre question tout aussi prophétique : L’Homme dépassé par la technologie, Délire ou réalité ? Aujourd’hui, d’innombrables particules, invisibles à l’oeil, figurent sur la liste des ingrédients de milliers de produits divers commercialisés. À l’échelle mondiale, le nombre de produits contenant des nanomatériaux était de 521 % entre 2006 et 2011). Cette proportion, en augmentation continue, est sans doute sous-estimée, puisque aucune réglementation globale n’oblige les firmes à recenser et inventorier les quantités produites de ces particules. Présentés comme un progrès pour la durabilité de notre activité sur Terre, des centaines de Nano-produits sont inventées pour leurs propriétés particulières et leurs supposées valeurs écologiques. De plus, ces produits bénéficient généralement du soutien indéfectible des pouvoirs publics, qui n’y comprennent rien mais qui ne veulent pas rater le virage de cette nouvelle (r)évolution industrielle. Sans aucun processus démocratique, les États investissent, sans compter, leurs deniers dans cette course aux Nanos, parfois sans prendre en considération les mises en garde des agences publiques et privées de sécurité sanitaire, contre les risques possibles. Par ailleurs, au-delà de la toxicité et des risques de ces nanoparticules pour l’environnement, ce nanomonde implique une considérable révolution anthropologique. La question sanitaire est ordinaire et toute nouvelle industrie produit de nouvelles nuisances et voit se profiler de nouveaux dangers. Les nanotechnologies et les technologies convergentes concourent avant tout à l’automatisation du Monde, s’attaquent à l’autonomie de l’humain et annoncent l’avènement de l’homme-machine. Le jour est, semble-t-il arrivé, où l’Homme serait en mesure de stocker l’Encyclopædia Britannica sur un espace de la taille d’une tête d’épingle. L’avènement des nanotechnologies, nous promet un monde où l’Homme assemblerait les atomes un à un et fabriquerait tout ce qu’il désire ; Les promesses médicales les plus hallucinantes ; Les médicaments d’un “futur proche” pouvant être distribués directement au coeur d’organes et de cellules malades, des “molécules-machines, ou nanobots” circulant dans nos vaisseaux sanguins pour surveiller et réparer les lésions, aussi grave ou microscopique soient-elles, et même plongeant dans notre ADN pour corriger les aberrations génétiques ou les mutations malheureuses, ou stopper la prolifération de tumeurs et même le vieillissement humain et prolonger la vie indéfiniment. Le processus est en marche depuis la mise au point du microscope à effet tunnel, qui a permis d’observer et de manipuler les particules à l’échelle atomique. D’autres aspirants démiurges ont résumé l’amélioration du fonctionnement humain en quatre lettres, « NBIC », Nanotechnologies, Biotechnologies, technologies de l’Information et de la communication et sciences Cognitives. À l’échelle de l’atome, il s’agit d’associer et de croiser les briques de base que sont l’atome pour la matière, les gènes pour les biotechnologies, les neurones et le bit informatique. Aujourd’hui on parle d’implantation dans le cerveau de nano-stimulateurs à impulsion et de microprocesseurs électroniques qui viendraient modifier le comportement et les humeurs par une action combinée entre les bits informatiques et les neurones, rendue possible grâce à la maîtrise de l’échelle de l’infiniment petit et à l’amélioration croissante de l’interface Homme/Machine. L’acronyme NBIC, ou l’alliance des technologies de pointe avec le vivant, au nom du progrès, fait aujourd’hui partie du langage commun des scientifiques, politiques, industriels, et du commun, au nom de la sauvegarde de l’espèce, selon certains. Les sciences et la technologie vont de plus en plus dominer le monde, alors que les populations, l’exploitation des ressources et les conflits sociaux potentiels augmentent et menacent le devenir humain. De ce fait, tous voient dans le succès de ce secteur prioritaire, l’avenir de l’humanité. Avec le projet de société NBIC, on assiste à un déclin /remplacement du réel par du “quantifiable”. Non limitée aux phénomènes physiques, la prétention du modèle des nanotechnologies s’étend aux organismes vivants, au cerveau humain et aux sociétés et pourrait déboucher sur le transhumanisme. Le monde entier deviendrait alors une expérience, un laboratoire privatisable pour toute industrie qui entendrait « améliorer » le vivant. De meilleurs esprits, de meilleurs corps, de meilleures vies deviendront les nouveaux crédos transhumanistes, selon lesquels, l’humain n’est plus destiné à devenir meilleur par l’éducation (humaniste), et le monde par une gouvernance et des réformes sociales et politiques, mais simplement par l’application de la technologie à la transformation de l’espèce humaine et de l’espace sociétal. Alors que le grand public  ne s’est pas encore saisi du phénomène, la planète scientifique et industrielle est lancée dans la course effrénée à l’innovation, avec foison d’applications. Les scientifiques, préoccupés de connaissance et de performance, pourraient se laisser déborder par les projets politiques transhumanistes, alors que les philosophes, sociologues, historiens, juristes, citoyens, capables de peser dans le bras de fer redoutable qui s’amorce, sont totalement défaillants.

Dans ce contexte et malgré le potentiel indéniable que représentent les nanotechnologies pour le développement de l'Afrique, le continent tarde à s’adapter, tout comme notre pays, d’ailleurs. Une politique multinationale sur les nanotechnologies est essentielle pour aborder le développement des ressources humaines, la coordination des activités de recherche, l’application des résultats de recherche sur les produits réels, les droits de la propriété intellectuelle et les questions d’éthiques. Afin de prévenir de futurs effets indésirables des produits issus des nanotechnologies, une approche adéquate devrait prévoir une réglementation axée sur l’analyse de cycle de vie des nanomatériaux. Celle-ci devrait inclure les aspects environnementaux et économiques, mais aussi les aspects sociaux, sociétaux et politiques, dont les préférences et les dépréciations des citoyens, la recherche et la sensibilisation du public et la couverture médiatique. En effet, seule une approche globale permettrait d’analyser adéquatement les effets sur la santé et l’environnement d’une telle innovation technologique. La réglementation de la nanotechnologie requiert aussi une coopération accrue et réelle, ainsi qu’une meilleure transmission du savoir. En ce sens une première étape serait d’accroître le savoir scientifique des décideurs, afin qu’ils puissent déterminer dans quelle mesure le droit actuel nécessiterait de nouvelles normes. Tout cadre normatif doit intégrer les connaissances scientifiques et les perceptions sociétales liées aux effets économiques et environnementaux des objets à légiférer. L’encadrement de la recherche scientifique et l'étude d’impact des nanostructures sont essentiels à la gouvernance du secteur des nanotechnologies, en raison des conséquences inédites qu’elles génèrent, par l’édiction et la prise en considération de normes sociales et économiques. En matière de gouvernance, la sensibilisation du public peut grandement influencer le développement et la mise en oeuvre de cette réglementation. En raison de la complexité de ce domaine, de l'émergence rapide des nanomatériaux dans le monde réel et de l’état des connaissances actuelles en la matière, les secteurs gouvernementaux, industriels et le grand public ont besoin d’être éduqués sur la nature et les effets possibles des nanomatériaux et nanostructures tant sur la santé que sur l’environnement et/ou la sécurité, afin d’informer la population et de permettre le développement de politiques efficaces. L’éducation de toutes les parties prenantes sociétales devrait inclure les avantages et les risques potentiels associés, ce qui est fondamental pour réduire la controverse et les craintes engendrées par le public en raison de risques inconnus.

Un sujet aussi petit pourrait renfermer tant les rêves les plus utopiques de l’humanité que les peurs refoulées d'une fin de monde apocalyptique. Cette super-science est, à l'insu du plus grand nombre, en pleine effervescence et s'apprête à transformer notre façon de vivre, de travailler et de nous amuser. Les prospecteurs du monde technologique partent maintenant dans toutes les directions, et les législateurs, à leurs trousses, essayent tant bien que mal de les suivre et de mettre un peu d'ordre dans ce chaos. Mais la mise en place de mesures normatives représente un défi au droit plus compliqué qu'il n’y paraît. En effet, les autorités publiques, habituées d'oeuvrer chacune de leur côté, doivent désormais travailler en équipe pour tenter de comprendre et de légiférer un secteur qui touche plusieurs disciplines à la fois, soit l'informatique, l'ingénierie, la biologie, la physique, la médecine et la chimie. Et c'est sans compter les questions d'éthique et de vie privée, lorsque les caméras deviendront si petites qu'elles seront à peine visibles ; Ou que les fabricants introduiront des traceurs microscopiques dans chacun de leurs produits. Dans les laboratoires, il se crée des choses que nous n'avons pas encore vu apparaître sur le marché pour le moment, mais que nous verrons, sans doute, dans cinq ou dix ans. Quel sera alors le meilleur des mondes ?

Monji Ben Raies 
Universitaire, Juriste, internationaliste
Enseignant et chercheur en droit public et sciences politiques,
Université de Tunis El Manar,
Faculté de Droit et des Sciences politiques de Tunis

 

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