Au cœur de la matière: 150e anniversaire du Tableau Périodique des Eléments
Fleuron de la science contemporaine, le Tableau Périodique des Eléments (TPE) fête, en 2019, ses 150 ans. Le chimiste russe Mendeleïev (1834-1907) a classé les éléments alors connus selon leurs propriétés chimiques. Plus qu’un catalogue des atomes connus dans l’Univers, ce Tableau est une fenêtre ouverte sur le large pour comprendre le monde. De la géologie au noyau de la cellule en passant par le Soleil et par Mars. Le TPE montre le cheminement de la découverte scientifique et de ses retombées sur le savoir et sur notre bien-être.
A la 74e session de l’ONU à New York, en décembre 2017, l’Assemblée générale a proclamé - sur proposition de la Russie - 2019 Année internationale du Tableau Périodique des Eléments (Aipte). La coordination de cette Année revient à l’Unesco et à l’Union internationale de chimie (Iupac) avec les sociétés savantes internationales.
L’Aipte a été lancée le 29 janvier 2019 à l’Unesco, à Paris. En compagnie du ministre russe de la Science et du président de l’Académie des sciences de Paris, la directrice générale de l’Unesco a déclaré ouverte l’année du Tableau de Mendeleïev. Devant des scientifiques et des jeunes du monde entier, la cérémonie a été ponctuée de musique classique et d’exposés scientifiques. Le Prix Nobel de chimie Ben Feringa considère Mendeleïev comme un «authentique héros de la chimie», soulignant notamment l’importance de la collaboration internationale car, explique-il, les chimistes «ont un langage universel pour parler des éléments et des molécules. Ils n’ont pas de frontières.»
A travers l’Aitpe, l’ONU visait à populariser l’importance du Tableau et à promouvoir la chimie, facteur essentiel du développement durable, de la solution de défis tels que l’énergie, la pollution, l’agriculture, la sécurité alimentaire et la santé.
La cérémonie de clôture de l’Aitpe aura lieu à Tokyo en décembre prochain. Cette Année verra l’organisation de nombreuses activités: le 47e Congrès mondial de la chimie (Paris, juillet 2019) aura pour thème «Le tableau périodique a 150 ans» tandis que le Congrès Mendeleïev de chimie générale et appliquée se tiendra, en septembre 2019, à Saint-Pétersbourg : c’est à l’Université de l’ex-Léningrad, qu’en 1886, Dmitri Mendélieff fut nommé à la chaire de chimie. Il publia en 1889 un article qui fit date sur la classification périodique des éléments : un guide indispensable pour l’étude des sciences physiques, de la nature et du cosmos. Le Tableau Périodique résume, en grande partie, notre savoir sur la structure atomique et les propriétés physico-chimiques de la matière.
Une longue quête
L’histoire a retenu le nom de Mendeleïev pour sa fulgurance et son génie. On a essayé d’élaborer, au XIXe siècle, un plan cohérent pour classifier la soixantaine d’éléments alors connus. L’or, l’argent, le cuivre, le soufre ou le fer étaient connus depuis des temps immémoriaux. La fusion du plomb a commencé en Afrique il y a 9000 ans et une statuette en plomb a été trouvée dans le temple d’Osiris à Abydos.
Vers 800, Jaber Ibn Hayyan a isolé l’arsenic et l’antimoine. Cet «extraordinaire» savant a, le premier, décrit l’emploi des oxydes de manganèse dans la coloration du verre. Pour Joan Valentine (Université de Californie): «Jaber a fait des découvertes fondamentales en chimie inorganique mais il est vraisemblablement l’initiateur des méthodes de la recherche chimique moderne. » En 1669, Brandt a découvert le phosphore dans l’urine.
L’histoire du Tableau Périodique prête à controverse. Mais un consensus émerge: c’est au laboratoire de Lavoisier (1743-1794) - le mieux équipé d’Europe* - que l’aventure a commencé. Lavoisier a publié une liste exhaustive des éléments connus au XVIIIe siècle ; un élément étant une substance que les réactions chimiques ne peuvent transformer en une autre matière. Il passe inchangé d’une réaction à une autre. La chimie transforme la nature des substances mais non leur masse totale, d’où la loi de conservation de la matière énoncée par Lavoisier. Dans son Histoire socialiste de la Révolution française, Jaurès écrit évoquant ce savant : «Il ne s’occupait point de science par mode ou curiosité frivole… C’est avec un sérieux profond et une sorte de gravité religieuse qu’il étudiait les transformations secrètes de la matière…»
Lavoisier, introduisant la balance au laboratoire, arrive à définir l’élément en travaillant - aidé de sa femme - sur l’oxydation du mercure. Sept siècles auparavant, le Cordouan al-Majriti (950-1007) avait préparé l’oxyde de mercure sur une base quantitative et énoncé la loi de la conservation de la matière mais la science occidentale n’a retenu que le nom de Lavoisier, note l’historien des sciences Roshdi Rashed.
En 1789, Lavoisier publia la liste des 33 éléments chimiques classés en gaz, métaux, non métaux et terres. Mais sa contribution à la science s’arrêta net en 1794 : il fut guillotiné. Seuls 23 des 33 éléments recensés par Lavoisier se retrouvent sur le Tableau aujourd’hui. En réalité, la liste de Lavoisier n’avait pas de principe unificateur. L’idée que les composés sont formés de particules de poids différents, chaque poids représentant un élément spécifique vient de l’Anglais John Dalton. Il se révéla chercheur de talent en supposant que les éléments sont formés de petites particules invisibles, toutes du même poids. Ainsi naquit l’atome - du grec «non sécable». Dalton fonda son système de poids atomiques relatifs sur l’hydrogène, le plus léger des éléments.
Berzélius a introduit la notation actuelle des symboles chimiques du Tableau Périodique. Ce savant suédois a découvert plusieurs éléments. A lui revient le mérite de l’écriture des formules comme H2O. Si Dalton a inventé la théorie atomique, Berzélius la mit au cœur de la chimie. La pile de l’Italien Volta, en 1800, fournit de l’électricité par une réaction chimique… impressionnant fortement Napoléon.
Berzélius, au contraire, employa l’électricité pour faire des réactions chimiques (électrolyses), obtenant du cuivre pur partant d’une solution de sulfate de cuivre. L’Anglais Davy poursuivit avec l’électrolyse des sels fondus isolant le sodium et le potassium en 1807. Il montra que le chlore est un élément et non un composé de l’oxygène comme on le croyait jusque-là. La découverte d’éléments nouveaux s’accéléra ensuite. On remarqua alors des airs de famille entre eux : métaux alcalins, halogènes…La loi des triades (1829) de l’Allemand Dobreiner et celle des octaves (1864) de l’Anglais Newlands ont constitué la toute première indication d’un possible schéma d’organisation des éléments. Newlands a frôlé le succès (The Economist, 2 mars 2019).
En 1860, Bunsen, inventeur du brûleur éponyme, identifia des éléments par leur spectre de flamme. La découverte de l’hélium en 1868 dans le spectre du Soleil fut un succès phénoménal.
Résoudre la difficulté posée par les métaux de transition demanda encore quelques années. Génie avisé, Mendeleïev allait résoudre l’énigme, un jour de mars 1869, ouvrant à la science un véritable boulevard qu’emprunteront les Curie, Oppenheimer et Seaborg…. L’éclair de génie jaillit alors qu’il attendait le traîneau qui devait le conduire à la gare pour rejoindra sa datcha à la campagne. (A suivre).
Mohamed Larbi Bouguerra
* Au Xe siècle, Al Razi avait le laboratoire le mieux équipé. Loin de tout mysticisme, il a produit une classification des substances utilisées en chimie. Al Razi et Ibn Khaldoun rejetaient l’alchimie, quête de la transmutation des éléments en or.
- Ecrire un commentaire
- Commenter