Hadi Sraieb: Académisme superfétatoire… quand tu nous tiens!!!
La société tunisienne ne cesse d’être agitée de convulsions. De profonds bouleversements affectent l’ensemble de l’édifice social et son soubassement économique. Aucun des maux observés n’a jusqu’ici trouvé sa solution : un appareil productif en panne, une inflation qui érode le pouvoir d’achat, des déficits jumeaux (budgétaire et échanges avec l’extérieur) qui n’en finissent pas de se creuser et dans leur sillage ceux des caisses de protection sociale. Un chômage endémique qui ne cesse de s’élargir, touchant désormais des catégories jusque-là épargnées (fuite des cerveaux).
Mais la crise est aussi celle de la « Pensée ». Peu en sont conscients, encore moins l’admettent.
En effet, nos distingués économistes ou supposés tels n’ont toujours pas changé leur manière de voir et de décrire les réalités qui se déroulent sous leurs yeux. Ils sont en complet décalage dans la mesure où leur méthodes et techniques sont elles-mêmes obsolètes dénuées de toute rigueur et de véracité.
En clair ils n’ont pas changé de lunettes qui avec le surgissement de temps nouveaux (post révolution) aggrave leur myopie. A lire leurs papiers journaliers dans la presse ou périodiquement dans leurs publications livresques, on peut se rendre compte à quel point leurs manières d’observer, de constater, de préconiser restent captives et figées dans un classicisme désuet et une orthodoxie totalement anachronique. L’économie serait affaire de mécanismes strictement objectifs et neutres (du point de vue social)entre des structures complexes à l’image d’une horloge. Leur langage ne trompe pas.
Déséquilibre, dérèglement, dysfonctionnement, ajustement, réforme structurelle renvoient à une perception mécaniste d’une réalité bien plus complexe où bien évidemment le social est omniprésent.
L’économie serait ainsi mue par des lois générales quasi-naturelles desquelles le social serait au mieux qu’un résidu. Enfonçons un peu plus le clou. Ces distingués économistes ont pour tout appareillage technique, un fond lexical qui ne dépasse pas 100 mots. Ce corpus réduit à la portion congrue faussement savantmais si largement diffusé et reconnu que plus personne n’ose demander des précisions.Ces mots vont de soi ! Toute le monde connait les formules magiques : L’investissement crée l’emploi et la croissance inclusive ! Ou bien encore mettre en œuvre des réformes structurelles qui permettront le redressement puis la prospérité partagée. Devant de telles affirmations aussi péremptoires, on hésite: soit ces propositions sont tautologiques et abstraites, du genre enfoncer des portes ouvertes soit encore elles masquent des considérations inavouables comme : Qui va faire les frais des dites réformes structurelles ? Comment la croissance qui était donc exclusive pourrait-elle devenir inclusive ? J’en passe et des meilleures.
Ce qui sauve de la pauvreté et l’indigence manifestes des constats de nos experts, outre la reconnaissance mutuelle et la connivence de l’entre soiacadémique,c’est le caractère faussement pragmatique s’appuyant sur des données empiriques ! Il est vrai qu’ils sont aidés en cela par la production de statistiques partielles et partiales qui de facto ne leur fait aucun problème. Les statistiques de l’INS comme celles d’autres institutions sont toujours prises pour argent comptant. Pas le moindre doute pas la moindre distanciation. Il n’y a alors, plus lieu de s’étonner que les variations des distingués experts autour de la chose économique finissent toutes en un récit unique, unanimiste, à son tour repris en cœur par les élites dirigeantes (des hommes dit d’affaires aux personnels politique et administratif sans oublier l’éditocratie). Les artifices multiples comme les subterfuges construits sur ce pragmatisme empirique fournissent cette vraisemblance ou fausse véracité, à laquelle adhèrent l’essentiel des formations politiques y compris de la gauche traditionnelle social-libérale ou social-démocrate.
Le célèbre acronyme TINA (There Is No Alternative, pas d’autre solution) insidieux et sournois n’a jamais été autant louangé sublimé dont témoignent aussi à l’occasion les multiples conférences
Aucune fausse note, nos dévoués économistes, presque tous unanimes répètent le même récit sans la moindre hésitation sans le moindre doute intellectuel. En somme des vérités d’évidence !
Le discours ne peut devenir que performatif (convaincant) car autoréférentiel (vérité puisque affirmé)
Pour autant et à y regarder de plus près il y aurait de quoi produire une analyse moins superficielle et déboucher sur des solutions, elles aussi, moins équivoques (réformes douloureuses, mais pour qui ?) moins perfides et moins insidieuses (réduire les dépenses improductives (sic) telles le boulet de la compensation). A ce stade de la réflexion, il parait grand temps d’illustrer et d’expliciter.
Le déficit budgétaire aurait pour cause univoque et déterminante les recrutements et les accroissements indus de salaires ! Certes mais c’est alors passer sous silence le refus de combattrel’évasion fiscale et son blanchiment qui de facto rend si étroite l’assiette fiscale, réduisant du même coup les marges de manouvre du gouvernement. Le déficit des caisses sociales, autrement dit l’excès de prestations comparativement aux recettes ! Certes, mais c’est alors passer sous silence la faiblesse endémique du taux de recouvrement des cotisations sociales et l’exemption, de surcroît, de ces mêmes cotisations pourde nombreux acteurs économiques (La Banque Mondiale peu suspecte de gauchisme indique que l’ensemble des avantages fiscaux accordés aux entreprises représentent 7% du PIB). Que dire alors du simple effet mécanique de réduction de moitié du chômage dont la traduction immédiate serait le retour à l’équilibre des caisses. Tout cela n’est évidemment pas évoqué. Continuons !
Le déficit des échanges extérieurs serait le fait de « facteurs exogènes » (oui je cite, et vous avez bien lu) c.a.d : L’effondrement de la production de phosphates et de ses dérivés, celui tout aussi dramatique de la production d’hydrocarbures, et enfin la crise du secteur touristique. Par facteur exogène et pêle-mêle il faut entendre mouvements de contestations suspects entrainant blocage de la production et de l’acheminement, subversion et sédition diverses toujours manipulées,injustifiées et illégales sans oublier le terrorisme. A force d’immédiateté empirique, tout devient équivalent et la lucidité raisonnée disparait pour ne laisser la place qu’à la mauvaise foi ! Enchainons même s’il convient d’admettre qu’il y a des vérités partielles peu contestables comme les incidences du terrorisme.
Sous ces constats empiriques et purement descriptifs, la crise actuelle serait donc institutionnelle et non plus à proprement parler sociale (refus de l’indignité, du manque de travail) car indissolublement lié l’économique. Une manière d’escamoter le tréfonds et l’origine de cette révolution. Celle-ci serait politique (rejet du régime et de sa corruption) et non sociale (rejet du système économique).
On comprend vite l’intérêt de cette fausse politisation. Les gouvernements successifs n’ont pas eu le courage jusqu’ici de mettre en œuvre ces réformes structurelles (qu’il faut bien décoder comme des ajustements impartiaux, neutres et objectifs).
A aucun moment, ne sont mis en balance d’autres alternatives. Evoquer une restructuration de la dette, de son rééchelonnement, voire de l’abandon de certaines tranches est ipso facto jugé hérétique. Avancer l’idée d’une réduction drastique des importations ostentatoires ou devisi-vores est proprement apocryphe. Toute la gent académique crie à l'unisson à l’apostat et au blasphématoire ! Irréaliste pas si sûr ! Evoquer l’urgence d’une confrontation sans intermédiation entre le patronat et le syndicat afin que ceux-ci une fois face à face trouvent obligatoirement un compromis acceptable mutuellement avantageux, c’est, s’exposer de nouveau à la raillerie condescendante de cet académisme hors sol en lévitation. Jusqu’au moment où, la réalité des fractures sociales et régionales finira par le rattraper
Hadi Sraieb
Docteur d’Etat en économie du développement
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