News - 25.05.2019

Mohamed Larbi Bouguerra: Jeûneurs or not jeûneurs ? La circulaire de 1981 et l’hypocrisie à tous les étages

Mohamed Larbi Bouguerra: Jeûneurs or not jeûneurs ? La circulaire de 1981 et l’hypocrisie a tous les étages

Avec la régularité d’un métronome, la circulaire de 1981 revient à la une à chaque Ramadan, foulant aux pieds la lettre et l’esprit de la Constitution de 2014. Et voilà les cafés devenus bastions de la défense de la religion, des champs de bataille où l’on terrasse les non-jeûneurs pour faire triompher «la vraie» foi.

L’année dernière, cette circulaire a fait des siennes à Bizerte où des citoyens ont été condamnés pour «obscénité» pour avoir cassé la croûte au jardin public de la ville. Cette année, c’est au tour de Sfax et de Kairouan de prendre la relève… au point qu’en guise de carte de police officielle, dans la capitale du Sud, un agent exhibe son arme pour exciper de sa qualité à un citoyen !

Et une fois de plus, le Ministère de l’Intérieur nous sert des communiqués certifiés langue de bois véritable !

Pourtant, l’an dernier, M. Youssèf Chahèd en personne avait promis la disparition de la circulaire Mzali de 1981. «Parole verbale» comme disent les humoristes.

Le chef du gouvernement avait apparemment surestimé son pouvoir et ses capacités de persuasion vis-à-vis de ses soutiens politiques ! Mais, après ça, allez demander aux Tunisiens pourquoi ils n’ont pas confiance en leurs politiciens et en leurs promesses!

Le plus étonnant est que ceux qui se prétendent les défenseurs de la foi (de quel droit et à quel titre du reste ?) ignorent ou oublient ces sentences que nous calligraphiions à longueur d’année dans notre jeunesse : «Pas de contrainte en matière religieuse», «Vous avez votre religion et j’ai la mienne». Pour ne rien dire de ces vers d’Abou al Alaâ al Maari qui disent en substance : «Dieu préfère celui qui, intentionnellement, ne fait pas la prière à celui – hypocrite - qui la fait pour tromper son monde.»
Dans un registre proche, Bayazid Bastami- le «sultân al-ârifîn» du soufisme perse disait : «L’impiété de ceux qui aspirent ardemment est plus saine que la foi des indolents.» (Traduit par notre regretté ami Abdelwahab Meddeb).

De son côté, Victor Hugo disait : «Quand je lis le Tartuffe, je me dis: Sois hypocrite si tu veux, mais ne parle pas comme un hypocrite.»
Pire.

On n’entend guère ces défenseurs de la foi quand il s’agit des spéculateurs et des contrebandiers qui font disparaître des marchés des produits essentiels à l’approche du Ramadan. Qui font flamber les prix et sucent le sang des Tunisiens. Ces malandrins sont-ils moins dangereux pour la religion que les non-jeûneurs ? Ou bien le Capital est-il plus sacré aux yeux de ces imams et donc intouchable ? On n’entend guère tonner ces imams improvisés contre ceux qui vendent des pâtisseries frelatées et des produits toxiques qui expédient à l’hôpital des enfants voire des familles entières. Est-ce ainsi que l’Islam demande à ces ouailles de vivre… pendant le Ramadan? Pourquoi le ministre des Affaires religieuses, le mufti, l’imam de la Zitouna et les oulémas d’Ennahda ne soufflent-ils mot de ces horreurs et n’en condamnent-ils pas les auteurs à la télévision, dans les médias et du haut de leur minbar?

Les religieux devraient se méfier. Rappelons- leur que Marx accusait la religion d’être l’opium des peuples car elle  les empêchait de voir l’exploitation capitaliste. En réalité, le capitalisme a continuellement miné la religion en promettant que l’avenir sera en fait matériellement meilleur non par la volonté divine mais par la grâce du marché.
On n’entend guère les soi-disant défenseurs de la foi quand certains transforment le Ramadan en mois de bombance et de farniente, que le pays tourne au ralenti et que certains s’endettent pour sacrifier à la grande bouffe. 

Nous calligraphiions jadis soigneusement ce hadîth : «Nous sommes un peuple qui ne mange que quand il ressent la faim et quand nous mangeons, nous ne nous rassasions jamais.»
Nos gouvernants se gargarisent de «tolérance», sortent à cet égard le pèlerinage de la Ghriba comme un joker imparable mais laissent en place cet instrument d’intolérance et d’intrusion dans la vie privée des gens que constitue cette circulaire scélérate de 1981.
En un mot comme en cent, la circulaire 1981 est anticonstitutionnelle et, en tant que telle, elle doit être abolie. Comme doivent être condamnés tous les spéculateurs qui cherchent à s’enrichir durant ce mois de jeûne.

L’hypocrisie et les hypocrites minent ce pays et ses valeurs! On en a assez!

We are fed up ! comme disent les anglophones.

Mohamed Larbi Bouguerra


 

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9 Commentaires
Les Commentaires
Orq - 25-05-2019 15:39

Les jeunes ont désormais la haine de ces "Capitallahistes" comme se plait à les appeler notre cher "Z" le caricaturiste..!

ridha - 25-05-2019 16:36

il s'agit tout d'abord de savoir vivre et de l'étiquette de respect de l'autre, si vous nous cassez la tete avec Marx, pour ne pas dire un gros mot, moi je vous dit, que votre idéologie vous aveugle et vous ne voyez que la moitié vide du verre, on attend des sages comme vous de dépasser ces formalités et de vous occuper de l'essentiel

mohamed bouzaiane - 25-05-2019 17:23

Je partage votre avis, l’hypocrisie n’est pas étrange à un nombre important de musulmans et de politiciens. Dans un pays démocratique, chacun est libre de pratiquer sa croyance aux limites du respect des autres. Un musulman ordinaire, qui n’est ni imam ni savant en islam, se sent frustré devant l’irrespect de la pratique du jeun par ses autres concitoyens. Il est très désagréable de se sentir étranger chez soi, dans un pays constitutionnellement musulman. Certes, je partage avec vous, cher professeur, le dédain de l’hypocrisie, derrière laquelle se cachent un nombre de musulmans qui ferment les yeux devant d’autres violations comportementales vis-à-vis des musulmans pratiquants. Or, le problème ne réside pas dans le fait d’avoir faim ou de ne pas l’avoir, car le fonds n’est pas physiologique. Il est comportemental et concerne l’irrespect des uns les autres, sans que les autorités puissent rétablir de l’ordre. En effet, aucune autorité locale n’a été capable depuis 2011 de faire respecter les rapports normaux et légaux entre les Tunisiens. On constate alors, que presque personne ne respecte plus le code de la route, que n’importe quel groupe puisse décréter l’arrêt de travail ou barricader la voie publique pour des motifs négociables. La pédophilie, la zatla, la consommation de l’alcool sur les lieux publics, sont présents au quotidien voire se sont intensifiés depuis 2011, et ce sans parler du comportement souvent désagréable d’une partie de l’élite qui représente le peuple Tunisien (diffusion publique à la TV nationale). Ainsi, cher professeur à qui je garde un immense respect, je partage votre réaction concernant l’hypocrisie de l’organe exécutif de notre pays et je cite comme exemple le proverbe Tunisien dont l’équivalent est : en quoi gène le doigt de la sage femme, une dame qui vient d’accoucher ? En effet, le constat de l’incohérence dans notre comportement social et dans nos rapports des uns avec les autres est flagrant. Chacun de nous se prend pour un petit dieu et se croit capable d’apporter des solutions à toutes les questions de la vie et voire de la mort. Il est vrai que chacun des Tunisiens est libre, mais il l’est dans les limites des codes sociaux et comportementaux qui nous permettent de partager ensemble et en paix l’espace et le temps publics. Faut-il ré esquisser le mental individuel, puis collectif pour en dégager ensuite des règles qui seront respectées et qui feront bonheur à tous les Tunisiens, en vue de vivre en paix et sans frustrations maladives Mon grand respect de Tunisien Musulman à tous mes concitoyens, toutes croyances confondues, notamment à mes professeurs qui méritent toujours de l’estime et de la considération.

Abdelkader - 26-05-2019 16:26

L'espace public appartient à tous , pas plus aux jeûneurs , qu'aux non-jeûneurs et il appartient à la majorité ( les jeûneurs ) de faire respecter les droits de la minorité ( les non-jeûneurs . ) Or invoquer le respect d'autrui dans l'autre sens , est pour le moins une tartufferie !

Ali Djerbi - 26-05-2019 20:33

Merci si l'Arbi de faire ce rappel mais comme vous le dites la majorité des Tunisiens sont hélas sous emprise de "l'opium".

Cheikh - 26-05-2019 23:00

Ne mélangez pas différents thèmes et Comportements qui n’ont rien à voir avec les préceptes de l’islam et surtout éviter de généraliser . Nous vivons dans un pays musulman qui pratique en majorité le jeûne au mois de Ramadhan. Ceux qui veulent casser la croûte ( pour différents motifs y compris médicaux n’ont qu’à le faire chez eux ou en cachette par respect à ceux qui jeûnent.) il n’est pas question de valoriser ceux qui sans motif acceptable ) ne jeûnent pas et donnent le mauvais exemple à nos jeunes.

Mohamed Samy Chaouch - 26-05-2019 23:49

Je suis totalement d'accord avec les commentaires éminemment pertinents de Monsieur Mohamed BOUZAIANE et je le remercie d'avoir si bien résumé la situation régnante dans notre pays. Ayant été dans les années 80 étudiant de notre cher Professeur Monsieur Mohamed Larbi BOUGUERRA alors que je préparais un AEA de chimie, je lui voue également estime, considération et respect, lisant par ailleurs tous ses articles fort instructifs, avec avidité et intérêt (dans les sens intellectuels des termes). Le respect des uns aux autres, celui de la majorité à la minorité et vice versa, est la vertu qui nous fait malheureusement le plus défaut et c'est facilement constatable dans tous les milieux de vie soient ils, familial, scolaire, professionnel et social comme l'a décrit Monsieur BOUZAIANE. Le cercle familial petit ou grand se délaissant de plus en plus de sa composante éducative précédé en cela par l'espace scolaire, notre jeunesse est abandonnée à elle même face à la profusion de prêcheurs douteux et autres illuminés de tous acabits (politiciens, religieux, producteurs de feuilletons ou émissions télé,...). Le bel exemple et le bon goût deviennent une denrée rare, les repères disparaissent et les limites s'estompent. Devant cette situation préoccupante, je lance un appel, comme une bouteille à la mer, à notre élite (la vraie et elle existe, pas celle que l'on voit le plus souvent sur les plateaux TV ou que l'on écoute aux radios) pour examiner les moyens de mettre en place, promouvoir et diffuser une sorte de Code de Conduite du Tunisien qui puisse recueillir un maximum d'adhésion pour un savoir vivre ensemble en dehors de tout aspect politique, corporatiste, religieux, idéologique ou autre intérêt à part celui de notre pays. C'est à mon modeste avis la voie salvatrice à même de nous extraire du marasme généralisé dans lequel nous pataugeons (Imaginez chacun de nous faisant correctement son travail et ayant du respect pour les autres). Revenant au vif du sujet soulevé par notre cher professeur et entre autres bénéfices, toutes mesures, textes biaisés ou controversés dont la fameuse circulaire de 1981 (s'il est avéré qu'elle existe réellement), seront en l'occurence caducs de facto. Tout projet commence par un rêve, nous faut il pas rêver ? A bon entendeur, salut.

Touhami Bennour - 27-05-2019 03:13

Je donne mon accord total au kommentaire de Mohamed Bouzaiane.

sk - 27-05-2019 09:50

nous rêvons toujours de cette "société utopique", ou les pratiquants et non pratiquants cohabitent sans jugements et d'un gouvernement laïque. Bien qu'en 2011 nous avons eu l'impression de nous en approcher, ce rêve ne semble être aujourd'hui qu'une illusion!

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