Ala Abid: Attayar, en route vers le pouvoir
S’il y a une surprise qui fait plaisir lors des élections municipales du 6 Mai dernier, c’est la percée d’Attayar comme la 3ème force politique du pays (malgré une couverture partielle du territoire). Dés lors se pose la question, le parti orange peut-ilréellement gagner en 2019 et prendre le pouvoir ?
La réponse est OUI, sans le moindre doute. L’affirmation est certes optimiste, mais réaliste. N’empêche, la route est loin d’être facile. Il s’agit de maints virages à négocier, d’obstacles à dépasser et une métamorphose à assurer. Parce que la recette qui permet à un parti d’émerger, n’est pas la même que celle qui lui permet de dominer, et à terme, gouverner.
Que faut-il pour qu’Attayar gagne en 2019 ? (L’échéance est toute proche !)
1) Préserver l’ADN du parti, les critères sine qua non
En cinq mots : démocrate, légaliste, non-idéologique, propre et juste. En fait,plus le parti s’agrandit et plus les adhérents vont affluer pour le rejoindre. Le risque principal est de voir l’ADN du parti se diluer, et les personnes toxiques polluer les rangs de la mouvance. Non seulement il faut les filtrer (du moins les cadres de 1er plan et les voix du parti), mais même les alliances avec d’autres partis doivent être scrutinées pour éviter de passer le mauvais message. L’image d’un cadre d’Attayar doit se résumer en cinq points :
- Etre un démocrate pur, que ça soit en termes de politique interne (se distancer de la gauche éradicatrice, de la droite religieuse ou destourienne) ou externe (ne jamais soutenir un coup d’état militaire, un dictateur ou un criminel de guerre). Dans ce sens, le désir affiché d’établir des listes mixtes avec le front populairefut une grave erreur politique !
- Avoir un discours légaliste clair et net. En d’autres termes, se distancer des révolutionnaires surexcités, des personnes au discours enflammés qui flirtent avec l’illégalité, et renoncer à toute violence symbolique, même à l’encontre des gardiens du temple de la dictature. De ce fait, Attayar doit se distancer du Harak et autres groupuscules révolutionnaires.
- S’élever au-dessus du clivage idéologique. Le parti ne cherche pas à instaurer une quelconque doctrine, ou à combattre une couleur politique en particulier. Les discours de haine et d’exclusion ont leur place ailleurs.
- Etre irréprochable en termes d’éthique. Il va sans dire que la guerre contre la corruption doit rester la marque de fabrique du parti et son fer de lance pour la conquête du pouvoir.
- Avoir une sensibilité sociale aigue, lutter contre le clivage des classes, militer pour une meilleure distribution des richesses et pour une protection des classes défavorisées. (tout en se démarquant de la gauche populiste)
2) Redéfinir le positionnement sur l’échiquier politique: Centre et non centre gauche!
Exact ! La différence est de taille et il ne s’agit pas de nuance futile. Il faut dire que les concepts tel que centre ou gauche, bien qu’en apparence universels et neutres, se contextualisent et s’interprètent différemment selon le pays ou l’époque, le sens qu’ils véhiculent retrace un vécu et une longue histoire. Un mot a une charge émotionnelle ! La gauche en Tunisie renvoie souventl’image de parti pris idéologique, de rupture avec une partie des traditions, de militantisme clivant et le mot résonne mal chez tout un pan de la société tunisienne. Pourquoi les froisser inutilement ? Attayar n’est ni de droite ni de gauche et un boxeur ne se prive jamais de deux mains pour frapper !
3) S’étaler et brasser large
A partir du centre, et du moment que l’ADN du parti est préservé, il faut brasser large et rassembler autour d’un projet unificateur. Le parti est encore perçu comme à dominante gauchiste. Il faut donc s’étaler vers le « centre droit ». Et puisque l’image populaire se définit par les leaders du parti plus que la charte, il faut « recruter »des personnes avec un penchant conservateur et qui collent à l’ADN du parti. Certaines personnalités, compétentes, intègres et indépendantes, peuvent apporter un vrai plus au parti et renforcer l’image d’un parti centriste sans parti pris idéologique. Le parti tolèrera aisément l’existence d’une aile droite et gauche du moment qu’ils partagent le même ADN décrit ci-dessus.
Et de mon expérience, l’élite de centre droit est la tranche la moins politisée. Celle qui n’a pas osé trop s’approcher d’Ennahdha, sans pour autant se reconnaitre dans la « famille moderniste » au sens usuel. Il s’agit d’un réservoir électoral important à exploiter en priorité.
4) Exister dans un contexte de polarisation idéologique: Innover
• La polarisation, par définition, est la division de la société en deux pôles opposés. Comment dès lors exister en tant que parti centriste. Quand les esprits s’échauffent, l’offre centriste peut paraître fade et peu consistante. La réponse est qu’il ne faut pas être passif. Les gens qui votent pour un parti idéologique le font souvent par peur d’une idéologie opposée. Attayar se doit de rassurer les électeurs des deux côtés du spectre sur sa détermination à s’opposer à toute tentative d’hégémonie de l’un des deux pôles. Trois propositions peuvent venir honorer la position centriste du parti
- Une trêve idéologique : appeler toutes les tendances à éviter toute proposition de nature à diviser les gens entre conservateurs et modernistes, et ceci pour une période déterminée de 20 ans par exemple, le temps d’instaurer des institutions démocratiques solides et de rejoindre le groupe des pays émergents.
- Voter systématiquement contre toute loi qui aborde et potentiellement modifie le mode de vie des tunisiens si le parlement refuse de passer par un référendum.
- Militer pour l’instauration d’une loi qui permet un délai incompressible de 2 mois entre le vote d’une loi au parlement et son passage au JORT. Pendant cette période, toute pétition, si elle arrive à rassembler un nombre minimum de signatures, pourra obliger le passage de la loi par un référendum avant d’être définitivement adoptée. Ainsi, les gens se rassurent qu’aucun courant politique ne puisse imposer sa vision de la société en adoptant une loi clivante et controversée sans les consulter en passant par la case référendum. Aucun sujet n’est tabou, mais à condition d’être validé par un vote direct majoritaire. Ceci est valable pour l’égalité de l’héritage, le statut des homosexuels, le code du statut personnel, le financement des mosquées, la relation entre lois et Charia, …
5) Se préparer pour gouverner : Un discours économique solide et mesuré
Le ton du militantisme est adapté quand il s’agit de combattre une dictature, de démasquer une affaire de corruption, mais pour parler économie ! A entendre certains cadres d’Attayar mener une diatribe contre le FMI, on se croirait avoir affaire à une extension du front populaire. Pour éviter ces dérapages, il faut veiller à appliquer l’ensemble des points suivants :
- Avoir un cercle de travail interne avec des économistes de profession pour encadrer les allocutions des cadres du parti sur les sujets économiques. Tout doit être basé sur une littérature scientifique extensive et rigoureuse. A défaut, on pourra finir par citer Joseph Stiglitz et en même temps diaboliser le FMI quand il appelle à un dinar non surévalué. Non, Attayar doit mieux faire, et doit rassurer. Entre autres, les stars du parti peuvent éviter de discuter dans des sujets qu’ils ne maitrisent pas à 100%. Samia Abbou, fera mieux de se concentrer sur les affaires de corruption et la construction des institutions démocratiques, et Dieu sait à quel point il y a du travail à faire là-dessus.
- Bien se démarquer à la fois des fondamentalistes du marché mais aussi de la gauche populiste. Rappelons-le, Attayar est un parti du centre, pas un parti de gauche. Faut-il être gauchiste pour défendre les classes défavorisées, et soutenir un programme sérieux de redistribution des richesses ? Faut-il être de droite pour vouloir assainir les finances publiques et restructurer des entreprises défaillantes, corrompues, et qui coutent des milliards de dinar à l’état ? La plupart des mesures nécessaires pour redresser l’économie tunisienne sont consensuelles entre économistes. Sinon, le référentiel sur lequel on place gauche et droite varie grandement entre pays, et la « gauche » américaine, sera sur certains points plus à droite de la droite européenne. Attayar ne commettra aucune incohérence intellectuelle en se déclarant centriste dans un référentiel Tunisien qui reste à construire !
- Critiquer l’UGTT quand il le faut, parce que le syndicalisme n’est pas le grand banditisme, et parce qu’un syndicat n’est pas un parti politique (encore moins élu) et n’a pas à décider de qui nommer comme ministre, et encore moins de quand bloquer ou débloquer l’économie de tout un pays. Un syndicat n’a pas toujours raison, et un parti centriste saura le dire.
- Soutenir des réformes de bon sens, même si ces réformes sont perçues négativement par la gauche classique. Ainsi faut-il limiter les dépenses budgétaires si le déficit chronique pousse le pays au bord du gouffre (s’appuyer sur les modèles keynésiens à seuil pour faire savant), soutenir les réformes des subventions et bien expliquer que réformer n’est pas supprimer, soutenir le recul de l’âge du départ à la retraite simplement parce que les gens vivent plus longtemps, pousser pour des relations équilibrées avec les institutions internationales, sans tomber ni dans une relation de servilité, ni dans une relation de défiance rappelant l’anti-impérialisme primitif, soutenir la correction du dinar, et s’opposer à l’ouverture totale du compte capital…
- Comprendre, et véhiculer l’idée, que ce qui nuit à l’économie, c’est avant tout la corruption et non les choix droites et gauches (bien que certains choix peuvent être dramatiques).Le modèle économique sous Ben Ali est arrivé à bout de souffle, non parce qu’il était néo-libéral (Faut-il encore analyser pour démasquer ce mythe construit de milles pièces) mais parce qu’il était corrompu jusqu’aux dents. Aujourd’hui, il est communément admis que le marché est l’unique moteur d’une économie moderne, mais que dû aux ses défaillances décrits dans la littérature depuis des décennies (MarketFailures), une intervention massive de l’état est non seulement nécessaire mais aussi souhaitable. Croire à l’ingéniosité du marché, libre mais régulé et le cas échéantcomplété par l’action de l’état est quasiment partagé par la majorité des économistes actuellement.
6) Centriste mais ambitieux : Incarner un rêve et une dynamique subversive!
Pour que les gens croient en vous, il faut que vous croyiez en vous-mêmes ! Attayar a une opportunité historique pour rafler la mise aux élections de 2019. Le message, dorénavant, n’est plus d’exister, mais de transformer un rêve en un projet de pouvoir. Attayar doit s’atteler à la tâche d’instaurer des institutions économiques inclusives qui bénéficient à tout le monde (Des institutions qui génèrent des opportunités économiques égales pour tous les acteurs de la société et qui instaurent des règles de jeu équitables), et non extractives, qui transfèrent la richesse, d’une majorité exploitée vers une minorité dominante. La suite est une panoplie d’institutions politiques inclusives (bien plus difficiles à établir qu’une simple démocratie ou un vote direct, parce que la démocratie est le chemin qui y mène et non le but ultime, et parce qu’il y a des démocraties avec des qualités très variables dans le monde), seules à pouvoir garantir la pérennité des institutions économiques inclusives. La tâche est formidable, et la récompense historique. Il faut dire que les institutions extractives économiques et politiques ont dominé le mode depuis l’âge néolithique. Ce n’est qu’en échappant de cette malédiction que certains pays ont pu prospérer et se développer durablement. La Tunisie pourra-t-elle faire de même ? Si Oui, alors ça serait l’événement historique majeur depuis des centaines d’années et ça serait le début d’un vrai rattrapage économique. Oublier les explications géographiques, culturelles, ethniques ou autres. Le développement est le corollaire de l’établissement d’institutions inclusives. L’Angleterre a initié l’état de droit en 1688 et a dominé le monde depuis, au même moment où l’Espagne commençait son déclin. Le Japon s’est métamorphosé en 1869 et a rejoint le rang des grands très rapidement après alors que les chinois sombraient dans la misère et la famine en même temps. L’Amérique latine aurait pu concurrencer l’Amérique du nord vu la similitude des deux processus historiques mais le fossé n’a cessé de s’élargir entre les deux. La Corée du nord est aujourd’hui 20 fois moins riche que son voisin du sud, bien qu’ils font partie d’un pays très homogène jusqu’en 1945, ce qui casse toute hypothèse de déterminisme culturel. Rien n’empêche la Tunisie, seul pays arabe à commencer un vrai processus démocratique, de construire ses propres institutions inclusives et de se mettre sur un vrai chemin de progrès. Dieu ne nous a pas créés pour être un pays tiers-mondiste, et l’enjeu des élections de 2019 doit être le début d’un vrai processus de rattrapage économique et sociétal. Tel doit être le rêve incarné par Attayar.
Ala Abid
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