News - 09.04.2019

Pourquoi le FMI revoit à la baisse la croissance mondiale en 2019

Pourquoi le FMI revoit à la baisse la croissance mondiale en 2019

Taoufik Habaieb,Envoyé spécial de Leaders, à Washington DC - Pour la deuxième fois consécutive depuis octobre dernier, le FMI abaisse ses prévisions pour l’expansion économique mondiale en 2019, révisant son estimation de la croissance de 3.5% (en janvier dernier) à 3.3, soit, 0.2 points de moins. Elle devait rebondir, au cours du deuxième semestre 2019 si les pressions inflationnistes s’atténuent et les perspectives des tensions commerciales entre la Chine et les Etats-Unis s’améliorent. Le FMI s’attend à une reprise de la croissance à hauteur de 3.6% en 2020 pour se poursuivre à 3.5 après 2020. Dans son analyse, le Fonds estime que pas moins de 70% de l’économie mondiale est concernée par cette baisse de la croissance en 2019 qui frappe une large palette de pays, parmi les économies confirmées, comme celles fragilisée.

Si la récession n’est pas pour le moment à craindre dans l’immédiat, elle n’en demeure pas moins non-exclue, affirment nombre de hauts dirigeants du FMI, interrogés par Leaders. La liste des risques et menaces est bien longue, affirment-ils. Le plus important à leurs yeux, c’est que les décisionnaires politiques ne viennent pas compliquer la situation par leurs maladresses économiques, financières et sociales, et tout compromettre. Les batailles politiques doivent s’arrêter pour laisser l’économie et les financer retrouver leurs bonnes couleurs.
La situation est préoccupante, soulignent-ils car on n’arrive ni à évaluer quel degré pourrait prendre cette récession, ni estimer la capacité réelle de résilience. Tout devient imprévisible, à l’instar du Brexit Deal or Not Deal, de la volonté de l’Italie de quitter la zone euro et sa nouvelle politique bancaire, ou encore les relations Chine - Etats-Unis - Europe.

Quand essaye d’explorer les perspectives du futur, c’est l’intégration économique et commerciale qu’il convient d’examiner en tout premier lieu. Un deuxième indicateur est important, le capital et sa capacité à financer la technologie qui, à son tour, contribue au progrès et au bien être, si elle est utilisée à bons escient.

Face à l’ampleur du ralentissement économique et du stress de la dette publique, nombre de pays se replient sur eux-mêmes. Dans un nationalisme économique, comme America First et autres, ils se concentrent sur leurs affaires intérieures et n’accordent plus la même attention qu’auparavant aux règles internationales et accords bilatéraux et multilatéraux.

Taoufik Habaieb,

Envoyé spécial de Leaders à Wshington DC

Analyse du FMI

Il y a un an, l’activité s’accélérait dans presque toutes les régions du monde et il était prévu que la croissance mondiale atteindrait 3,9 % en 2018 et en 2019. Un an plus tard, les choses ont bien changé : l’escalade des tensions commerciales entre les États-Unis et la Chine, les tensions macroéconomiques en Argentine et en Turquie, les perturbations du secteur automobile en Allemagne, le durcissement de la politique du crédit en Chine et le resserrement des conditions financières, conjugués à la normalisation de la politique monétaire dans les plus grands pays avancés, ont contribué à un fléchissement marqué de l’expansion mondiale, surtout au deuxième semestre de 2018. Comme cette faiblesse devrait persister au premier semestre de 2019, les Perspectives de l’économie mondiale (PEM) prévoient un ralentissement de la croissance en 2019 pour 70 % de l’économie mondiale. La croissance mondiale, qui a culminé à près de 4 % en 2017, a fléchi à 3,6 % en 2018, et devrait encore ralentir en 2019, à 3,3 %. Bien qu’une croissance mondiale de 3,3 % demeure raisonnable, les perspectives de nombreux pays sont très moroses, avec des incertitudes considérables à court terme, d’autant que les taux de croissance des pays avancés convergent vers leur potentiel modeste à long terme.
 
Si l’année 2019 a mal commencé, un rebond est attendu au deuxième semestre. Cette accélération s’explique par une politique économique fort accommodante dans les grands pays, grâce à l’absence de tensions inflationnistes en dépit de la réduction des écarts de production. En réaction à la montée des risques mondiaux, la Réserve fédérale américaine a décrété une pause dans le relèvement des taux d’intérêt et a indiqué qu’elle ne procéderait à aucune hausse pendant le reste de l’année. La Banque centrale européenne, la Banque du Japon et la Banque d’Angleterre ont adopté une politique monétaire plus accommodante. La Chine a intensifié sa relance budgétaire et monétaire afin de contrer les effets négatifs des droits de douane. Par ailleurs, les perspectives concernant les tensions commerciales entre les États-Unis et la Chine se sont améliorées, et un accord semble prendre forme.

Ces ripostes ont contribué à inverser le durcissement des conditions financières à des degrés divers à l’échelle internationale. Les pays émergents ont enregistré une reprise des flux d’investissements de portefeuille, une baisse des coûts de l’emprunt souverain et une appréciation de leur monnaie par rapport au dollar. Si l’amélioration sur les marchés financiers a été rapide, celle de l’économie réelle doit encore se matérialiser. Les indices de la production industrielle et de l’investissement demeurent faibles pour la plupart des pays avancés et des pays émergents, et le commerce mondial ne s’est pas encore redressé.

Une amélioration est attendue au deuxième semestre de 2019, et la croissance économique mondiale devrait remonter à 3,6 % en 2020. Cette accélération repose sur un rebond en Argentine et en Turquie, ainsi que de meilleurs résultats dans une série d’autres pays émergents et pays en développement en difficulté, et est donc exposée à une grande incertitude. Au-delà de 2020, la croissance se stabilisera aux alentours de 3½ %, poussée principalement par la croissance en Chine et en Inde, ainsi que leur poids de plus en plus important dans le revenu mondial. Dans les pays avancés, l’expansion continuera de ralentir progressivement à mesure que les effets de la relance budgétaire américaine s’estompent et que la croissance tend vers le potentiel modeste de l’ensemble du groupe, étant donné le vieillissement de la population et la faible augmentation de la productivité. Dans les pays émergents et les pays en développement, la croissance se stabilisera aux environs de 5 %, quoiqu’avec des variations considérables d’un pays à l’autre, car le niveau modéré des prix des produits de base et les troubles civils pèsent sur les perspectives de certains de ces pays.

Si les perspectives globales restent favorables, de nombreux risques existent. La trêve sur le plan du commerce est fragile : les tensions pourraient reprendre et se propager dans d’autres domaines (tels que l’industrie automobile), avec de fortes perturbations des chaînes d’approvisionnement mondiales. La croissance chinoise pourrait être inférieure aux prévisions, et les risques entourant le Brexit restent élevés. Face à la vulnérabilité financière considérable qui est liée à l’endettement élevé des secteurs privés et publics dans plusieurs pays, y compris les risques de spirale perverse entre États et banques (par exemple, en Italie), les conditions financières pourraient changer rapidement en raison, par exemple, d’un épisode d’aversion au risque ou d’un Brexit sans accord.

Comme une expansion faible est prévue pour des parties importantes du monde, les perspectives pourraient s’assombrir considérablement si ces risques se concrétisaient. Cela se produirait à un moment où la marge de réaction monétaire et budgétaire conventionnelle est faible. Il est donc impératif d’éviter de faux pas coûteux. Les dirigeants doivent coopérer pour veiller à ce que l’incertitude entourant les politiques économiques ne pèse pas sur l’investissement. La politique budgétaire doit chercher à soutenir la demande tout en veillant AVANT-PROPOS Fonds monétaire international | Avril 2019 ii AVANT-PROPOS à ce que la dette publique reste sur une trajectoire viable, et le dosage optimal de la politique économique dépendra des circonstances propres à chaque pays. En ce qui concerne le secteur financier, il s’agit de s’attaquer aux facteurs de vulnérabilité de manière préventive en déployant des outils macroprudentiels. Les pays exportateurs de produits de base à faible revenu doivent diversifier leur économie en dehors de ces produits, étant donné la morosité des perspectives de prix de ces produits. La politique monétaire doit rester tributaire des données, être bien communiquée et veiller à ce que les anticipations inflationnistes demeurent ancrées.

Dans l’ensemble des pays, il est impératif de prendre des mesures qui stimulent la production potentielle, améliorent l’inclusion et renforcent la résilience. Un dialogue social qui rassemble toutes les parties prenantes pour s’attaquer aux inégalités et au mécontentement vis-à-vis du monde politique profitera à l’activité économique. Il est nécessaire de renforcer la coopération multilatérale afin de résoudre les différends commerciaux, de s’attaquer au changement climatique et aux risques liés à la cybersécurité, et d’améliorer l’efficacité de la fiscalité internationale.

La présente édition des PEM aborde aussi trois grandes questions auxquelles il faut s’attaquer pour accélérer la croissance à long terme. La première est la hausse des inégalités, la deuxième, la faiblesse de l’investissement, et la troisième, la montée du protectionnisme commercial. Le chapitre 2 examine l’évolution de la puissance de marché des entreprises (mesurée par leurs marges) et comment elle explique plusieurs phénomènes macroéconomiques, notamment la faiblesse de l’investissement et la baisse de la part du travail qui contribue à alimenter des inégalités. Il est noté que la hausse globale des marges depuis 2000 est modeste et que, en conséquence, les implications macroéconomiques sont relativement modérées. Cependant, les chiffres sont très hétérogènes : l’augmentation globale s’explique principalement par une hausse plus marquée des marges pour un petit nombre d’entreprises qui sont les plus productives et les plus innovatrices. La montée de la puissance de marché globale semble donc être pour l’instant moins une question de faible concurrence que d’une dynamique du « presque tout va au gagnant », où les marges compensent en partie l’investissement dans des actifs intangibles. Toutefois, à terme, cette domination du marché pourrait conduire à des avantages injustes qui nuisent à l’entrée sur les marchés et à la concurrence, et, surtout, pèsent sur l’investissement et l’innovation. Il est donc important de réduire les obstacles à l’entrée sur les marchés, ainsi que de réformer et de renforcer les lois sur la concurrence afin qu’elles correspondent mieux à la nouvelle économie.

Le chapitre 3 présente les avantages que représente une réduction des obstacles au commerce pour l’investissement. Au cours des trente dernières années, les prix relatifs des machines et des équipements ont diminué dans tous les pays, en raison d’une augmentation de la productivité dans le secteur producteur de biens d’équipement et de l’approfondissement de l’intégration commerciale. Cette baisse des prix a contribué à la hausse des taux d’investissement réels dans les machines et les équipements, ce qui a profité aux pays en développement. La montée des tensions commerciales pourrait inverser cette baisse des prix et nuire à l’investissement alors que ce dernier est déjà faible : il est donc d’autant plus nécessaire de résoudre rapidement les différends commerciaux.

Le dernier chapitre examine le lien entre les droits de douane bilatéraux et les déséquilibres commerciaux. Les frictions commerciales entre les États-Unis et la Chine ont attiré l’attention sur la question de savoir si les déséquilibres commerciaux bilatéraux peuvent, ou doivent, être résolus au moyen de mesures commerciales bilatérales. Ce chapitre démontre que le lien entre les deux est précaire. Les balances commerciales bilatérales depuis le milieu des années 90 s’expliquent principalement par des forces macroéconomiques globales qui déterminent les balances commerciales globales au niveau national et ont bien moins de rapport avec les droits de douane bilatéraux. Un ciblage des balances commerciales bilatérales ne fera probablement que détourner les échanges, ce qui aurait un effet faible sur les balances nationales. Ce chapitre aide à expliquer pourquoi, en dépit des mesures tarifaires, le déficit commercial des États-Unis se situe aujourd’hui à son plus haut niveau depuis 2008. Il est noté aussi que l’incidence négative des droits de douane sur la production est bien plus marquée aujourd’hui qu’en 1995, en raison du rôle plus important joué par les chaînes d’approvisionnement mondiales dans le commerce mondial.

C’est une année délicate pour l’économie mondiale. Si les risques de dégradation ne se concrétisent pas et si les mesures mises en place pour soutenir l’activité sont efficaces, la croissance mondiale retrouvera un niveau de 3,6 % en 2020. Si, cependant, l’un des risques majeurs se concrétisait, les redressements attendus dans les pays en difficulté, les pays tributaires de leurs exportations et les pays lourdement endettés ne se produiraient peut-être pas. Dans ce cas, les dirigeants devront ajuster leur action. En fonction des circonstances, il s’agira peut-être d’engager partout une relance synchronisée et propre à chaque pays, qui serait complétée par une politique monétaire accommodante. La synchronisation peut rendre la relance budgétaire plus efficace grâce à des effets de signalisation qui renforcent la confiance des ménages et des chefs d’entreprise, et à l’atténuation des fuites par le biais des importations. Enfin, il reste essentiel que les institutions multilatérales disposent de ressources adéquates pour conserver un dispositif efficace de sécurité mondiale, qui sera utile pour stabiliser l’économie mondiale.

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