Khadija T. Moalla: Vendues aux enchères de la honte
L’horreur a-t-elle une fin? Quand peut-on dire d’un génocide qu’il s’est terminé ou que des crimes contre l’humanité se sont achevés? Aujourd’hui je sais que l’horreur n’a pas de fin quand le bourreau s’appelle Daesh. Daesh, cette bête immonde, ce monstre enfanté dans une nuit sans lune, ne se cache plus derrière mon écran de télévision. Il est en face, sorti de la bouche de toutes ces femmes qui me racontent l’horreur que leurs semblables ont vécues. Etre vendue à 5, 10 ou 15 $, une fois, deux fois, vingt fois… l’horreur n’a pas de nom! Daesh sera toujours vivant tant qu’il hantera les jours et les nuits de ces femmes qui n’arrivent plus à cacher leur souffrance. Elles sont là en face de moi, à tout prix elles veulent s’exorciser de l’effroi qui leur étrangle la voix.
Soudain la peur s’empare de moi, je ne veux pas m’effondrer devant ces femmes qui ont besoin de ne voir que la force de mon regard, que la conviction dans ma voix, et ma promesse qu’ensemble nous allons chasser la bête immonde, ce monstre inventé en une nuit sans fin! Les commémorations du massacre du camp de Speicher, à Tekrit sont là, trop vives, trop brûlantes, car trop monstrueuses: 1700 jeunes et adolescents abattus avec un sang-froid dont seuls sont capables les mercenaires sans foi ni loi! Pourquoi?
Ma question ne recevra peut-être jamais de réponse! Qu’a-t-on fait à ce peuple pour qu’il endure 40 ans de guerre? Au nom de qui, au nom de quoi ? Je me ressaisi, au fond de moi, une douleur me noue les tripes, me serre la gorge, non je ne vais pas pleurer, je ne veux pas pleurer! Non, pas maintenant, pas aujourd’hui! Ces femmes ne veulent pas de ma pitié mais de mon empathie! Que peut-on ressentir quand on est une femme, exposée, démunie de tout support et vendue aux enchères ? L’horreur a un nom, et ce soir, à Erbil, elle m’est apparue, sortie d’un film de comédie macabre! Je me ressaisi, cela doit certainement être un cauchemar, dont je dois me réveiller au plus vite! Une main m’agrippe le cœur, me l’arrache, mes yeux écorchés vifs, mes tripes à l’air, la douleur est insupportable… Où étions-nous quand ces femmes criaient au secours et se faisaient violer? Une fois libérées, il y en a qui ont été tuées par leur familles, sous l’appellation abjecte de «crime d’honneur»! D’autres se sont suicidées ou on les a suicidées!
Je cherche dans mes souvenirs d’enfance à l’école, on m’avait appris que le verbe «se suicider» était un verbe pronominal qui ne se conjuguait qu’au passé! Telle une gifle, toutes les leçons que j’ai apprises me sautent au visage! Toutes ces leçons d’histoire tronquées racontées par les soi-disant vainqueurs, ces leçons de géographie regorgeant de cartes truquées, sources de conflits perpétuels, ces leçons de mathématiques, où seules les soustractions d’innocents à la vie comptent le plus, au lieu d’additionner des découvertes scientifiques pour faire avancer l’humanité.
Quel passé va-t-on garder en mémoire, celui des vainqueurs ou celui des vaincus? Aucun, dans ce genre de guerre, il n’y a toujours que des perdants! L’Humanité entière s’est suicidée le jour où on a collectivement permis que des telles horreurs se passent par écrans interposés et nous ne pourrons même pas dire que nous ne savions pas, le jour du jugement dernier de l’histoire! L’Histoire ne nous pardonnera pas et je ne veux même pas qu’elle me pardonne car complice je le suis, comme le reste de l’humanité pour non-assistance à peuple en danger!
Khadija T. Moalla
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