Férid Ben Brahim: Arrêtez de faire baisser la valeur du dinar ! C’est une mauvaise idée
Nous n’avons rien de particulier contre le FMI et ses recommandations. Au contraire, nous pensons que fondamentalement cet organisme par les conseils qu’il prodigue et les moyens qu’il met à disposition contribue fortement à la stabilisation d’économies qui ont tendance à partir à la dérive pour toutes sortes de raisons.
Ses recommandations pour l’économie tunisienne et notamment l’utilisation des taux pour juguler l’inflation et la nécessité de contrôler le déficit de l’Etat et par conséquent le refinancement de l’économie nous semblent répondre aux urgences du moment. Ils mettent une pression positive sur tous les acteurs de la sphère financière afin de limiter des dérives qui ne cessent de se creuser depuis plusieurs années.
Le point qui nous semble problématique est celui de l’utilisation de la dévaluation progressive et régulière du dinar avec comme objectif l’amélioration de la balance commerciale de la Tunisie.
Le graphique ci-dessous montre que depuis 2008 le taux €/TND est passé de 1,80 à 2,72 soit une hausse de 51% de l’euro par rapport à notre monnaie.
On aurait pu s’attendre qu’avec une telle dévaluation, le déficit commercial se soit réduit! Ce ne fut pas le cas, au contraire, le déficit commercial exprimé en Euros s’est aggravé entre 2008 (- 3,7 milliards d’Euros) et 2017 (-5,7 milliards d’euros) dans les mêmes proportions que la dévaluation du dinar.
Cet état s’explique par l’inélasticité de nos importations et d’une grande partie de nos exportations par rapport au taux de change. Les importations de produits énergétiques représentent 44% du déficit commercial pour les 8 premiers mois de 2018.
Le déficit cumulé de la balance énergétique de la Tunisie de 2011 à 2017 s’élevait à 20 milliards de dinars contre un déficit moyen annuel au cours du quinquennat 2006-2010 de 435 Millions de dinars.
Cette détérioration s’explique par l’effet conjugué de la baisse des ressources énergétiques du pays, la hausse de la demande primaire et la remontée du prix de pétrole brut.
Ces importations ne sont pas substituables. Elles sont nécessaires pour travailler, circuler, transporter. Le baril est passé de 30$ en janvier 2016 à 75$ en juillet 2018 (nous sommes des «price taker» et non des «price maker»).
Le montant de nos importations incompressibles, c'est-à-dire vitales (peut-on vivre sans pain?) représente la moitié des 50 milliards de dinars d’importations de 2017, donc toute baisse du dinar renchérit en monnaie locale ces achats.
Quant à nos exportations, elles ont un fort contenu en produits importés, c’est le cas des industries de transformation ou nous vendons de la main d’œuvre, c’est aussi notamment le cas du textile, habillement & cuirs qui représentent le 1/5ème de nos exportations en cette année 2018.
Ainsi, nous avons une dévaluation qui grève notre solde commercial et nos réserves en devises, qui à leur tour, viennent dégrader notre monnaie.
C’est donc un appel que nous lançons au FMI sur cette question de la dégradation de la valeur du dinar par rapport aux devises étrangères qui constituent notre panier (principalement € et $). Il faut penser autrement et ne pas continuer à rendre les choses plus difficiles en préconisant la dévaluation. Qu’elle soit progressive ou en «one shot», la dévaluation est un remède qui peut tuer le malade.
Des mesures existent pour résoudre ce problème de déficit commercial qui ne pourra se régler par un coup de baguette magique:
- Aider nos secteurs exportateurs naturels comme le secteur agricole dont beaucoup de produits sont aujourd’hui et pour longtemps encore demandés à l’étranger,
- résoudre la crise du secteur minier qui a été dans le passé avec ses sous-produits de chimie transformée un pilier de nos exportations (nous avons produit en 2017 la moitié de la production de 2010 de phosphate),
- aider spécifiquement le secteur des industries mécaniques et électriques à se moderniser et accroitre ses capacités.
Pour ce qui est de la balance des paiements, il faut encourager la restructuration du secteur touristique en faisant qu’il contribue plus encore à la réduction de notre déficit extérieur. En faisant cela, l’Etat enlèvera également une épine du pied des banques qui portent seules le fardeau de la sinistralité de ce secteur.
Ces solutions sont structurelles, elles demandent des efforts; mais elles sont moins coûteuses qu’une dévaluation régulière qui s’accélère et qui rend exsangue le pouvoir d’achat de tout un pays.
Férid Ben Brahim
DG de l’AFC
Membre de la Société Française des Analystes Financiers
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On ne peut arrêter la chute du dinar que quand la centrale syndicale retrouve son patriotisme. Les menaces multiples ne peuvent qu'accélérer la descente aux enfers du dinar.
Le taux de change euro/dinar est déjà à 3,24. je me demande pourquoi vous utilisez encore des valeurs de 2017