Riadh Zghal réagit au livre « J'y crois toujours» de M.K. Nabli
Qu’un éminent économiste comme Mustapha Kamel Nabli à la riche expérience - rarement réunie chez un seul homme-de professeur universitaire, ministre, haut responsable dans des organisations internationales intitule aujourd’hui un livre J’y crois toujours, au-delà de la débâcle …une Tunisie démocratique et prospère, voilà qui apporte un souffle d’espoir dans cette atmosphère morose du pays.
Mustapha Kamel Nabli déploie remarquablement une panoplie d’outils d’analyse économique de la situation dans le pays, sans concession aucune et pas seulement. Il définit et développe des voies de sortie à court et à long terme selon une approche économique dominante. Cependant, ce qui a attiré mon attention, moi qui ne suis pas économiste, c’est au moment où l’auteur touche le cœur du problème de notre pays, lorsque dans la troisième partie du livre, il propose «un scénario de sortie «miraculeuse» rapide de la crise économique.» S’il qualifie ce scénario de miraculeux, c’est parce qu’il reconnaît qu’il est difficile à réaliser du fait «qu’il dépend de l’humain, de sa volonté et de sa détermination». Il a bien raison, l’humain est effectivement le cœur du problème que l’on a omis depuis janvier 2011, croyant d’abord que tout peut être résolu en multipliant les institutions. Or, comme l’avait montré Michel Crozier, il ne suffit pas de décrets pour changer la société.
Pour traiter cette immense difficulté relative au facteur humain, la stratégie proposée par l’auteur s’appuie sur quatre composantes: la résolution de la crise politique, ce qui ramène à la question de la constitution, celle du système électoral actuel qui ne permet pas de dégager une majorité en mesure de gouverner et d’être redevable, la stabilité du gouvernement et les relations entre pouvoir exécutif et pouvoir législatif.
Tout cela paraît très rationnel et bien pensé. Mais où se place la volonté humaine? Comment dépasser les dysfonctionnements politiques que l’auteur considère comme condition nécessaire à la résolution des problèmes économiques? MKN trouve la réponse dans un «Pacte fondamental» ou «Constitution» économique et sociale». Ce «pacte» servirait de socle consensuel, de référentiel accepté par le plus grand nombre pour conduire les réformes douloureuses devant aboutir in fine au redressement économique, à l’éradication de l’exclusion et au renforcement de la démocratie. Mais l’auteur reste peu explicite sur les procédures, les outils, les leviers qui permettraient l’application généralisée d’un tel pacte. De toute évidence, ces questions sont moins d’ordre économique que socio-politique. Et en démocratie, même naissante, accompagnée d’un climat de méfiance généralisée, les décisions au sommet sont peu opérantes, ce qui ne s’explique pas seulement par la faiblesse de l’Etat et la décrépitude des institutions. Un pacte social national aura du mal à passer auprès de la population s’il est établi par l’establishment des partis et des représentants d’ONG en vue à la capitale.
Si on reconnaît que pour redresser la situation économique, la question centrale est d’ordre politique, humain et de confiance dans les institutions, alors il faudra chercher à ce niveau les voies pour l’action permettant l’aboutissement aux résultats recherchés.
Si, par exemple, on pousse la logique politique jusqu’au bout afin d’atteindre l’objectif évoqué par MKN de formation d’un gouvernement stable, il faudra une coalition de partis/hommes/ femmes politiques de manière à constituer une masse critique politique à laquelle peut s’adosser ce gouvernement. Et si on pousse la logique démocratique jusqu’au bout, il faudra miser sur la décentralisation pour former les bases des choix politiques engageants pour tous. Une fois les orientations politiques établies (je ne parle pas de modèle), il y a un travail à faire de communication, de pédagogie auprès de tous les acteurs sociaux, qu’ils soient dans l’administration, la société civile ou les secteurs économiques public et privé. Il ne s’agira pas de pacte souvent perdu de vue une fois les signatures apposées, mais de démocratie délibérative qui, à la fois, structure un sens partagé de l’intérêt national commun et fait remonter à la surface des perceptions, des besoins pouvant varier d’une région à l’autre, d’une catégorie à l’autre, ainsi que des modalités de mise en œuvre des choix politiques adaptées à chaque contexte. Car pour résoudre des problèmes complexes, il faut, comme disait Descartes, diviser les difficultés.
A cet égard, les institutions décentralisées auront un rôle crucial de proximité à jouer aussi bien pour élaborer des modalités d’action que pour stimuler l’engagement des acteurs pour le développement. L’ère des choix pris au sommet est révolue, fussent-ils les mieux intentionnés. La participation de la société civile au sommet ne peut à elle seule assurer l’engagement lorsqu’il faudra passer à l’action. L’action implique responsabilité et la responsabilité aide à faire des concessions qui s’imposent dans la situation actuelle de notre pays qui souffre de tant de maux.
Riadh Zghal
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