Habib Touhami: Des «sauveurs» à la pelle, mais point de salut
La Tunisie manque de tout paraît-il, sauf de sauveurs. En effet, notre pays manque d’eau, de pluie, de ressources naturelles, de minéraux stratégiques, de gaz, de pétrole, etc. Il manque aussi de travail, de compétitivité, de productivité, de véritables entrepreneurs économiques, de rigueur dans la pensée, de clairvoyance dans la gestion des affaires publiques, de citoyenneté, de tempérance, de savoir-vivre, sans oublier un bon nombre d’autres nécessités. Mais il ne manque apparemment pas de sauveurs ou plus exactement de politiciens se présentant comme tels. Au rythme où vont les choses, le nombre de candidats à l’élection présidentielle de 2019 pourrait atteindre la cinquantaine ou la dépasser allègrement. Le nombre de listes aux élections législatives pourrait battre, lui aussi, tous les records.
A ce rythme, les murs sur lesquels s’afficheront les candidatures n’y suffiront pas. Il faudra inventer des murs extensibles à souhait. A ce rythme, les émissions de propagande électorale à la télévision et à la radio s’allongeront jusqu’au petit matin. A ce rythme, les électeurs décidés à voter seront obligés de se munir d’un cabas multifonctions avant d’entrer dans l’isoloir, corriger leur vue et s’armer de patience, de bouteilles d’eau et de barres énergétiques. A ce rythme, la sécurité aux bureaux de vote requerra la présence de médecins urgentistes, d’ambulanciers et de membres de la protection civile en plus des forces de l’ordre. Cela devient ridicule et triste.
Plus l’horizon s’obscurcit, plus il y a de sauveurs déclarés. Plus les institutions mises en place il y a cinq ans montrent des signes évidents de décrépitude, plus il y a de sauveurs putatifs. Pourtant, aucun de ces sauveurs patentés n’est un authentique homme de rupture. Aucun d’eux ne propose un programme politique, institutionnel et socioéconomique «tranchant», cohérent et convaincant. Or, il n’y a jamais eu dans l’histoire humaine un sauveur qui ne soit pas un homme de rupture, du moins à ses débuts, quitte à rassembler par la suite.
En fait, le point commun à tous nos sauveurs est qu’aucun parmi eux n’exprime des idées claires sur quoi que ce soit. Quel est leur programme pour remettre de l’ordre dans le pays, l’Etat et l’économie et quelles décisions concrètes comptent-ils prendre à cet effet? Zéro ! Quelle est leur position vis-à-vis du mode de scrutin, de l’inversion du calendrier électoral ? Zéro ! Que faut-il faire exactement pour sauver la santé et l’école publiques et avec quels moyens? Zéro ! Quels sont leurs choix en matière d’emploi, de sécurité sociale, de politique de salaires et de revenu ? Zéro ! Quelles sont leurs propositions concernant l’avenir de l’industrie, de l’agriculture et des services ? Zéro ! Aucun engagement précis, aucun échéancier, aucun chiffrage. Ce ne sont que poncifs et phraséologie creuse.
En politique comme en religion le sauveur ne se conjugue qu’au singulier, jamais au pluriel. La multitude lui va mal. A toute époque, le sauveur trône seul sur la scène publique. Certes il y a eu quelques rares exceptions comme Moïse qui avait demandé à Dieu de lui adjoindre son frère Aaron comme porte-parole. Mais Moïse était un prophète et de toute façon Aaron n’avait, si j’ose dire, qu’un CDD, pas un CDI. Alors revenons sur terre et cherchons le salut à l’intérieur de chacun d’entre nous au lieu de le chercher parmi nos nombreux et présomptueux «sauveurs» qui ne sont en fait que de simples mortels, nullement «inspirés» de surcroît et bien loin d’être sages ou exemplaires.
Habib Touhami
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Bravo.