News - 22.08.2018

Baghdadi Chniter: Une autre peinture naïve

Baghdadi Chniter: Une autre peinture naïve

C’est un livre d’art qui croise les passions et régale en talents conjugués. Baghdadi Chniter, qui boucle ce 18 août ses 80 ans, est le pionnier de la peinture naïve en Tunisie. Peut-être pas le plus célèbre, le plus talentueux, mais incontestablement le plus naïf dans son art auquel il s’est totalement consacré depuis plus d’un demi- siècle, à partir de 1965. Cette passion a bénéficié de l’attention d’un autre passionné : Rachid Regaïeg. Collectionneur invétéré (les timbres, les antiquités, la céramique, l’argenterie...), il est tombé depuis de longues années sous le charme de la peinture de Chniter et a appris à la décoder.

C’est en accomplissement de cette admiration qu’il s’est décidé de lui rendre hommage en lui consacrant un livre d’art dédié. Quitte à se convertir en éditeur. Pour cette première expérience, il a eu la main heureuse en confiant la conception du livre à un graphiste de talent, doublé d’un artiste-peintre lui-même, Maher Medhaffar, fondateur de l’Agence MIM. Quant aux photos des œuvres, elles ont été prises par Hamadi Regayeg, qui a déjà fait ses preuves.

Reste alors le contenu rédactionnel. Dans cette même lignée de talents, l’éditeur a fait appel aux textes rédigés en langue française par Sophie El Goulli et Samir Ayadi, et en langue arabe par Habib Bida et Mohamed Hassen.

Cet enfant de Boughrara, tout près de Ben Guerdane, sur la frontière avec la Libye, n’a laissé éclore sa vocation artistique qu’à l’âge de 20 ans, au contact des potiers, céramistes et artisans de Djerba. Le dessinateur, plutôt décoratif, de Houmet Essouk s’exercera à l’ouvrage, au grand bonheur des touristes acquéreurs de produits d’artisanat. Tentant sa chance, il participera à un salon des arts à Tunis en 1965. La capitale et son milieu artistique le séduiront et il décidera de s’y installer dès 1967. La saga commence.

Portant bonheur, Baghdadi Chniter donne ainsi naissance aux Editions Regaïeg, étrennant une collection s’annonçant prometteuse. Deux projets de la même veine sont dans le pipe : la céramique et l’argenterie. En attendant leur parution, la lecture du livre d’art Chniter est d’ores et déjà un réel plaisir.

Baghdadi Chniter
Le pionnier de la peinture
naïve en Tunisie
Editions Rachid Regaïeg, Création : MIM, 2018, 214 p.

Bonnes feuilles

A la Galerie Yahia: Chniter tel qu’en lui-même

Parmi tous nos artistes naïfs, Baghdadi Chniter est peut-être le seul à essayer de se renouveler. Entendons-nous bien: ce qui fait la force d’un peintre naïf, c’est qu’il ne se préoccupe pas des règles et des lois d’un métier inconnu de lui et d’une école qu’il ne soupçonne pas exister. C’est qu’il peint comme il pense qu’il faut peindre.

Même lorsqu’il entend élargir son monde, cela se passe pour lui au niveau de l’anecdote. Ainsi lui arrive-t-il souvent de s’attaquer à des genres traités par les autres  peintres «classiques», paysages, natures mortes, nus…

En ce qui concerne Chniter, et ce qui constitue l’intérêt de sa démarche et de son œuvre, le phénomène est plus complexe. Chniter ne se contente pas de reproduire au fil de ses expositions les mêmes scènes, les mêmes personnages, les mêmes paysages. Bien sûr, nous retrouvons des constantes : son sud, ses femmes nues ou croulantes sous les bijoux et les fards, mais les événements de sa vie influencent son œuvre de même que ce qu’il a l’occasion de voir en matière de peinture, et qu’il  «imite», ou reproduit à sa manière. Ainsi son voyage aux Etats-Unis, il l’a vécu aussi en peintre : savoureux sont les tableaux qu’il en a tirés et qui donnent à voir ce monde non point tel que le représentent les films, les livres, les photographies mais tel que le découvre un artiste tunisien, naïf, originaire du sud profond.

De même les scènes de la vie rurale, vues sous divers angles, respirent une poésie bucolique que nous trouvons rarement (sinon jamais) chez nos artistes. Je verrai très bien certains poèmes de Virgile illustrés par Chniter. Ce qui fait l’intérêt et la valeur de cette œuvre c’est que, dans un genre au caractère invariable par définition (l’art naïf), Chniter réussit non point à inventer (impossible), mais à se renouveler, sans pour autant changer sa vision. Aujourd’hui l’artiste a fait éclater toutes les règles, tous les codes, toute une façon de voir et de concevoir l’art. Il se retrouve face à une liberté qui donne le vertige, qui lui donne le vertige et qui nous donne le vertige. L’art en avait besoin après des millénaires de recherches mais aussi et surtout de règles. Dans ce monde des arts en crise, qui se remet constamment en question, les artistes naïfs vivent en marge et continuent à considérer l’art avec respect, avec l’admiration (auto-admiration même pourquoi pas !) de celui qui croit encore. C’est ce qui fait leur force et c’est ce qui les sauve des angoisses et autres tourments inhérents aux peintres modernes. Une remarque significative pour conclure: Chniter, qui expose actuellement à la Galerie Yahia (et il en faut des tableaux pour remplir cet espace), n’a pas vu venir grand monde. Malgré cela, il ne se plaint pas. «J’ai beaucoup d’amis, de gens qui s’intéressent à ce que je fais», nous a-t-il confié. Optimisme bien sûr et qui explique qu’il est le plus prolifique de nos naïfs..

Sophie El Goulli
 

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