News - 08.08.2018

COLIBE : est-il temps de faire un pas de plus ?

COLIBE : est-il temps de faire un pas de plus ?

La première constitution républicaine de 1959 avait permis une avancée considérable en matière de reconnaissance des droits des femmes par la confirmation du code du statut personnel de 1956. Avec le temps de nouvelles aspirations ont trouvé leur traduction législative, tels, le droit de vote et d’éligibilité ou plus spécifiquement le droit à l’avortement. La constitution de la deuxième République élargit le champ des libertés individuelles et collectives et confirme les droits inaliénables à la vie et à la liberté de conscience. Elle consacre l’égalité entre les hommes et les femmes. Bien entendu, cette nouvelle constitution, résultante de compromis difficiles, n’est pas sans comporter quelques ambiguïtés et difficultés d’interprétation pour le législateur. Le travail entrepris par la commission des libertés individuelles et de l'égalité (Colibe) vient à point nommé pour lever les obstacles interprétatifs mais aussi la portée effective de droits individuels en particulier. Le rapport rendu public, vient d’appuyer fermement l’application de certains articles de la constitution comme le droit à la vie, à la dignité, à la santé, à l’intégrité physique et morale de la personne. La commission Colibe propose d’insérer ces principes dans une loi organique. Elle propose aussi des amendements à des articles de loi afin de les rendre conformes à la nouvelle constitution. Le rapport passe en revue ce que les juristes appellent « les zones grises ».

Autrement dit les aspects les plus équivoques et problématiques, voire controversés, tels, la peine de mort, l’incitation au suicide, le droit des personnes en danger, le devoir de secours et l’égalité dans l’héritage. Si ce rapport a le grand mérite d’exister par les avancées qu’il suggère, permet-il, pour autant, de réduire voire de faire disparaître les « ambivalences » propres à certaines formulations juridiques ? Exemple édifiant : Le droit à la vie ? Si le sens commun du citoyen en comprend la signification immédiate et en identifie les domaines d’application, il en va tout autrement pour le juge. Celui-ci reste confronté à l’interprétation du caractère « sacré » de la vie. Le droit à l’avortement pourrait alors être remis en question sous prétexte d'atteinte à la sacralité de la vie. De plus il se réduit à une exception au travers d'un alinéa du code pénal. Un autre exemple s’illustre de façon similaire à travers la formulation relative à « l’intégrité physique de la personne » qui passe sous silence « la liberté de disposer de son corps » autre tabou bien ancré dans notre société conservatrice. Que dire « du droit égal à l’héritage », la commission laisse la porte ouverte à des options les plus antagoniques. Le législateur est ainsi libre de décider en conscience d’accepter comme de refuser le principe d’égalité homme-femme. Dès sa divulgation le rapport Colibe a ravivé les passions.

Face à un manque de pédagogie, aux cris d’enthousiasme poussés par une frange de la population, hommes et femmes confondus, se sont vus opposés un tollé d’indignations d’une autre fraction de la population arguant d’une offense inadmissible et d’un outrage intolérable à la religion et « au sacré ». Comme on le constate, et sans que cela constitue pour autant une surprise, les islamistes et leur alliés ultraconservateurs, -car il faut bien les appeler par leur nom-, sont de nouveau vent debout. Il fallait s’y attendre. Dès lors la question cruciale se pose : Quel pourrait être le devenir de ce rapport ? Se transformer en lois qui viendraient renforcer et consolider les droits des citoyens et singulièrement ceux des femmes dans toute leur plénitude ! Devenir une loi alibi avec seulement quelques articles consensuels, ou bien encore finir aux oubliettes de l’Histoire, relégué aux archives nationales ! Une question pour l’instant sans réponse immédiate car il est peu probable que le gouvernement ou même une fraction de députés veuille s’emparer de ce sujet et le proposer sous la forme d’un projet de loi. Certains, et ils seront malheureusement nombreux, se donneront bonne conscience pour enterrer ce projet en arguant du fait que le contexte politique actuel ne s’y prête pas tant les préoccupations de nos concitoyens sont ailleurs ou parce que le Président de la République voudrait en faire usage à des fins électoraux. Il n'en demeure pas moins qu’il convient à nous femmes et hommes, -qui aspirons à une société authentiquement démocratique-, à ce futur combat qui ne manquera pas de revenir sur le devant de cette nouvelle page de l’Histoire, en marche. Je convie donc les hommes et les femmes épris de liberté, -chacun à sa manière et selon ses réelles possibilités-, à multiplier les actions de sensibilisation sous toutes les formes possibles. L’expérience nous enseigne que rien n’est gagné ni perdu d’avance. Si l’égal-liberté pleine et entière de tous et de toutes est une exigence incontournable, elle n’en reste pas moins un combat. Alors soyonslucides et déterminés, car d’évidence, l’ensemble de ces droits ne nous seront jamais au grand jamais concédés, il nous faudra les arracher… !

Hella Ben Youssef
Vice-Présidente d’Ettakatol
Vice-Présidente de l’Internationale Socialiste des Femmes

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