Mohamed Larbi Bouguerra: Cent ans de colonialisme: les 68 mots et les 15 lignes de la déclaration Balfour qui ont ravage le Moyen-Orient
« La justice est muette, et l’injustice crie » (Jean de Rotrou)
Cent ans après l’infâme déclaration Balfour, de quoi Israël est-il le nom ?Un jeune écrivain israélien de 38 ans, Nissan Shor voit ainsi son pays :« Israël n’a pas d’existence propre. Il n’existe pas de pays appelé « Israël ». C’est du bluff. C’est une arnaque. D’une manière ou d’une autre, on nous a fait croire à quelque chose dénué de toute logique. Une entité souveraine ? Pas du tout. Israël est un Etat dépendant. Un porte-avion des Etats Unis comme cela a été dit. Ce n’est pas une plaisanterie ou du folklore. C’est une réalité. La souveraineté d’Israël dépend de l’aide extérieure. Nous obtenons de l’argent des Etats Unis, des sous-marins de l’Allemagne et de la main d’œuvre de Palestine, d’Afrique et d’Asie…..Le violent désir israélien pour l’expansion est insatiable car l’endroit est trop petit et trop limité….Non seulement c’est limité mais apparemment, c’est temporaire…Chacun veut partir et il y a cette nostalgie pour la diaspora que nous avons quittée. Il ne s’agit pas que de l’obsession des ashkénazes pour les passeports étrangers…. Une activité purement israélienne, ici et maintenant, cela n’existe pas. En Israël, les politiciens et les grands hommes d’affaires font sortir en catimini leurs enfants pour une meilleure vie ailleurs alors qu’ils transforment ce pays en un tas de ruines et en un terrain fertile pour l’exploitation. Ici, seuls demeurent en place les perdants.»(Haaretz, 9avril 2016)
En 1917, comment se débarrasser des juifs ?
Automne 1917, l’Europe est à feu et à sang : la bataille des Flandres est une boucherie tandis qu’à Pétrograd (actuel Saint Pétersbourg), les bolcheviks attendent que les salves du croiseur Aurore frappent les trois coups de la Révolution russe marquant une extraordinaire accélération de l’Histoire. Les communautés juives de la Russie tsariste en pleine décomposition et des pays Baltes vivaient des jours très sombres de pogroms à répétition et fuyaient en grand nombre – 2 millions de réfugiés- vers la Grande Bretagne, la France, les Etats Unis, la Pologne, l’Allemagne…. Exactement comme les immigrés d’aujourd’hui mettant le cap sur l’Europe dans des canots de fortune. C’est pourtant le moment choisi par Arthur James Balfour, ministre britannique des Affaires Etrangères, pour envoyer une courte lettre au richissime lord Rothschild, vice-président des députés juifs à la Chambre des Communes.
68 mots et 15 lignes seulement ont jeté les fondations illégitimes d’Israël par la grâce de la perfide Albion et inauguré cent ans de colonialisme en train de virer actuellement à l’apartheid et au génocide dans la bande de Gaza (1,8 million d’habitants en 2014, la plus grande prison du monde) privée d’eau et d’électricité par les sionistes.
Une déclaration antisémite
Nabil Shaath, conseiller diplomatique du Président Abbas, note : « Il y a cent ans, le grand problème des Européens était : « Comment se débarrasser des juifs ? ». C’était la motivation inavouée. Et ce fut la déclaration Balfour. Comme l’a très bien dit l’écrivain Arthur Koestler, « une nation a donné à une autre nation le territoire d’une troisième.» ….L’autre motivation était de pousser les Américains à entrer dans la guerre et, pour cela, les Anglais comptaient sur l’appui du mouvement sioniste, très puissant aux Etats Unis.»( l’Humanité, 2 novembre 2017, p. 23). La Grande Bretagne redoutait que le nouvel ordre en Russie, sous l’impulsion de Lénine, ne mette fin à la guerre-« tombeau des prolétaires »-permettant ainsi à l’armée allemande de dégarnir le front Est et d’envoyer des effectifs contre les Alliés à l’ouest. La déclaration est aussi un appel du pied aux juifs russes que l’on voulait arracher à l’influence communiste propagée par Lénine et …par le juif Trotski !Las ! Le 7 novembre 1917, les bolchéviques prennent le pouvoir. Ils publient dans la foulée, une déclaration précisant que le sionisme est un complot capitaliste. Ils ouvrent les archives du Ministère des Affaires Étrangères tsariste, et rendent publics les traités secrets que les Britanniques ont scellé, avec leurs alliés, pour dépecer l’Empire Ottoman. Il en résulte que les Occidentaux ne se sont pas battus pour la démocratie comme ils le prétendent mais pour leurs propres intérêts et pour s’attribuer de grandes parties du monde. Ils sont ainsi mis à nu et les Arabes comprennent qu’on les a bernés.
Voici les premiers mots de la missive de Balfour : « Le gouvernement de Sa Majesté envisage favorablement l’établissement en Palestine d’un foyer national juif…. » mais la suite mérite d’être connue : «…Etant bien entendu que rien ne sera fait qui puisse porter atteinte aux droits civils et religieux des collectivités non juives. » Phrase jésuitique, subtilement condescendante qui ne se donne même pas la peine de nommer le peuple que Balfour vouait à la spoliation. 700 000 Palestiniens – musulmans et chrétiens- qui auraient, à la rigueur, quelques droits religieux mais aucun droit politique (Denis Sieffert, Politis, 2 novembre 2017, p. 3). La Grande Bretagne se donne ainsi le droit de disposer de tout un peuple et de nier ses droits à décider de son propre devenir !
En fait, cette déclaration a suscité des réactions souvent hostiles, les sionistes étant à l’époque une infime minorité. Les ultraorthodoxes juifs étaient contre, ne voulant pas précipiter l’arrivée du Messie. Oppositionchez les Arabes à qui les Anglais avaient promis, en 1915, l’établissement d’un royaume arabe qui engloberait ce territoire, à l’époque partie intégrante de la Syrie, province de l’empire ottoman. De même, en 1917, Yosef Castel, un notable de Jérusalem et quelques juifs sépharades – dont les parents avaient été expulsés d’Espagne en1492 -se sont élevés contre la formulation de Balfour : « un foyer national pour le peuple juif » et se sont battus pour un foyer national pour deux peuples. Mais leur voix a été étouffée par les ashkénazes qui ont tout manigancé avec Londres sans les consulter (Lire OferAderet, Haaretz, 30 octobre 2017). Ce sont les sionistes qui étaient à la manœuvre et non les juifs : en réalité, la déclaration ne résolvait aucun des problèmes des juifs d’Europe.
Opposition encore : après la guerre, une délégation arabe restera un an à Londres pour tenter de faire annuler cettedéclaration. Celle-ci venait en réalité 18 mois après l’accord secret que la France et la Grande Bretagne avaient conclu et par lequel elles se sont partagées l’empire ottoman en jetant aux orties les promesses d’indépendance faites aux Arabes…car les Occidentaux commençaient à humer les effluves enivrants et prometteurs des hydrocarbures. Et c’est ainsi que les puissances occidentales ont placé leurs rapports avec le monde arabe sous le signe de la trahison et du mépris. De plus, l’Angleterre voulait s’assurer un allié indéfectible sur la route des Indes- ce joyau de la Couronne- au centre du monde arabe et dans le voisinage du Canal de Suez. Que pèsent les promesses faites au chérif de la Mecque Hussein et celles servies à Ibn Saoud de soutenir l’indépendance des Arabes dans la région ? Que pèsent alors les Palestiniens face à ces motivations impérialistes ? Morte et enterrée l’autodétermination des Palestiniens !Balfour dispose ainsi d’un pays et d’un peuple alors que les juifs en Palestine étaient une minorité, « 11% qui ne possédaient que 7% des terres en 1947» écrit HananAshrawi dans The Guardian (2 novembre 2017). Mais à cette minorité et à tous les juifs du monde, le droit à l’autodétermination est reconnuà l’exclusion des seuls Palestiniens. « Ainsi sont semées les graines d’une calamité dont les fruits empoisonnés sont aujourd’hui sur la table des deux peuples. Il n’y a rien à célébrer. A l’occasion de ce 100 ème anniversaire, il faudrait plutôt appeler à réparer cette injustice qui n’a jamais été reconnue ni par la Grande Bretagne ni évidemment par Israël…Le colonialisme britannique a ouvert la voie au colonialisme israélien…» affirme Gidéon Lévy (Haaretz, 28 octobre 2017)
Derrière la déclaration Balfour, il y a aussi le biochimiste Haïm (ou Charles on ne sait pas exactement) Weizmann- un sioniste convaincu né en Biélorussie- qui fournira un travail acharné pour convaincre les Anglais et qui mettra au point un procédé innovant plus sûr pour la production de l’acétone, un solvant indispensable pour obtenir des explosifs plus performants. (Lire notre article « La déclaration Balfour du 2 novembre 1917 et l’importance géostratégique de la chimie dans le monde d’aujourd’hui » sur le site de Leaders en date du 29 novembre 2013). Weizmann manipulait les chrétiens sionistes naïfs de l’Angleterre protestante qui voulaient hâter l’arrivée promise du Messie « quand les juifs seraient rassemblés en Palestine. » Or, si « le Messie arrive, les juifs doivent se convertir ou mourir » affirme le professeur Ilan Pappé (Réunion publique à Saint Denis le 5 novembre 2017) ! C’est à se demander qui manipule qui !
De Balfour à Theresa may
Le gouvernement palestinien avait réclamé, devant l'ONU, des excuses au Royaume Uni au sujet de la déclaration Balfour. Theresa May, bien au contraire, a rétorqué qu'elle commémorerait "avec fierté" cet anniversaire et « le rôle pionnier du Royaume Uni dans la création de l’Etat d’Israël » (The Guardian, 2 novembre 2017) ajoutant cependant que « les colonies sont un obstacle à la paix.» Elle a invité le 2 novembre 2017 le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu à un dîner privé de 150 couverts seulement, à Londres. Ce n’était ni un dîner officiel ni un évènement public. Le Premier Ministre sioniste a été plutôt déçu pensant trouver plus de décorum et de solennité. Quant au Foreign Office (Ministère anglais des Affaires Etrangères),marchant sur des œufs, il a essayé d’adopter une approche « équilibrée » en disant que la protection des droits des Palestiniens était mentionnée dans le texte de 1917 et qu’elle demeure non assurée. En Israël, l’ambassadeur de Sa Majesté britannique, David Querry, s’est contenté d’une réception à laquelle aucun ministre anglais ou israélien n’a assisté. Pour AnshelPfeffer (Haaretz, 28 octobre 2017), la déclaration Balfour a toujours été une croix pour les diplomates anglais dans leurs relations avec leurs homologues arabes. Leur frustration apparaît dans un tweet de Jonathan Allen, représentant permanent adjoint anglais à l’ONU disant: « Souvenons-nous, il y a deux parties dans la déclaration Balfour. La seconde n’est pas respectée. Le travail n’est pas fini. »
Quant au chef de l'opposition britannique, Jeremy Corbyn, il a boycotté cette odieuse célébration, il s’est fait abreuver d’insultes et qualifier d’antisémite par l’ambassadeur sioniste à Londres Mark Regev.Pour Corbyn, cet anniversaire devrait être un pas de plus pour la solution à deux Etats et, dans ce but, il faut exercer des pressions sur Israël pour mettre fin à cette occupation de 50 ans, à l’expansion des colonies illégales et au blocus de Gaza.
Des réactions en chaîne contre Israël
En réponse aux fanfaronnades de Theresa May, une grande manifestation a eu lieu samedi 4 novembre 2017 à Londres. Des milliers de personnes-souvent en famille- ont protesté, malgré la pluie, contre la déclaration Balfour et contre le nettoyage ethnique des Palestiniens. Ils ont réclamé le droit au retour des réfugiés inscrit dans les résolutions de l’ONU, des excuses et des dédommagements de la part du Royaume Uni. La société civile en Grande Bretagne montre la voie en faveur des Palestiniens : le 22 novembre2017, une action de lobbying des électeurs est prévue : ils vont rencontrer leurs députés pour les amener à condamner l’armée israélienne qui torture et emprisonne des enfants palestiniens. Enfin, un échec pour la politique pro-israélienne de Mme May et un succès pour le mouvement BDS, la Haute Cour de Justice a accordé aux Conseils locaux la liberté de ne pas participer à des investissements en Israël.
A Saint Denis, près de Paris, dimanche 5 novembre 17, une réunion publique consacrée à « La Palestine après Balfour : 100 ans de colonialisme/100ans de résistance » a été organisée par ATTAC, l’Union Juive Française pour la Paix (UJFP), le NPA, l’Association France Palestine Solidarité (AFPS), Union Syndicale Solidaires, le FTCR tunisien, les Jeunes Communistes… Elle a réuni un public très nombreux qui a débattu avec le Pr Ilan Pappé, de l’Université d’Exeter (GB) et auteur de « La propagande d’Israël », d’Alain Gresh, journaliste et directeur d’Orient XXI, auteur d’ « Israël Palestine :Vérité sur un conflit », de Rabeb Abdulhadi, Palestinienne et professeur àl’Université de San Francisco (EU), YoussèfBoussama, historien…Elsa Lefort, du collectif de soutien à Salah Hammouri, avocat franco-palestinien en détention arbitraire en Israël depuis 77 jours…Bien d’autres manifestations ont eu lieu en France pour la Palestine et la libération de Salah Hammouri.
Les cent ans de cette déclaration ont permis de braquer les feux sur Israël en dépit des drames qui endeuillent la région. Manifestations estudiantines pour la Palestine dans de nombreux campus américains où la vice-ministre des Affaires Etrangères d’Israël, TzipiHotovely, fait une tournée. Les étudiants de l’Alliance des Progressistes juifs de la prestigieuse Université Princeton se sont opposés à sa visite car ses positions politiques « causent un irréparable dommage à la perspective d’une solution pacifique au conflit israélo-palestinien » et jugent que « Hotovely est raciste et donne une fausse image de la politique et des valeurs de notre communauté juive » (Haaretz, 7 novembre 2017).
De l’autre côté de l’océan, en Finlande, les députés s’inquiètent pour les prisonniers politiques palestiniens. Ils ont interpellé la Knesset (Parlement israélien) sur cette question. Quant au Parlement espagnol, il vient de reconnaître le mouvement BDS de boycott d’Israël au nom de la liberté d’expression. De son côté, l’Afrique du Sud a dégradé ses liens diplomatiques avec Israël.
Nissan Shordécrit l’Israël d’aujourd’hui comme un protectorat yankee. Une nouvelle preuve en a été fournie à l’ONU ce premier novembre 2017. Il s’agissait de demander la levée du blocus économique imposé par les Etats Unis à Cuba. L’assemblée Générale a voté en faveur de cette levée par 191 voix….contre 2 voix : les Etats Unis et Israël, évidemment.
Cent ans….et pourtant la résistance ne faiblit pas***. Mais les Palestiniens font face à l’Etat le plus puissant de la planète et à son démoniaque rejeton sioniste choyé par l’Occident…Le Premier ministre français n’abuse-t-il pas en faisant l’amalgame antisionisme=antisémitisme pour criminaliser toute critique d’Israël?
Mohamed Larbi Bouguerra
***Vient de paraître : « La résistance palestinienne : des armes à la non-violence » de Bernard Ravenel, agrégé d’histoire, ancien président de l’AFPS et de la plateforme des ONG françaises pour la Palestine. Editions L’Harmattan, Paris, 2017.
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Et la France dans tout ça ? walou , des promesses de reconnaissance de la Palestine renvoyées aux calendes grecques pour ne pas froisser le CRIF , l'AIPAC , Netanyahou , Trump et tous les faiseurs de rois à la solde de l'état voyou .
A Abdelkader: Il y a eu de la part du Quai d'Orsay, une déclaration Cambon en juin 1917 avant donc celle de Balfour. Un soutien du gouvernement français aux aspirations sionistes. Cambon était le SG du Quai d'Orsay et a envoyé sa déclaration au dirigeant sioniste Nahum Sokolov. Ce texte soutient de manière officielle l'établissement d'un foyer national juif en Palestine. La France avait besoin d'argent pour la guerre et comptait sur Sokolov pour emprunter auprès des grandes banques américaines espérant qu'il faciliterait les choses! Aujourd'hui, la France aide Israël de mille manières: argent versé pour le reboisement d'Israël déduit des impôts, fête de Tsahal à Marseille, nombreux Français servant dans l'armée d'occupation (comme celui qui a tué un Palestinien blessé et à terre et a écopé de six mois de prison...) Netanyahou admis à la commémoration du Vel'Hiv, antisémitisme=antisionisme doctrine officielle, la France est le seul pays à criminaliser le mouvement BDS....