Opinions - 04.07.2019

Habib Mellakh: Acte II de la mascarade footballistique de la Nuit du destin : la décision kafkaïenne de la CAF

Habib Mellakh: Acte II de la mascarade footballistique de la Nuit du destin : la décision kafkaïenne de la CAF

Le communiqué annonçant une réunion d’urgence du comité exécutif de la CAF pour le 4 juin dernier afin de  débattre «  des issues réglementaires à réserver à la rencontre » a été interprété dans les médias tunisiens  et européens comme une annonce de sanctions disciplinaires à l’encontre des joueurs du WAC qui ont refusé de reprendre le match, de l’arbitre, bouc émissaire habituel dans ce genre de circonstances,  et du président de l’Espérance accusé par le président de la CAF de l’avoir menacé devant témoins.  Aucun journaliste objectif ne pouvait imaginer que la réunion convoquée par le président de la CAF  pouvait annuler le résultat pour la bonne raison que la défaillance de la VAR, brandie par le Widad comme un argument valable  pour faire rejouer le match ne pouvait raisonnablement et décemment être retenue.  D’abord il n’y a ni dans les lois du jeu établis  par l’IFAB (l'International Football Association Board) ni dans les règlements de la CAF et de la FIFA  de clause relative à une défaillance de la VAR qui justifierait l’invalidation du résultat acquis sur le terrain. Ensuite la réunion-éclair  tenue   par les officiels de la CAF au stade de Radès   a déclaré la victoire sur tapis vert de l’Espérance. Enfin le Comité exécutif n’était pas habilité à se réunir pour remettre en question cette décision parce que cette prérogative est attribuée à une commission d’appel si bien que la convocation d’une réunion pour statuer sur une autre « issue réglementaire à réserver au match »  est une entorse à la réglementation en vigueur.
Un coup de théâtre

Aussi ce revirement spectaculaire de la CAF, attendu au Maroc par l’opinion publique, les journalistes et les dirigeants, qui ont manœuvré à qui mieux mieux pour l’obtenir,  a-t-il fait l’effet d’un coup de théâtre auprès de tous les acteurs et observateurs de la scène footballistique. Cette volte-face intervenue le 5 juin dernier après de longues palabres étalées sur deux jours lors de la réunion urgente du comité exécutif  et  le communiqué surprenant de la CAF publié  dans l’après-midi du 1 juin dernier appelant à cette réunion sont  le résultat de ces manœuvres marocaines et des pressions  énormes que les dirigeants sportifs et politiques marocains, désireux à tout prix de remettre en question la victoire de l’Espérance, considérée comme usurpée,  ont  exercées sur le président de la CAF. La volte-face a énormément surpris non seulement à cause  de l’annulation du résultat acquis sur le terrain mais  et surtout en raison du recours de la CAF à l’argument de la défaillance sécuritaire lorsque ses dirigeants se sont rendu compte que l’argument de la défaillance de la VAR ne tenait  pas la route.

Le communiqué laconique, rédigé à la hâte et lu à la fin de la réunion-marathon de Paris,  justifie la décision « de faire rejouer la rencontre sur un autre terrain en dehors du territoire tunisien » en invoquant  « les conditions de jeu et de sécurité» qui  n’étaient pas « réunies lors du match retour de la Ligue des champions empêchant le match d’arriver à son terme ». Cette volte-face a suscité une grande  indignation  parce que le génie de l’intrigue des dirigeants du football marocain et du président de la CAF les pousse à recourir à un argument cousu de fil blanc et à revêtir l’une des décisions les plus farfelues, les plus kafkaïennes et les plus injustes de l’histoire du football africain d’un habillage juridique grâce aux manœuvres des coulisses.

La défaillance sécuritaire, un argument monté de toutes pièces

Cette décision absurde, insoutenable est inquiétante pour le devenir du football africain en ce sens qu’elle légitime le forfait du Widad, sans aucun souci de créer un précédent jurisprudentiel dangereux, en recourant à un argument fallacieux, monté de toutes pièces  dans les coulisses, la défaillance en matière de sécurité. Elle substitue  cet argument sécuritaire, fruit de l’imagination des dirigeants marocains et des dirigeants  de la CAF à l’argument factuel invoqué au moment du match par les joueurs et les dirigeants marocains  et jugé irrecevable, la défaillance de la VAR. La décision est également bizarre parce que  les dispositions réglementaires relatives à la Ligue des champions ne permettent pas de faire rejouer une rencontre interrompue parce que les conditions de sécurité ne sont pas réunies.

Les faits apportent un flagrant démenti à l’allégation imaginaire de la défaillance sécuritaire. La rencontre n’a été émaillée, même au plus fort de la tension, d’aucun incident révélateur d’une défaillance en matière de sécurité. Il n’y a eu aucun envahissement de terrain, aucune forme de dérapage parmi les spectateurs. Les supporters du WAC, présents au stade,  ont eu droit au respect du public espérantiste. Le souci scrupuleux de garantir une sécurité maximale aux joueurs et au public a amené les autorités tunisiennes à déployer dans l’enceinte du stade 9200 agents de sécurité dont une brigade d’élite et 120 chiens policiers.

Les tours de prestidigitation juridique de la CAF : une violation des règlements de la CAF

Sur le plan juridique, Le communiqué vague de la CAF ne se réfère pas  aux  dispositions réglementaires étayant  la décision de faire rejouer la rencontre. Il parle contre tout bon sens «  d’une rencontre qui n’est pas arrivé à son terme » en raison de l’absence des conditions de sécurité.  Il s’agit  d’une contrevérité et d’un déni du réel puisque l’interruption du match est intervenue à la suite du retrait des joueurs marocains, que  l’arbitre a sifflé la fin de la partie après avoir attendu vainement pendant une heure et demie la reprise du jeu par les Marocains, que le président de la CAF a procédé à la remise du trophée et  des médailles et qu’il n’y a eu aucun incident affectant la sécurité durant l’ensemble du match. Mais imaginons un instant que nous sommes dans le cas de figure d’un déficit sécuritaire. La CAF est tenu par la réglementation en vigueur d’appliquer  l’article 3 du chapitre XII relatif à un match interrompu à cause d’un «  « envahissement du terrain ou de l’agression contre l’équipe visiteuse » entraînant l’arrêt de la rencontre par l’arbitre et sanctionnés par la défaite de l’équipe hôte.  Le match n’est donc rejouer ni en Tunisie ni ailleurs.

D’un  autre côté, le règlement de la Ligue des champions n’envisage en aucun cas que la CAF fasse  rejouer, dans son intégralité, un match interrompu. L’article 4 du chapitre XII ne prévoit que la reprise, à partir de la minute où  la rencontre a été arrêtée et avec le même score, d’un match interrompu pour un cas de force majeure, comme l’impraticabilité du terrain ou des conditions atmosphériques défavorables à la poursuite du match. Nous ne sommes pas évidemment dans ce cas de figure.

Les articles du chapitre XIII relatif aux pays en guerre ou à une situation affectant la sécurité d’u pays et justifiant la délocalisation de la rencontre  ne s’appliquent pas non plus, non seulement  parce que la Tunisie n’est ni le théâtre d’une guerre civile ni d’une guerre contre un occupant ni en proie à des troubles affectant la sécurité du pays mais aussi et surtout parce que ce chapitre ne concerne pas les matchs interrompus mais des matchs qui n’ont pas été encore disputés et qu’il faut délocaliser pour qu’ils soient joués dans un autre terrain que celui du territoire du pays affecté par la guerre ou par les troubles. La CAF est bel et bien dans un embrouillamini juridique inextricable qui en fait la risée du monde entier parce qu’elle cherche en vain un habillage juridique à des décisions absurdes qui ne sont étayées  ni par des faits avérés ni par la réglementation en vigueur. Sa supercherie et les tours de prestidigitation juridique de son  président ne trompent  personne mais elles trahissent le désir des Marocains, qui tirent les ficelles, de faire flèche de tout bois pour gagner à tout prix la Ligue des champions. L’argument de la défaillance de la VAR n’étant pas crédible, ils changent de fusil d’épaule et ils concoctent avec Ahmed Ahmad, à l’appui de leur demande de faire rejouer le match sur un terrain neutre, une histoire abracadabrante, elle aussi, mais  qu’ils vont essayer de rendre plus plausible que celle de la VAR, celle de la défaillance en matière de sécurité.

L’échec d’une  première tentative de délocalisation de la rencontre

Des manœuvres de coulisses antérieures  à la rencontre et destinées à la délocaliser sous le prétexte d’une défaillance en matière de sécurité ont d’ailleurs été menées  par le Widad appuyé par la Fédération royale marocaine et la CAF et montrent que les dirigeants du WAC ont caressé, bien avant le déroulement du match, l’idée de sa délocalisation sous le prétexte de la défaillance sécuritaire. Le Président de la FTF a fait état, lors de l’émission Dimanche sport du 9 juin dernier d’une correspondance en date du 28 mai dernier émanant du secrétaire général de la CAF, le marocain Mouad Hajji et exigeant de la FTF qu’elle fournisse à la CAF une attestation du ministère de l’intérieur garantissant la sécurité dans l’enceinte du stade de Radès, le jour de la rencontre (sic !), ce que la FTF a jugé inélégant et catégoriquement refusé parce que la même attestation n’a pas été exigée de la Fédération royale marocaine de football lors du match aller. D’ailleurs, le commentateur marocain de la rencontre, pour la Chaîne Beinsports, au bord du délire, n’a de cesse de réclamer au moment de l’interruption du match , contre tout bon sens et  sans raison, que les autorités tunisiennes assurent  la sécurité des joueurs et des supporters marocains comme pour accréditer les craintes irrationnelles exprimées par le secrétaire général de la CAF dans la correspondance précitée.

Cette correspondance de la CAF à la FTF demandant l’attestation susmentionnée est une réponse positive à la requête bizarre qui lui a été adressée, le même jour, par le WAC exigeant  « pour la sécurité de ses membres et de ses milliers de supporters des garanties de sécurité et de facilité d’accès aussi bien au pays hôte qu’au stade ». Cette missive est l’expression d’une phobie sécuritaire exagérée et, pour cette raison  simulée, que ni  l’histoire des confrontations tuniso-marocaines aussi bien à l’échelle des équipes nationales qu’au niveau  des clubs, qui se sont toujours déroulées sans incident, dans le respect de l’éthique sportive et dans un esprit d’amitié et de fair-play entretenu par plusieurs générations de joueurs, ni les relations d’amitié et de fraternité entre les deux pays et les deux peuples ne justifient. Ce qui scandalise dans cette lettre, ce n’est pas tant l’amnésie des dirigeants du WAC que le procès d’intention injuste fait aux Tunisiens à qui ils prêtent «  des intentions d’accueil hostiles » au point d’exiger des garanties  « de facilité d’accès aussi bien au pays hôte qu’au stade »  (sic !). La formule utilisée ne trahit-elle pas le désir secret des Marocains de jouer la rencontre non à Radès mais sur un terrain situé  en dehors du territoire tunisien, désir que la CAF ne tardera pas à satisfaire dans sa réunion du 5 juillet ?

Les dirigeants du WAC sont à la recherche d’arguments dont la crédibilité importe peu pour changer de stade. Inquiets des nouvelles rapportées par les médias tunisiens relatives à des fissures    constatées dans le virage sud du stade de Radès, les dirigeants du WAC exigent la délocalisation de la rencontre  car ils ne peuvent pas « permettre la mise en danger des supporters, des deux côtés, tunisien et marocain ». Ces scrupules honorent les dirigeants marocains (il s’agit en même temps qu’un clin d’œil aux dirigeants de la CAF pour dénigrer les dirigeants tunisiens) mais ils oublient que ce sont les responsables tunisiens qui ont signalé aux médias ces fissures et qu’une commission s’est déplacée pour les examiner et rassurer les supporters.

En dépit des allégations de certains médias marocains faisant état d’agressions contre des supporters marocains, on n’a pas enregistré un seul manquement à la sécurité, grâce à l’admirable  mobilisation des autorités sportives et des autorités politiques. Le déroulement du match dans les meilleures conditions possibles a apporté un cinglant démenti  aux craintes relatives à la sécurité et au possible effondrement d’une partie des gradins, formulées par les dirigeants marocains.

L’aboutissement d’une seconde tentative de délocalisation

Il est étonnant dès lors de les voir revenir à la charge lors de la réunion parisienne du comité exécutif de la CAN. Plusieurs journaux électroniques marocains dont Lions de l’Atlas et le Matin, qui présentent la décision de la CAF de faire rejouer le match comme une « grande victoire » pour Faouzi Lekjaa, rapportent que le président de la Fédération royale marocaine FRM, vice-président  et véritable patron de la CAF, https://www.leaders.com.tn/article/27340-prologue-de-la-mascarade-la-montee-en-puissance-des-dirigeants-marocains-au-sein-de-la-caf   a insisté « dans sa plaidoirie sur le côté sécurité pendant le match ainsi que sur les menaces proférées à l’encontre du président de la CAF, Ahmad Ahmad. Des arguments qui ont convaincu les responsables de la CAF de prendre la décision  de faire rejouer la rencontre sur un terrain neutre ». Les deux sites, évidemment acquis à la cause du WAC, reprennent les mêmes termes et sont incapables de prendre du recul pour se demander ce qui dans  les menaces précitées peut justifier la décision de la CAF.

L’évocation de ces menaces est la  reprise  des accusations portées par Ahmad Ahmad à l’encontre du président  de l’EST et ressassées par le président de la CAF devant les médias plusieurs jours après la rencontre. Hamdi Meddeb l’aurait mis  en garde contre les risques encourus en matière de sécurité  si le résultat acquis sur le terrain n’était pas confirmé par la cérémonie de remise du trophée : « Vous voulez la révolution ? » lui aurait-il dit. Ahmad  évoque un  risque  sécuritaire que les Espérantistes auraient mis en avant pour lui  forcer la main et le pousser à  proclamer la victoire de l’Espérance pour éviter la colère de ses supporters et  avoue par là même son refus d’appliquer de son plein gré l’article 17 du chapitre XI du règlement de la Ligue des champions  relatif au forfait et à la renonciation à jouer qui stipule que « si pour une raison quelconque, une équipe refuse de jouer ou quitte le terrain avant la fin règlementaire de la rencontre sans l'autorisation de l'arbitre, elle sera considérée perdante » et confirme qu’il est sous la coupe des dirigeants marocains. Ahmad Ahmad n’a jamais parlé ni d’une défaillance sécuritaire constatée pendant la rencontre, ni d’une  menace réelle pour la sécurité mais d’un prétendu chantage sécuritaire du président de l’EST  pour occulter le véritable motif de l’interruption de la rencontre, le forfait du Widad. Les responsables marocains n’ont jamais parlé avant la décision de la CAF du 5 juin de problèmes sécuritaires. D’après  Le journal électronique marocain Huffpost Maroc, le président du WAC, Saïd Naciri, a fait part, dans une déclaration du 1 juin dernier, de l’intention du WAC de saisir le Tribunal d’arbitrage sportif (TAS) et la FIFA pour protester contre «  le massacre arbitral » de la finale de la Ligue des champions. Il a également indiqué que son club ne s’était pas « retiré à cause des problèmes d’arbitrage » mais «  après le refus de l’arbitre central de consulter la VAR » ajoutant, sans se rendre compte de son ignorance crasse : « Il est interdit par les réglementations en vigueur de démarrer un match alors que la VAR ne fonctionne pas ». https://www.huffpostmaghreb.com/entry/le-wac-va-saisir-le-tas-et-la-fifa-pour-denoncer-le-massacre-arbitral-de-la-finale-wac-est_mg_5cf26051e4b0e8085e3a970b. Il n’y a dans cette déclaration aucune référence à un quelconque problème de sécurité.

Quel épilogue pour la mascarade ?

L’argument sécuritaire est une histoire à dormir debout. Monté de toutes pièces lorsque les Marocains se sont aperçus que l’argument de la défaillance  VAR ne permettait pas l’invalidation du résultat d’un match, il  sera sans doute la pièce maîtresse de la plaidoirie des avocats du WAC devant le TAS saisi de l’affaire par les deux clubs qui réclament  la victoire. Le verdict, qui s’annonce favorable à l’Espérance, est  annoncé pour le 5 juillet prochain  par les médias marocains  mais aucune information n’est publiée sur le site du TAS dans ce sens et l’examen du litige entre l’EST et le WAC ne figure pas sur la liste des audiences du TAS. La  partie marocaine ne pourra pas convaincre le TAS du bien-fondé de sa requête à moins que les Marocains et la CAF, désireux de voir l’Espérance sanctionnée, n’apportent  de nouveaux éléments et de nouvelles pièces, accablants pour le club tunisien et qui pourraient convaincre le TAS de la version de la CAF d’une rencontre interrompue pour des raisons de sécurité. C’est ce que craint le président de la FTF, Wadii Jari quand, dans l’émission Dimanche sport du 9 juin dernier, il met en garde la CAF, totalement acquise au WAC, contre la falsification de quatre rapports déterminants relatifs  à la rencontre et dont il aurait pris connaissance, dans le but d’amener le TAS à  adopter sa version rocambolesque des faits. Dans cas de figure, le TAS déclarera la victoire du WAC et le football devra faire face à un nouveau scandale qui salira à jamais l’image du football africain et la république bananière de la CAF.

Habib Mellakh

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