Malek Ben Salah: l’année prochaine commence maintenant !
Au moment où le Tunisien, à la vue de la dégringolade de son pouvoir d’achat ressent, comme un mouton,poussé par cette maladie appelée ‘’tournis’’, un besoin de se briser la tête contre un arbre ou de se mettre à tourner en rond au point de tomber comme ce mouton ! Au moment où il regarde les quelques dinars tout neufs qui lui sont remis par un caissier, quelque part, en imaginant la planche à billet qui en fabrique, presque tous les jours, par grosses liasses, sans saveur, sans odeur mais surtout sans valeur… après une vie de labeur, tout Tunisien ressent une révolte intérieure contre les X et les Y qui en sont la cause, confondant, à la fois, ces inconnus formés par un certain vendeur ambulant nommé Mohamed Bouazizi s’immolant par le feu… et déclenchant une ‘’révolution’’, qui n’en est pas une d’après certains ; ou ce gouvernement de la Troïka avec plus de 80 ministres qui a occupé la scène durant 3 longues années et les 5 ou 6 gouvernements qui l’ont suivi et aux résultats si minables et qui ont fini par terrassé ce pauvre pays…. D’où ces plateaux télévisés et médias tous azimuts … qui ne cessent de nous donner le vertige et nous dire, qu’en définitive, tout ce beau monde, c’est à dire nous tous, ne faisant que subir, subir et subir… et qu’on peut se demander si on ne risque pas un genre de «collapsus écologique (c-à-d'effondrement brutal des écosystèmes) »à l'échelle de notre agriculture, par manque de sa capacité physique et psychique à résister à court, moyen et long terme. Collapsus qui, en fait,est en train de se produire insidieusement par un cumul et une conjonction de circonstances externes (politiques, économiques, humaines) et internes (exode des jeunes vers les villes…surexploitation des ressources naturelles globalement ou régionalementou même au niveau de l’exploitation…) menant à un état des choses qui se complique par une agriculture qui ne tient plus de la gestion ‘’en bon père de famille’’ de nos agriculteurs, chercheurs ou agronomes d’antan.
Les changements climatiques… venant brouiller un peu plus la donne ; ces derniers mois, on n’a cessé de voir des journalistes, politiciens et agriculteurs … aller vers des demandes de dommages été intérêts ou des sit-in… quand de la grêle, des inondations, de la sécheresse ou encore voir des incendies atteindre les récoltes apparaissent quelque part… ; soit une simplification trop facile pour l’avenir d’un secteur aussi complexe, aussi politisé et aussi miné de toutes parts par l’homme, par les Etats ou par Dame Nature au risque d’un effondrement d’une agriculture déjà lézardée de toute part!
Avec cela et sur un plan national et les problèmes politiques, inscription sur les listes électorales, préparation des campagnes, luttes entre partis et entre hommes politiques…, qui nous préoccupe tous, on oublie, facilement qu’il y a dans le paysage une population à nourrir, que pour cela il y a une campagne agricole 2019-2020 qui doit être mieux préparée et mieux conduite que l’actuelle, et que l’année prochaine commence, en fait, maintenantpar des décisions à prendre et des budgets à réserver, planifier et même dépenser pour ce faire …,.
De quelques faux pasdepuis les débuts de l’Indépendance affectant notre agriculture
Depuis l’indépendance et jusqu’aujourd’hui, les Insuffisances et Changements d’approches, l’Incompétence, le Manque de réactivité…et, le peu de sentiments Nationalistesdont les premières générations étaient imbues, et qui nous permirent de construire la Tunisie d’après le protectorat (durant lequel les colons ont pu s’installer en toute quiétude dans des fermes modernes… avant l’apparition des premiers mouvements nationalistes en 1920) ont marqué de toute évidence la Tunisie du début du XXème siècle. Ainsi, on peut citer :
Une dissolution précipitée des chambres d’agriculture et des modes d’exploitation des fermes nationalisées à revoir
Probablement, par ignorance du rôle que peuvent jouer des chambres d’agriculture en prenant en charge une partie des activités de l’Etat, l’un des premiers faux pas effectuépar les Pouvoirs Publics d’après l’indépendance, fut la dissolution des chambres d’agriculture le 9 octobre 1957 (soit la chambre d’Agriculture française du Nord,créée en 1895, qu’on aurait dû remplacer par une autre structure professionnelle de développement, et la chambre d’Agriculture tunisienne créée en 1920 pour ‘’représenter’’ les gros agriculteurs tunisiens du Nord alors qu’on aurait dû encourager l’ensemble des agriculteurs à s’y affilier tout en les dotant de structures locales qui dynamiseraient l’action de la profession…).De même, pour la nationalisation des terres des colons,depuis le12 Mai 1964 qui, si elle répondait à un besoin politique, n’avait pas été accompagnée par le cortège de mesures nécessaires qui lui aurait assuré une relève technique adoptée auparavant et qui aurait permis la poursuite d’une modernisation progressive dans l’exploitation de ces terres (mise en application de résultats obtenus par les enseignants/chercheurs de l’ECAT et du SBAT qui travaillaient en équipes assurant un dialogue permanent et un feed-back entre la trilogie ‘’enseignant - chercheur – exploitant’’.La création d’un Office des terres domaniales, soumit au contraire, l’adoption d’approchesrépondant au‘’bon vouloir du politicien’’,accompagnées d’une minorisation du rôle des cadres formés par l’INAT et autres Institutions d’Enseignement et de Recherche… et qui ont plutôt fait perdre au secteur toute véritable possibilité d’évolution qu’imposent la fin d’un XXème siècle et le début du XXIème (Après une brève période de création d’unités de production agricoles soutenue par un fort investissement public qui les aida à réussir ; ce fut la recherche d’autres formes de gestion pour ‘’faciliter l’investissement’’… en passant successivement par l’expérience des UCP, des agro-combinats, de SMVDA… dont les résultats obtenus furent peu convaincants…)….
De l’absence d’une vision du développement de l’entreprise agricole (=l’exploitation agricole)
Jusqu’au XIIème Plan de développement agricole par lesquels était pensé le développement agricole, c’était aux différentes cultures (céréales, oléiculture, maraîchage…) qu’étaient fixés les objectifs à atteindre. Le développement de l’exploitation agricole n’était pas pris en considération, comme dans l’industrie par exemple, alors qu’elle forme ‘’le creuset’’ où sont conduites ces cultures et se développent des systèmes de production plus ou moins bien conçus ou adaptés. L’exploitant, les itinéraires qu’il applique… et l’entourage (administration, recherche, vulgarisation…)qui l’accompagne techniquement et les encouragements financiers et matériels(machinisme, agro-fourniture…) que ces Plans sont sensés lui réserver... etpermettent un véritable développementrégional….Ainsi donc, en l’absence de ce genre de vision de développement intégré au sein del’entreprise de base…, les avancées qu’a pu réaliser l’agriculture sont restées limitées et loin des potentialités qu’auraient permis les ressources naturelles et les progrès technologiques.
Pourles petites exploitations morcelées, peu ou pas viables dont la descendance quittait le maigre «patrimoine familial» pour les villes côtières .… et dont le nombre passait de 326.000 exploitations en 1961-1962 à 390.000 lors du recensement 2004-2005, soit 75% du nombre total des exploitations et couvrant 25% des superficies exploitées…, ne bénéficièrent que de maigres projets de financement mal adaptés qui ne firent que sur-endetter l’exploitant….De même pour le vieillissement des exploitants(le % d’exploitants âgés de plus de 60 ans est passée de 21% au début des années soixante à 43% en 2004) et les problèmesfonciers agricoles caractérisés par un morcellement de l’exploitation et une faible tendance à la modernisation, ilsne reçurent, en définitive, ni l’attention ni le financement nécessaires… soit des situations qui ne firent qu’aggraver et occulter le problème du grand nombre des exploitations et du faible revenu de l’exploitant.
Pour l’exploitation des terres domaniales (environ 500.000ha aujourd’hui), les Plans de Développement laissaient le gros des investissements agricoles à la charge du ‘’privé’’, alors que celui-ci était surendetté également et ayant toutes les difficultés pour se rénover ou même pour survivre. Les ‘’gros investisseurs’’ étrangers attendus pour les fameuses SMVDA… se faisant rares ou trop gourmands pour enclencher un véritable développement régional…. Un usage plus salutaire pour ces terres, aujourd’hui peu ou mal entretenues à partir d’une ‘’vision d’un développement de l’entreprise agricole’’ reste à mettre en placepour enrayer au moins une partie des maux qui accablent l’ensemble de l’économie agricole ?
Une vulgarisation malmenée par les organigrammes successifs de l’Administration, et un rôle d’acteur central qu’on refusait à l’agriculteur/chef d’exploitation
Avec le niveau d’instruction des exploitants signalé en 2004 de 84% n’ayant pas dépassé le primaire, 14% ont un niveau secondaire ou professionnel ; et un taux d'analphabétisme de 46%..., la vulgarisation des techniques les plus adaptées forme une nécessité absolue pour espérer un développement du secteur(pour les colons qui avaient le même niveau la vulgarisation avait déjà commencé avant même la mise en service d’institutions spécialisées en la matière ; j’ai retrouvé, à la Khaldounia une notice de vulgarisation datant de 1895 produite par le colon A Trouillet sur approbation du résident général…). Malmenée et rattachée d’une direction à une autre selon ‘’l’humeur’’ de ceux qui changeaient les organigrammes de l’Administration, les services de vulgarisation, après avoir eu droit à une petite apogée dans les années 1970 et le début des années 1980 par la création de Cellules Territoriales de Vulgarisation (CTV) comme lieu de rencontre de la demande et de l’offre du ‘’bon renseignement’’, ont commencé à péricliter avec le gouvernement Mzali qui a stoppé les recrutements dans la fonction publique, et, depuis, les départs à la retraite de vulgarisateur il n’y a plus de remplacement ; les CTV fermaient à chaque départ dès le milieu des années 1980 ; au point qu’il n’existe plus aujourd’hui que de rares CTV.
Cette absence d’encadrement, a eu les plus mauvaises répercussions sur la production et sur le revenu de l’agriculteur; surtout à un moment où le contrôle des prix démoralise les exploitants en ne tenant aucun compte de leurs coûts à la production alors que des mises à l’irrigation de nouveaux périmètres irrigués a lieu dans des zones habituées au pluvial et ont un besoin important en vulgarisation pour savoir où mettre les pieds…
La mise en place d’une vulgarisation professionnelle de remplacement demande une préparation méthodique, des encouragements bien conçus de l’Etat et ne peut être improvisée comme cela avait été improvisé parfois dans le passé et a forcément échoué.
Il faut donc adapter le système à nos réalités et, entre les start up pour nos jeunes et l’appel à l’expérience de certains de nos anciennes compétences… une place idoine doit être réservée à chaque cas. Le revenu assuré à travers les productions agricoles étant insuffisant, on doit intéresser l’agriculteur/chef d’exploitation à améliorer son revenu par un minimum d’industrialisation des productions de sa région en adoptant une orientation commune et intelligente pour chaque région. Des programmes de type‘’Un Village, Un Produit – OVOP’’,initiés par les Japonais, testés en Tunisie et largement reconnus pour leur efficacité quand ils sont appliqués àdes activités de groupements de production pourront contribuer audéveloppement des villages et régions où ils seront promus.
‘’Produire pour vendre’’ à l’orée d’une année nouvelle2019-2020 qui reste à organiser
En cette période où le politicien évalue les résultats de ses politiques et prépare ses solutions de rechange ; c’est, peut-être, à l’agronome de penser que la vie se continue, et qu’il faut penser aux besoins d’une population de 12 millions d’habitants pour se nourrir pendant que ‘’la démocratie’’ règle ses comptes et décide de «qui va gouverner». Par l’énumération de ces quelques faux pas, cités à titre d’exemples et, faite pour rappeler un passé récent qui n’a fait qu’aggraver la problématique de l’agriculture,et donc celui de la nourriture de cette population occultée par toutes sortes de considérations ; tend, tout simplement, à nousfaire prendre conscience que nous sommes déjà à l’orée d’une nouvelle campagne agricole qui fait suite à une année où le consommateur n’a cessé de se plaindre des prix du produit agricole, et le producteur des coûts des ingrédients qu’il utilise… Ceci et cela ne justifie-t-il pas de s’en occuperaujourd’hui avant le lendemain : une prise précoce de décisions et de la mise en place d’une organisation différente préalablement ne seraient-elles pas les bienvenues pour mieux répondre à ces situations généréesavant et après une révolution que certains commencent à maudire ! Aussi, il n’est pas tard de rappeler quelques fondamentaux quant à l’organisation de cette campagne, du ‘’que produire ?’’ ;de ‘’qui va le vendre ?’’ ; des dangers d’une campagne peu encadrée ou ‘’des innovations auxquels on peut penser !’’
Une campagne dangereuse sans un encadrement adéquat
Surtout avec l’espoir du pays d’instaurer la démocratie et après une révolution qui aspire à un mieux-être pour tous, on doit rappeler et serappeler que nous sommes à la veille d’une campagne agricole 2019-2020, qu’on ne peut accepter de regardercette agriculture entrain de s’effondrer, un pouvoir d’achat se détériorer et un consommateur s’affamer,… pendant qu’une mainmise de margoulins qui espèrent faire prendre des vessies au citoyen pour des lanternes… ; alors que des hommes d’Etat en charge de l’avenir du pays… et des hommes politiques en charge de consolider leur avenir… défient des universitaires(enseignants, chercheurs, enseignants/chercheurs,économistes…ou agronomes de terrain et agronomes de bureau…, sans souffler un mot ou émettre une idée aux concepteurs et planificateurs de budgets relatifs à une agriculture qui s’effondre …, se renvoyer la balle des années durant, ou se regarder comme…et évoquer parfois un passé… en déclarant ‘’forfait’’ devant l’immensité d’une tâche qui, faute d’actions, devient un peu plus complexe tous les jours ! C’est dire que l’agriculteur est livré à lui-même, aux mauvais choix du passé, à son sol qu’il a contribué à dégrader avec l’assistance plus ou moins inconsciente d’une administration progressivement dépouillée de ses compétences… et sans rien faire quant aux inexorables changements climatiques pour lesquels aucune sérieuse préparation n’est entreprise!
En plus de l’aspect politique de cette situation, cela me rappelleces mots-clés ‘’Produire pour vendre’’ qui, dans la bouche de l’un de nos anciens directeurs de l’Agro de Paris ; établit un parallèle entrel’action de ‘’produire’’ et l’action de ‘’vendre’’, et, qu’on ne peut concevoir de lancer des actions de production sans s’être organisé pour en vendre le produit dans les meilleures conditions ! Notion qu’on ne prône, malheureusement, pas à nos agriculteurs ; etqui perdrait son essence si elle n’est pas adoptée en haut lieu et transmise par des vulgarisateurs bien formés pour l’inculquer et la mettre dans la pratique. Au contraire, on les laisse produire comme ils peuvent et ce qu’ils peuvent (comme pour les pêches et abricots quiviennent d’être détruites pour mévente… ; ou comme pour les excédents de lait déversés dans les fossés l’an dernier…).‘’Produire pour vendre’’ n’est pas fait pour laissercette chère production entre les mains ‘’d’intermédiaires’’…peu scrupuleuxqui profiteraient de l’effort du producteur et d’un pouvoir d’achat à la limite de l’usure d’un consommateur également peu formé et peu informé en l’absence d’une politique de l’alimentation qui compléterait une politique agricole !
Du besoin d’une Instance nouvelle pour démarrer l’action
Alors que faire, en cet instant où pays est à la veille d’élections qui seront, forcément suivies de la désignation d’un gouvernement quand la campagne sera déjà avancée (Octobre et Novembre) ?Que peut-on proposer pour sauver cette campagne charnièreet à cheval entre deux gouvernements ?Comment proposer une organisation qui disposerait de moyens suffisants,capable d’innover, et à remettre entre les mains d’un gestionnaire compétent et réactif pour agir à la fois sur la préparation du sol, compenser l’usure des équipements usés, introduire davantage d’équipements complémentaires, aider l’agriculteur à effectuer ses travaux à temps, approvisionner le pays en semences, plants, engrais, pesticides, s’accorder avec la recherche, l’enseignement pour éclairer l’avenir, ouvrir l’éventail des possibilités, prendre des initiatives … et vulgariser les bonnes pratiques, regrouper des ensembles d’actions convergentes ou transversales et en améliorer l’efficacité, instauration et organisation d’une vente directe à l’instar des pays évolués… . Et s’il a été trop tôt de la programmer sur le budget 2018-2019 par les gouvernants en place, occupés plutôt par les élections, et pour laquelle le temps nécessaire pour la préparer et la faire adopter sur le budget 2019-2020 par le futur gouvernement nouveau ne permettra pas de faire des propositions valides… ; ne pourrons-nous pas innover et mieux faire aujourd’hui avant qu’il ne soit trop tard ? Espérons donc que l’agronome puisse assumer l’esprit novateur nécessaire.
L’idée donc de faire appel à un Opérateur intérimaire ou à une Instance nouvelle est défendable pour créer,auprès du chef du gouvernement,à l’instar de ces instances d’après la révolution pourconcevoir, encadrer et diriger cette campagne agricole 2019-2020,en améliorer l’impact sur le producteur et le consommateur après les difficultés rencontrées lors de la campagne 2018-2019 ! Elle aura à repenser et préparer la campagne en question en travaillant, bien entendu, avec les équipes actuelles de l’agriculture. Le bénéfice de mettre des bouchées doubles en initiant une action pareille ne reviendra-t-il pas au gouvernement Chahed !
A ne pas oublier, donc, que ‘’l’année prochaine commence maintenant ! ’’
Malek Ben Salah
Ingénieur général d’agronomie, consultant indépendant,
spécialiste d’agriculture/élevage de l’ENSSAA de Paris
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