Taoufik Habaieb: Le coût de la non-alliance
Est-ce à tout jamais impossible ? Alors que s’accélère le calendrier électoral, le choix du cynisme ou de la démagogie risque de l’emporter. Nourrie par les ego démesurés et les calculs contradictoires, une telle situation ne fera qu’approfondir les fractures et consacrer l’échec d’une montée en puissance du camp des démocrates.
Des mises en couple tardives tentent de se nouer. A deux, à trois ou plus. Plus que de l’amour l’un pour l’autre, c’est la passion du pouvoir qui le leur impose. Quitte à faire éclater leur ménage à la première occasion de partager le gâteau électoral, grand ou petit, selon le verdict des urnes. Un attelage de coalition qu’il sera difficile de tenir et qui finira par rompre un jour ou l’autre.
En face, le camp islamiste se serre les coudes, s’enracine davantage partout sur le terrain, s’emploie de toutes ses énergies dans le déminage des dossiers accablants et se lance dans les manœuvres. Pesant de tout son poids de parti religieux structuré, discipliné, fourni en militants irréductibles, il part à la conquête du pouvoir, de Carthage au Bardo, en passant par la Kasbah. Une mainmise qui se veut totale et pour longtemps.
Dans un ultime exercice qu’il considère historique, le mouvement Ennahdha comprend qu’il ne doit guère laisser passer cette chance exceptionnelle d’effritement du paysage politique et de décomposition des partis adverses pour se hisser aux commandes. Rater ce virage, le réduire, au mieux, à une composante de coalition forcée, si ce n’est à un simple complément d’une cohabitation non désirée, serait un verrouillage progressif de ses perspectives d’avenir.
Chez ‘’les modernistes démocrates’’à la recherche d’une large majorité législative, tout se complexifie. Les noyaux durs qui pourraient constituer une ossature solide sont bien faibles. De Nida à Tahya Tounes, El Mechrou, et autres Moubadara, Al Mostakbel, Al Badil, Al Jomhoury, Al Massar, Beni Watany ou Le Démocrate, tous restent embryonnaires et peu ancrés dans la Tunisie qui vote. Et surtout sous l’emprise personnelle de leurs leaders.
La tyrannie des partis est bannie. Leur magie d’antan, leurs promesses jamais tenues et leurs dirigeants confondus dans leur incompétence et la course effrénée au pouvoir et à ses prébendes les vouent aux gémonies. Qu’il s’agisse des jeunes, des 3 millions d’électeurs non encore inscrits, des populations rurales laissées pour compte ou des Tunisiens moyens désenchantés, les promesses miroitées par ceux qui veulent capter leurs voix sont balayées d’un revers de main.
La démocratie représentative en prend un sale coup. Le vote devient beaucoup plus une sanction de ceux qui ont failli que le choix de ceux qui méritent d’incarner le peuple. Demandez aux partis en lice, toutes tendances confondues, qui seront leurs candidats au Bardo et qui seront à la réserve pour siéger au gouvernement en 2020. Demandez-leur aussi qui porteront leurs couleurs pour briguer la magistrature suprême.
Si l’hyper-choix proposé aux Tunisiens est dans le nombre, cherchez la qualité, la compétence et les valeurs. Après une Assemblée constituante (qui n’avait que trop duré), devant en principe servir d’apprentissage, et un premier mandat quinquennal d’une Assemblée des représentants du peuple censé servir d’amorce, il sera à coup sûr demandé à l’ARP 2019-2024 la maturité en matière de législation et de contrôle de l’exécutif. Le vrai pouvoir ne sera plus ni à Carthage, ni à la Kasbah, mais au Bardo. Il sera partagé par les régions, une fois accompli le transfert des pouvoirs locaux.
Comment faire cesser les vieilles recettes du pire et doter la Tunisie des nouveaux dirigeants qu’elle mérite? Dans cette impérative quête de l’ancrage démocratique, de la défense des acquis en droits et libertés et du redressement économique salutaire, seule une alliance forte est capable de faire face aux risques et menaces qui s’exercent de plus en plus sur le pays. Au-delà des partis et des hommes et des femmes qui les forment, de leur ego et de leurs ambitions individuelles, ce sont des programmes appropriés et des politiques publiques efficientes qui doivent présider aux destinées du pays.
Une alliance large, profonde et agissante s’impose comme levier de sécurité nationale. Ceux qui ne l’auront pas compris conduiront la Tunisie vers le chaos. Le coût de la non-alliance sera une nouvelle tyrannie en prime. A sept mois des échéances électorales, ce n’est pas encore totalement perdu, si...
Taoufik Habaieb
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Analyse pertinente. Mais vous ne dites pas un mot sur le "front populaire", sa place et le rôle qu'il peut jouer. Est-ce voulu? C'est parmi ses dirigeants, que je reconnais des gens intègres, démocrates et progressistes. C'est autour de ce "noyau" que devrait se former une coalition électorale capable de sauver le pays. Plusieurs indices permettent de le penser.
Comme toujours ton analyse est pertinente Espérons que tout ne sera pas perdu, mais les responsables des partis se disant modernistes vont ils comprendre que le salut ne peut être assuré qu'en s'unissant pour former un bloc capable de gagner le combat contre les passéistes lors des prochaines élections.
Personnellement, je pense que les partis cites dans votre article sont obsolètes auprès des citoyens. Ils ne peuvent compter que sur leurs adhérents. Les citoyens ont assistés impuissants à leurs dérives tant verbales qu'ethiques, leurs accointances contre nature et leur enrichissement fulgurant donc La confiance est rompue. Donc, il est patent que le clivage est perceptible en 3 pôles : 1.les citoyens ( la classe moyenne appauvrie, les chômeurs enfin tous les déçus, les floués ) 2. La classe des nantis( clan des "démocrates" avec les ténors BCE & Y Chahed & co.) 3.les islamistes : Nahdha et tous les satellites à caractère de religiosité tel Ettahrir &co. et les associations "caritatives ",les salafistes, tous les favorisés de Ta3widhatts, les repentis terroristes