Opinions - 26.06.2018

Réflexions au sujet de la réforme annoncée du statut des sociétés mutuelles de services agricoles

En finir avec les tergiversations et les faux-semblants: Réflexions au sujet de la réforme annoncée du statut des sociétés mutuelles de services agricoles

J’ai eu l’occasion d’assister à l'atelier final d’une étude portant sur l'analyse des textes réglementaires des SMSA  en Tunisie mise en œuvre par le CIHEAM-IAMM  et le Ministère de l'agriculture (MARHP).
Initiative louable en soi.

Pour sa part, le CIHEAM-IAMM a correctement rempli la mission qui lui était dévolue par le Ministère de l'Agriculture sur ce sujet assez technique du cadre législatif et réglementaire des SMSA. Mais l'approche strictement juridique est-elle vraiment le bon angle d'attaque d’une problématique aussi complexe que celle des  SMSA? Et la solution réside-t-elle dans le simple retour à la dénomination "coopérative" comme le soulignait le titre de l'intervention centrale de cette journée, faite par le consultant juriste retenu à cet effet?

Je crains hélas, que certains responsables du MARHP  et sans doute le ministre lui-même ne soient encore victimes sinon porteurs d'une véritable obsession textuelle; c'est à dire toujours prompts à légiférer pour prendre date, privilégiant ainsi la forme aux dépens du fond,sans rechercher les véritables causes du mal qu'ils prétendent soigner!

Sans doute aucun, la loi du 18 octobre 2005 régissant lesdites SMSA est un des pires textes qui ait pu être produit en la matière. J'étais d’ailleurs parmi les très rares à le critiquer publiquement à l'époque, tant il était vrai que la prétendue réforme de l’époque n’était qu’un ravalement de façade et n’apportait aucune réelle solution; bien pire elle ne faisait que maintenir les coopératives dans une sorte de minoration.

Alors à quoi peut bien servir d’étudier l’environnement juridique des SMSA/Coopératives au demeurant connu des principaux acteurs, si l’on n’a pas une vision politique et une volonté de faire des ces entités de véritables moteurs d’une économie sociale et solidaire au service d’une agriculture durable et résiliente?

Par conséquent, il semble que notre  ministre de l’agriculture fasse fausse route, car le problème est ailleurs;

  • Il y a d’abord et surtout une sorte de péché originel hérité de la période dite collectiviste (1964-1969) où le pouvoir exécutif alors tout puissant avait tout fait pour défaire le tissu coopératif préexistant (hérité du protectorat mais auquel participait de nombreux agriculteurs tunisiens) pour le remodeler notamment en suscitant des entités ex nihilo dans le seul but de mieux l’asservir à une vision ultra volontariste sinonprométhéenne du progrès social et de la modernité de l’Etat-Parti!  
  • Cela s'est très vite traduit par une bien mauvaise pratique de la tutelle administrative, confiée au Ministères de l'Agriculture et des Finances (pour les SMSA centrales) et par la suite élargie au Gouverneur (pour les SMSA de base). Car si le statut général de la Coopération de 1967 -qui semble marquer un retour en grâce chez certains- était très progressiste dans les principes généraux énoncés, l'on s’est empressé de le vider de son sens par le jeu  des fameux "statuts types" obligatoires, très réducteurs de l'autonomie de gestion nécessaire à toute coopérative. 
    De fait,la tutelle qui aurait du se limiter à un contrôle à postériori et en tous cas limité à la régularité/légalité des actes de gestion du Conseil d'administration, a très vite tourné à un contrôle "a priori ».
    Cette prépondérance de l'Administration, héritée de la période la plus autoritaire du régime bourguibien et portée en son temps par l’emblématique Ahmed Ben Salah,  n'a au fond, jamais réellement cessé. De fait l’on a abouti dans la plupart des cas,  à une véritable cogestion où le dernier mot revenait toujours à l'Administration d’Etat.  Il est d’ailleurs révélateur de constater qu'aujourd'hui encore, les 3/4 des coopératives ou SMSA centrales (le nom n'y change rien) agissant dans le secteur des céréales et des semences ont à leur têtes des  directeurs généraux, qui ne sont rien d’autres que cadres mis en détachement du MARHP et le plus souvent de la direction en charge de des organisations de producteurs (DGFIOP) . Tout cela sans que ces braves fonctionnaires n’aient nécessairement fait leurs preuves managériales par ailleurs.
    Et cela s'est fait aussi bien avant la loi de 2005 comme après ; preuve s’il en fallait que les mentalités et les (mauvaises) pratiques sont bien plus dures à changer que les lois !
  • Cela a engendré une perception nettement négative de ces structures pourtant sensées être faites par les agriculteurs et pour eux et corrélativement démobilisation des mêmes agriculteurs se sentant à juste titre dépossédés de leurs droits à gérer librement leurs entreprises coopératives. Idem pour le peu d'intérêt à occuper des fonctions d'administrateur.  Et le triste épisode de la tentative de mise au pas du Conseil d'administration de l'UCCV (Vignerons de Carthage) en 2013,  par le ministre de l'agriculture Ben Salem était une des manifestation de cette tentation tutélaire ! Cela a d’ailleurs injustement causé beaucoup de tortà cette entreprise coopérative pourtant performante.
  • Par ailleurs, comme pour entretenir l'utopie de la facilité qu'il y aurait à créer une coopérative ou SMSA, les pouvoirs publics ne sont jamais souciés du faible ratio capital/activité-chiffre d'affaires des organismes coopératifs. Ceci a en définitive eu pour conséquence de les rendre aussi peu autonomes financièrement que solvables ou du moins crédibles pour accéder aux financements bancaires.
    En somme, la question qui est centrale pour les coopératives est la suivante: En ces temps où tous proclament l’importance de l’Economie Sociale et Solidaire, nos pouvoirs publics entendent-ils en finir avec une vielle hypocrisie et reconnaître –enfin- aux Coopératives ou SMSA la qualité d’entreprises économiques ayant de surcroit un rôle d’inclusion sociale, mais soumises aux dures lois du marché et leur donner ainsi les moyens d’agir et de se développer dans un univers le plus souvent très concurrentiel ?

Alors, pour le cas des coopératives comme pour tant d’autres sujets importants cessons de tergiverser et de gaspiller temps en argent en études répétitives, entravant ainsi le développement de notre agriculture, qui se meurt. Et vous Mesdames et Messieurs les responsables politiques, cessez de vous cacher derrière votre petit doigt.Il existe suffisamment d’évaluations et de diagnostics pour pouvoir aller de l’avant. Encore faut-il le vouloir et avoir pour cela une vision stratégique cohérente et surtout le courage de la porter !

Leith Ben Becher
Fondateur du Syndicat des Agriculteurs de Tunisie
 

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1 Commentaire
Les Commentaires
Malek Ben Salah - 29-06-2018 17:53

Commentaire A vrai dire, je n’ai pas l’impression que ce sujet de ‘’cadre législatif et réglementaire des SMSA’’, qui avait émané dans le temps de l’esprit, plus ou moins tordu, d’un fonctionnaire qui eut connu un petit peu notre agriculture ou celle de pays qui auraient réussi à développer leurs agricultures, par la main même de l’agriculteur et par le biais d’organisations professionnelles de développement efficaces à côté de syndicats qui font le leur ! Ici, je voudrais dire que toutes ces législations ‘’administratives’’ autour des coopératives, SMSA, GDA, fédérations de je ne sais quoi… sont effectivement aujourd’hui caduques…, et que essayer de rafistoler le cadre législatif et réglementaire de SMSA… qui ont si peu convaincu nos agriculteurs, n’est que perte sèche de temps comme le dit Si Leïth. Tout en étant d’accord avec notre ami Si Leïth, j’ajouterai qu’il est largement temps de dépasser ces textes coercitifs et d’encourager toute forme de groupement que souhaite créer, volontairement, des agriculteurs entre eux (au niveau local, régional ou national) et sans chercher à leur compliquer la vie par des textes à n’en plus finir. Quant à cette ‘’importance de l’ESS’’ dont se targuent les pouvoirs publics d’aujourd’hui, elle n’est que d’un intérêt très relatif dans le cadre de notre agriculture : ne concernant en fait que quelques jeunes d’origine agricole ‘’qui disposeraient de terres’’, c’est-à-dire plutôt rares si on se réfère à nos statistiques de 2004 (date de la dernière enquête) qui affirment que 46% de la superficie totale agricole est détenu par des agriculteurs âgés de plus de 60 ans, rarement sensibles à l’innovation et au progrès technique (alors que les terres nécessitant une forte intensité capitalistique telles que les terres domaniales attendent patiemment le ‘’magnanime investisseur’’ qui, hypocritement, en veut bien) ; quand la Banque Mondiale incite les gouvernements qui commettent l’erreur de se désintéresser des investissements dans les ressources humaines (soit l’agriculteur pour ce qui nous concerne) ; et quand la FAO dans son nouveau rapport du 15 juin 2018 appelle les gouvernements à opérer un changement fondamental de la manière dont ils perçoivent et gèrent la sécheresse… dans notre pays. Dans tous les cas, l’Etat ne peut que se réserver un rôle de contrôle financier et de gestion à postériori, comme il est de son devoir de prévoir des encouragements financiers pour le recrutement par ces groupements de cadres techniques et de gestionnaires pour la durée limitée nécessaire à leur lancement (3 à 5 ans). Il est certain qu’aujourd’hui, il y a un grand besoin de créer des entreprises, des coopératives et/ou des sociétés de motoculture, des entreprises, des coopératives et/ou des sociétés de commercialisation des productions agricoles, des entreprises, des coopératives et/ou des sociétés de transformation et/ou de conservation des produits (surtout en régions isolées), des entreprises et/ou des sociétés d’études, de recherche appliquée…, des entreprises, des coopératives et/ou des sociétés d’approvisionnement… selon les besoins de l’agriculteur et sans que cela ne soit imposé par l’Administration. En même temps, à celle-ci, de pousser et de vulgariser l’intérêt d’un rajeunissement de la strate des ‘’chefs d’exploitations’’ à travers l’encouragement des différents types d’entreprises et sociétés civiles agricoles qui peuvent regrouper des moyens matériels, financiers ou humains tels des Groupements agricoles d'exploitations en commun (GAEC) entre père et fils ou père et fille ; des groupements fonciers agricoles (GFA) qui ont pour objet la création ou la conservation d'un ou de plusieurs domaines agricoles ; de sociétés civiles d'exploitation agricole (SCEA), d'exploitations agricoles à responsabilité limitée (EARL) ; de groupement d'intérêt économique (GIE) ayant pour objet la facilitation ou le développement de l'activité de leurs membres…. Penser également à l’assistance à de nouveaux start up : tels des groupements de digitalisation pour l’intensification des activités sur l’exploitation ou l’augmentation du chiffre d'affaires ; des groupements au sein de filières économiquement innovantes et efficaces …. Voici donc une petite contribution si le gouvernement veut bien rechercher les véritables causes du mal et qui méritent qu’on y associe le CIHEAM-IAMM, les programmes d’appui de l’ENPARD, l’UE … et profiter de leur expertise pour le développement de PPP ; encore faut-il qu’il comprenne et qu’il entreprenne ! Le Temps c’est de l’argent !

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