Qui est Ali Belhaouane, le héros des évènements du 9 avril 1938
Si les tenants et aboutissants des évènements du 9 avril 1938 et les artisans de cette date phare du mouvement national sont connus des Tunisiens à force d’entendre leurs noms à chaque commémoration, Ils ignorent tout du héros et de l’élément déclencheur de ces évènements, le professeur d’arabe au collège Sadiki, le maître à penser de la jeunesse à l’époque, Ali Belhaouane dont l’arrestation le 8 avril 1938 a provoqué les manifestations du 9 avril et la féroce répression de la police française .
Ali Belhaouane est né en 1909 dans la médina de Tunis, la même année qui a vu naître Cheikh Mohamed Fadhel Ben Achour, Aboul kacem Chabbi, et Ali Douagi. Des sommités dont il se distinguait en ce qu’il joignait au militantisme politique une intense activité intellectuelle et littéraire.
Le 18 mars 1938, il prononçait une conférence au siège du Néo Destour sur le thème « la contribution de la jeunesse tunisienne au mouvement de résistance. A sa sortie, il est porté en triomphe par les élèves de Sadiki. Tribun hors pair, il enflamme la foule avec ses harangues. Des slogans anti français sont scandés. le lendemain, le Résident général le démet de ses fonctions.
Le 8 avril, il conduit une manifestation réclamant un parlement tunisien. Il est arrêté. Le 9 avril, en réaction, des manifestations sont organisées devant la résidence (le bâtiment qui abrite l'ambassade de France, aujourd'hui).Une fusillade éclate faisant plusieurs dizaines de morts. Libéré par les forces allemandes pendant la 2e Guerre Mondiale, il est chargé en 1943, de l'organisation des structures du Néo-Destour et de la formation de ses cadres. Avec le déclenchement de la révolte armée en 1952, il se rend successivement en Irak et en Égypte pour recueillir des soutiens à la cause nationaliste. Il participe aussi aux négociations menant à l'autonomie puis joue un rôle prépondérant dans l'organisation du congrès du Néo-Destour tenu en novembre 1955 et qui scelle la défaite de Salah Ben Youssef.
Après l’indépendance, il sera nommé député à la Constituante. Le 25 juillet 1957, il est désigné par le président Bourguiba pour informer le bey de sa déposition par l’Assemblée et la proclamation de la République. En 1958, il est nommé président du Conseil municipal de Tunis. mais un différend l'oppose à Bourguiba. Ce dernier voulait lui imposer un secrétaire général qu'il n'appréciait pas. La question restera en suspens. Il s'envole pour le Maroc où il participe, aux côtés du secrétaire général du Néo Destour, Bahi Ladgham à la conférence des partis maghrebins à Tanger. A son retour, il prend part le 10 mai, à une réunion restreinte au ministère de l'Intérieur sous la présidence de Bourguiba, groupant Bahi Ladgham, Taieb Mehiri et Ali Belhaouane.
Dans ses mémoires, «le bon grain et l’ivraie», Beji Caid Essebsi qui était un proche collaborateur deTaïeb Méhiri, relate la suite. «A la fin de la réunion, je me rends au bureau de Taïeb Mehiri. Il discutait avec Ali Belhaouane. A mon arrivée, ce dernier se lève et prend congé du ministre». Béji Caïed Essebsi l'accompagne jusqu'à la sortie. Avant de quitter le ministère, il prend BCE par le bras et s'adresse à lui en ces termes :« Sache, mon enfant qu' une vie sans dignité, ne vaut pas d'être vécue». «J'ai alors compris que la réunion a été houleuse et que Belhaouane a dû changer le secrétaire général de la municipalité qu'il a choisi», a noté Béji Caïd Essebsi dans ses mémoires.
Le jour même, à 15 heures précises, Ali Belhaouane succombe à une crise cardiaque. Il sera enterré le lendemain dans le carré des martyrs deu cimetière du Jellaz.Il avait 49 ans. Bourguiba conduisait le cortège funèbre.
Lors de la lutte nationale, quatre hommes avaient le titre de Zaïm : le président du parti, Bourguiba (le plus brillant et le plus charismatique), Salah Ben Youssef, le secrétaire général (le plus ambitieux), Mongi Slim, le plus populaire (on l'appelait Ezzaïm el mahboub) et Ali Belhaouane (Zaïm echabab). Les quatre pouvaient prétendre à un destin national. Ils connaîtront des fortunes diverses. Le premier sera un grand président mais ratera sa sortie. Le second choisira l'exil au lendemain de l'indépendance. Il fomentera quelques complots avant d'être assassiné à Francfort, le troisième sera le premier africain à présider l'Assemblée généraL de l'ONU. Il aurait pu en devenir le secrétaire général ou juge à la Cour de justice de la Haye. Malheureusement, Bourguiba a fini par prendre ombrage de sa popularité croissante à l'intérieur et à l'extérieur. Il finira sa carrière politique comme ambassadeur itinérant. Quant à Ali Belhaouane, il se contentera du poste honorifique de président du Conseil municipal de Tunis, alors que son immense popularité auprès des jeunes le prédestinait à un poste important au gouvernement ou au parti. Intègre, grand patriote, il savait remuer les foules, les mobiliser pour les bonnes causes. Il est vrai qu'il y avait en face de lui un orfèvre en la matière, en la personne de Bourguiba. Mais cela ne justifie pas le sort humiliant qui lui a été réservé au lendemain de l'indépendance eu égard au rôle qu'il a joué pour ancrer le sentiment national dans l'esprit des générations montantes. Si Sadiki a été pendant des années un incubateur de patriotes et par la suite des futurs hauts cadres de l'administration , on le doit à Ali Belhaouane. Il n'a pas été payé de retour et c'est bien dommage pour lui, mais surtout pour la Tunisie qui n'a pas su profiter de ses services.
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