Afef Daoud: Au-delà des polémiques, parlons de l’égalité Hommes Femmes (1e Partie)
Le feuilleton politique de cet été est sans conteste la proposition du chef de l’état en matière d’égalité successorale. Maintenant qu’Ennahdha au travers de son «majles echoura» a exprimé sa position prévisible de refus catégorique, la question est de savoir si ce feuilleton est clos ou s’il est au contraire le prélude du débat politique des prochaines élections autour de l’axe identitaire devenu le grand classique électoral, classique mais lassant à la fois car le débat de fond n’a jamais lieu. Plusieurs politiques se sont sentis forcés de prendre part dans un jeu de placement entre ceux qui soutiennent la proposition «historique» du chef de l’état et ceux qui sont les gardiens des valeurs “religieuses” identitaires, sans forcément qu’aucun n’ait pris le temps de regarder plus loin et de s’exprimer de manière plus large sur le sujet de la parité homme-femme et peut être de proposer une vision complète pour essayer d’atteindre l’égalité réelle.
Certains veulent temporiser ou disent que ce n’est pas le moment alors qu’au contraire, les réformes allant dans le sens de l’égalité réelle n’ont que trop tardé et font perdre à la Tunisie beaucoup d’opportunités. Sommes-nous encore en 2018 à hésiter si oui ou non la femme mérite d’être avec son mari cheffe de famille, si oui ou non elle joue un rôle fondamental dans l’économie de la famille et du pays et si oui ou non elle est l’égal de l’homme et non son simple complémentaire? A quoi bon alors s’étonner du classement établi par le World Economic Forum en matière d’égalité et qui nous place à l’honorable 117ème place sur 144 pays !
Qu’en est-il en réalité de l’égalité homme-femme?
Commençons d’abord par l’héritage qui enflamme tant les esprits. Lors du décès d’un parents, la liste des héritiers est définie par un déclarant (souvent un homme). Même s’il ne faut pas généraliser, en pratique les femmes sont facilement omises de cette liste d’ayant droits et peuvent de fait être spoliées de leur part dans l’héritage. L’État, car peut être non concerné, n’a jamais mis en place les systèmes qui garantissent le contrôle et le respect des droits des héritiers. Et même quand les femmes héritières osent se déclarer après coup, les pressions familiales, les lourdeurs administratives et les complexités judiciaires sont là pour les faire renoncer à cette demi part d’héritage. Si on rajoute à cela une précarité financière et un manque d’accès à l’information et au soutien juridique on comprend aisément pourquoi beaucoup de femmes renoncent à exiger leur dûet n’obtiennent même pas un centième de ce fameux tiers!
Si on regarde l’inclusion des femmes dans l’économie ce n’est guère mieux. Nous sommes classées 131ème sur 144 pays en matière de participation des femmes à la vie économique, 81% des femmes en milieu rural et 60% en milieu urbain en sont exclues et le taux de chômage des femmes est le double de celui des hommes. Quand elles cherchent un emploi, les femmes ont un fort sentiment de discrimination. Elles sont plus des trois cinquième (61,4%) à indiquer être victimes de discrimination lors de la recherche d’emploi dans le secteur privé et plus de 40% dans le secteur public. Ajoutons à ces injustices que quand une femme assure la même fonction qu’un homme, son salaire est en moyenne de 35% inférieur à son collègue masculin!
Au-delà de ces chiffres, les enjeux de L’égalité pour la société d’aujourd’hui et de demain sont beaucoup plus importants et complexes qu’il n’y semble à première vue. Il ne s’agit pas seulement d’affirmation de principes et de valeurs, il ne s’agit pas simplement de dignité, mais dans un pays en proie à une grande crise économique, c’est aussi et c’est justement un enjeu économique crucial!
Plusieurs études internationales montrent que l’amélioration de l’inclusion économique des femmes peut avoir des dividendes économiques importants à l’échelle du pays. A titre d’exemple, dans des pays économiquement plus avancés que la Tunisie, des estimations suggèrent que l’atténuation de l’écart entre homme et femme peut augmenter de 1750 milliards de $ le PIB des États-Unis (pres de 8%) et de 550 milliards de $ au Japon (plus de 10%). Certains estiment que pour la Chine, se rattrapage pourrait engendrer une augmentation de 2.5 trillions de $ (autour de 20%).
En effet, et pour être pragmatique, il a été démontré que les investissements publics ciblés pour promouvoir l’Egalite entre hommes et femmes ont un impact direct fort sur l’accroissement du PIB et que cet impact est plus important que celuides investissements généraux dans le marché de travail ou les programmes scolaires.
Dans un contexte similaire, quelle serait alors la portée d’une loi orpheline instaurant la parité dans l’héritage ?
Pour que cette mesure soit efficace, elle devrait à minima:
- être intégrée dans une réforme plus globale qui viserait à améliorer de façon réelle et concrète la situation de la femme
- être assortie d’un ensemble de volets de réformes volontaristes qui visent à lui donner une vraie substance (revoir le système des hypothèque et cautions bancaires pour ne citer que cela).
Et l’État ne devrait-il pas commencer par montrer l’exemple en imposant des chartes de comportement, des codes de conduite et des indicateurs de mesure de la parité avec des objectifs et des sanctions qui s’y attachent ? Les conditions réelles des femmes ne s’amélioreraient pas si loi dispose de véritables moyens et campagnes de sensibilisation sur l’importance de la parité dans le monde économique ou une réelle volonté d’investissement pour promouvoir le travail, l’indépendance et l’entreprenariat des femmes.
Et c’est pour cela que le débat, tel qu’il a été posé, est irritant. En faisant le choix cynique de ne retenir qu’un alinéa (parmi une multitude de propositions) sur la parité, on dérobe à la nation un débat de fond sur les inégalités hommes-femmes qui ont des implications sociétales mais aussi sociales et économiques.Promouvoir la parité est un véritable relais de croissance, qui pourrait améliorer les conditions de vie autant des hommes que des femmes et apporter une dose de sérénité et de stabilité dans un pays déchiré par les doutes et la peur de l’avenir. L’enjeu de la parité et de l’inclusion de la femme est tellement important qu’il serait criminel de manipuler l’opinion et de l’exploiter et de pervertir cet objectif pour des fins personnelles et politiciennes.
Le besoin de réformes dans ce domaine comme ailleurs est réel et le rôle du leader politique est bien de prendre des décisions courageuses etde pousser au changement. Mais encore faut-il agir en homme d’Etat et être conforme à l’objectif suprême de toute action politique à savoir l’amélioration in fine la vie des citoyens. Il est temps que les politiques élèvent les débats et confrontent des projets et arrêtent d’être dans les guerres de positionnement. N’ayons pas peur de la diversité et des débats passionnées, mais des débats utiles et non des débats stériles et mal posés. Il est temps que le politique joue son rôle ! Le temps des demies mesures est révolu.
Exigeons une vraie réforme visant l’égalité hommes femmes et l’héritage en sera un des aliénas.
Afef Daoud
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