L'île Chikly : sauvée des griffes de la famille Trabelsi par la société civile
Dans la partie ouest du lac de Tunis qui s’étend sur plus de 2 500 ha, émerge sur 3 ha la petite île Chikly qui doit son nom à Santiago de Chikly, ancien gouverneur espagnol de La Goulette. Au beau milieu de l’île, se dresse un fort édifié au XVe siècle,
Au début du XXe siècle, l’île Chikly était utilisée comme chambre sanitaire, ou lieu de mise en quarantaine pour les navires revenant d’Extrême-Orient par le Canal de Suez.
L’île est rattachée au continent par une digue de 11 km, parallèle à la route Tunis-La Goulette, dite TGM, qui débouche sur la localité de Kheireddine. Par cet ouvrage, l’île constitue le point de retour de l’eau de mer au lac de Tunis qui se renouvelle grâce à un système hydraulique ingénieux qui exploite les marées hautes et les marées basses par le canal de Kheireddine reliant le lac à la mer.
Au début des années 90, l’île et le fort ont failli tomber dans l’escarcelle des Trabelsi (encore eux) qui voulaient y construire un grand casino, des restaurants haut de gamme et des centres de loisirs pour VIP…
Des écologistes, soutenus par des intellectuels et des Tunisiens à l’étranger, s’y sont farouchement opposés à travers des campagnes de presse. Dans une ultime tentative de sauver l’île, feu Ali El Hili avait insisté pour que l’Institut national du patrimoine y fasse des fouilles. Celles-ci avaient abouti à la découverte de mosaïques et de vestiges byzantins et romains remontant aux IVème et Vème siècles.
La partie est gagnée en décembre 1993 lorsque le site est déclaré patrimoine culturel. Dans le cadre de la coopération espagnole, des équipes de l’Institut national du patrimoine et l’université de Madrid, présidées par le chercheur Fethi Chelbi, avaient entamé des travaux de restauration et de valorisation des lieux.
Lors du projet de réhabilitation du fort sur l’île, les intervenants ont collecté plusieurs erreurs sur la société du lac. En draguant autour de l’île, elle n’a rien trouvé de mieux que de déposer les remblais du dragage sur les bords de l’îlot qui se sont trouvés surélevés par rapport au reste, créant en hiver un lac intérieur, alors qu’il était judicieux d’engraisser le rivage afin d’augmenter la surface de l’îlot. Quant aux archéologues, ils ont procédé à une opération de nettoyage du site en laissant les remblais sous les murs du fort au lieu de s’en servir pour la construction de l’ îlot à côté de l’ancien, comme le prévoyait le projet de réhabilitation espagnol.
Le maître des lieux sur l’île Chikly est l’aigrette garzette, de la famille des hérons, haute de 65 cm, debout sur ses pattes avec 105 cm d’ouverture des ailes, qui se rassemblent pendant la période nuptiale de fin mars à début avril pour la nidification. La population sur Chikly est la troisième plus grande concentration avec 86 couples sur un espace de moins de 200 m2 après Thyna à Sfax et les îles Kneis.
Cet oiseau fut exterminé dans les années 50, trahi par son aigrette d’où son nom, une longue plume blanche, belle et lisse comme du velours, que les élégantes de cette époque mettaient sur leur chapeau ou sur les revers du col du manteau.
L’île Chikly était peuplée d’oiseaux d’eau, surtout en hiver, mais après les travaux d’aménagement des berges du lac de Tunis, les zones marécageuses ont disparu, et les limicoles qui peuplaient autrefois l’île et les côtes ont dû choisir d’autres lieux plus hospitaliers pour le nourrissage et l’hivernage.
Abdelmajid Dabbar
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