L’empire immobilier confisqué: Ce qui a été vendu, ce qui reste à vendre et comment
Le palais de Sidi Dhrif sera-t-il retiré de la vente? Pourquoi l’immense palais Amilcar de Sakhr El Materi n’a pas trouvé acquéreur, comme la résidence de Leïla Ben Ali à la Marina de Yasmine Hammamet? Et qu’est-ce qui a jusque-là été vendu et comment? Voyage entre sujets tabous, tentations de mainmise, comme jadis pour les biens beylicaux ou des étrangers, et transparence d’exécution assurée.
Si une seule vente a été réalisée depuis la confiscation en 2011 (une villa à El Menzah 9, pour 1,2 MD en 2013), 70 biens immobiliers ont été vendus au cours des 18 derniers mois à travers Gammarth Immobilière pour un total de 197 MD, dépassant de plus de 28 % en moyenne la valeur des expertises. Des conventions de gestion pour compte ont été également conclues en faveur d’une vingtaine de sociétés de promotion immobilière confisquées afin d’aider à liquider leur stock immobilier d’une valeur estimée à plus de 700 MD. Malgré toutes les difficultés rencontrées, Gammarth Immobilière s’assigne comme objectif de boucler sur la période 2017-2020 entre 35 et 40 appels d’offres par an. Cela permettra de céder pour le compte de l’Etat une moyenne de 100 à 120 biens confisqués, générant ainsi une enveloppe globale dépassant annuellement les 250 MD. Un bon démarrage, mais il faut tout accélérer, surtout que les récentes confiscations décidées feront tomber dans l’escarcelle de nouveaux lots de biens à préserver et céder.
Quelles sont la taille de cet impressionnant empire immobilier confisqué, sa composition et sa valeur? Qui en assure la gestion et la cession? Selon quelles procédures et avec quelles garanties? A quels prix ? Qui sont les acquéreurs et comment peut-on accélérer les opérations en cours? Un dossier exceptionnel que vous propose Leaders en exclusivité. A partir de documents de première main, l’interview du P.D.G. de Gammarth Immobilière, Ather Chaabane, et des entretiens avec des acteurs concernés, vous découvrirez les coulisses de la plus grande opération immobilière en Tunisie.
Des casse-tête chinois en cascade
Les Tunisiens ne sont pas les seuls à en être curieux, sinon directement intéressés. La question suscite l’attention à l’étranger aussi où on cherche à connaître le mode d’emploi adopté. Que sont devenus ces superbes résidences de grand luxe, villas de maître, appartements et terrains à bâtir, appartenant jadis au président déchu et à des membres de sa famille et autres personnes et récupérés par le domaine privé de l’Etat après leur confiscation en 2011?
Avant de dresser l’état des lieux, commençons par rappeler les fondamentaux. La confiscation a été prononcée au titre du décret-loi 2011-13 daté du 14 mars 2011 portant confiscation d’avoirs et de biens meubles et immeubles, prononcée à l’encontre de l’ancien président Ben Ali et son épouse ainsi qu’en Annexe 1, de 112 autres personnes. Il institue en outre une commission de confiscation compétente en la matière. Quatre mois après, et au vu des problèmes d’intendance rencontrés, une commission nationale de gestion des avoirs et des fonds objet de confiscation ou de récupération en faveur de l’Etat a été créée par le décret-loi n° 2011-68 du 14 juillet 2011.
Le casse-tête chinois ne faisait que commencer. Le gouvernement de la Troïka s’est emmêlé les pinceaux, optant surtout pour un grand show d’exposition de voitures, de meubles, de bijoux et même d’habits appartenant au couple présidentiel déchu et leurs siens. De grands groupes hérités de la confiscation, comme ceux de Belhassen Trabelsi ou Sakhr El Materi, exigeaient une reprise en main immédiate. Al Karama Holding sera alors créée pour reprendre des entreprises initialement du groupe Princesse (El Materi) puis des Trabelsi. L’objectif était de les préserver et de préparer leur cession. Le chemin fut des plus difficiles. Seules des participations majoritaires à six sociétés ont été jusque-là effectuées.
S’ajoutait alors la question de l’immobilier. Un autre casse-tête chinois. Le flou absolu régnait, aucune vente réalisée et des rumeurs ne cessaient d’enfler quant au palais de Sidi Dhrif, les résidences de luxe de l’épouse du président déchu à la Marina Yasmine Hammamet, ainsi que des Trabelsi, El Materi à Hammamet, mais aussi à Sidi Bou Saïd et autres.
Le bras foncier de la commission de gestion
La formule a été trouvée en 2015 par le gouvernement Habib Essid. Elle consiste à confier la gestion de ces biens et la préparation de leur cession à une entreprise privée, moyennant une convention spéciale rémunérée. Il s’agit en l’occurrence de Gammarth Immobilière, elle-même confisquée (à Belhassen Trabelsi) et constituant le bras foncier de la Commission nationale de gestion des avoirs et fonds objet de confiscation ou de récupération. A sa tête a été désigné un haut commis de l’Etat chevronné, Ather Chaabane. Contrôleur général des finances et ex-président de la commission départementale des marchés publics et membre de la Commission supérieure des marchés, ayant occupé auparavant de hautes fonctions au sein de ministères et organismes publics, il a su s’entourer d’une bonne équipe (60 personnes au total) formée aux quatre quarts de cadres qualifiés dans les domaines foncier, juridique, technique et commercial.
En top VIP
Les résidences de luxe (au nombre de 13) sont celles qui focalisent le plus l’attention des Tunisiens. Si la résidence de Sidi Dhrif n’est pas mise en vente, toutes les 13 autres en question sont à la recherche d’acquéreurs. Elles ne sont pas faciles à écouler en raison du prix élevé justifié par l’emplacement, la superficie, la nature du bâti et les sommes additionnelles nécessaires pour l’achèvement de leurs travaux. Par cinq fois, l’appel d’offres relatif au palais Amilcar de Sakhr El Matri à Sidi Bou Saïd a été déclaré infructueux. Il est vrai qu’elle s’étale sur une superficie totale de 7 500 m2, sur un terrain de 13 000 m2 en front de mer. Diverses estimations la valorisent à plus de 50 millions de dinars. Une petite villa construite en annexe a été adjugée au prix de 6,5 millions de dinars. Il en est de même pour la résidence meublée de Marina 44 à Yasmine Hammamet, qui appartenait à Leïla Ben Ali, restée à ce jour sans acquéreur.
Quant à la résidence de Belhassen Trabelsi à Sidi Bou Saïd, elle a tapé dans l’œil d’une femme d’affaires tunisienne qui l’a acquise au prix de 20,3 millions de dinars. Dans cette même catégorie luxueuse, on trouve également des résidences à la Baie des Anges (El Kantaoui), Utique et Hammamet.
Quid des villas?
Les 110 villas confisquées sont d’inégale valeur. Il s’agit pour la plupart d’entre elles de résidences de gamme supérieure, voire moyenne. Au-dessus du lot, émergent cependant une vingtaine de villas haut de gamme. La première villa cédée (en 2012), totalisant une superficie couverte de 600 m2, et située à El Menzah 9, a été vendue au prix de 1, 2 million de dinars.
Et les appartements?
Il y a de tout parmi ces 8 immeubles et 141 appartements. A l’exception de quelques unités de grand standing au Lac ou dans des banlieues huppées, la quasi-totalité des autres sont de moyenne gamme, avec différentes surfaces. A lui seul, un proche parent de Ben Ali détenait pas moins de 42 clés, s’agissant principalement de studios et petits appartements situés au Sahel (Mahdia, Sousse et Monastir), loués à des étudiants et des fonctionnaires.
Le gros lot des terrains à bâtir
Avec les résidences de grand luxe, on trouve également de véritables joyaux de la couronne sous forme de lots de terrains à bâtir situés dans des endroits de choix.
Les 228 terrains confisqués ne sont pas tous exceptionnels, pouvant générer une valeur très élevée, mais certains lots sont précieux. Surtout ceux se trouvant à proximité de la marina de Gammarth et dans d’autres sites de choix en banlieue nord et aux environs immédiats de la capitale. Cet important stock de terrains et immeubles enregistrés aux actifs des sociétés de promotion immobilière confisquées affiche une valeur estimative dépassant les 700 MD. Y figurent les terrains ayant appartenu aux sociétés de promotion immobilières «Les Hirondelles», «Sicile Immobilière», «Dunes de Gammarth», «Le Marchand immobilier» appartenant à l’ancien groupe Sakhr El Matri et les sociétés «Loft Immobilière», «Coréal» et «Texim» appartenant à la famille Trabelsi.
L’analyse des dossiers a laissé apparaître que pour les 68 sociétés confisquées, nombre de ces terrains avaient été acquis par des sociétés de promotion immobilière qui étaient de véritables coquilles vides, sans personnel, ne présentant à leur dossier que l’autorisation d’acquisition, parfois même sans existence juridique effective. Les transactions se déroulaient dans des conditions opaques et avaient été assorties de changement de vocation. Les lots jusque-là mis en vente ont suscité l’engouement de particuliers et surtout de promoteurs immobiliers. Les prix ont atteint jusqu’à 4 mille dinars le m2 au Lac ou tout près de la Banque Zitouna, pour culminer à 6 300 D le m2 pour le terrain devant le Ritz, en front de mer au Lac 2, inscrit au nom du fils de Ben Ali.
Qui sont les acquéreurs?
Contrairement à ce qu’on pourrait croire, il y a un engouement croissant pour l’acquisition des biens confisqués mis en vente. Si les Tunisiens avaient été au départ réticents pour diverses raisons psychologiques, juridiques et financières, ils ont fini par s’y mettre au vu des premières transactions conclues. Ne faisant pas beaucoup confiance au processus de confiscation, et craignant d’y perdre leur argent, ils ont été édifiés en voyant les premiers heureux acquéreurs disposer d’un titre de propriété dûment enregistré à la Conservation foncière. Les crédits de financement accordés par les banques – à commencer par la Banque de l’Habitat– les ont également fortement encouragés. Indicateurs significatifs, jusque-là pour la première quinzaine d’appels d’offres lancés, 810 personnes ont procédé au retrait des cahiers des charges. Parmi eux, 545 ont soumissionné sous pli fermé.
Tenu par le secret professionnel, Ather Chaabane, P.D.G. de Gammarth Immobilière, s’abstient de révéler l’identité. «Tout est publié sur notre site web, la dénomination du bien, sa nature et le prix de sa cession. Mais pas le nom de l’acquéreur. Là s’arrête la transparence. L’obligation de confidentialité absolue est de rigueur », dira-t-il à Leaders. Rien ne l’empêche cependant de nous retracer le profil-type de l’acquéreur.
«Il y a de tout, selon la catégorie des biens et leur valeur, nous répond-il. Pour le haut de gamme, on trouve des gens fortunés parmi les propriétaires terriens, chefs d’entreprise, médecins et autres professions libérales. Pour les appartements, il s’agit de bourses moyennes entre fonctionnaires, salariés du secteur privé et patrons de PME, professions libérales et autres. Quant aux terrains à bâtir, c’est essentiellement des promoteurs immobiliers.» Et le financement? «En partie sur des fonds propres, et le reste, souvent important, grâce à des crédits bancaires», indique Ather Chaabane. Le paiement, ajoute-t-il, censé être immédiat, est en fait échelonné, selon l’avancement de la procédure. Pour la promesse de vente, une première avance de 10% du montant est exigée, le temps que les différentes formalités soient accomplies de part et d’autre.
Un parc impressionnant
L’immense patrimoine immobilier pris en charge comprend pas moins de 500 titres répartis entre résidences de luxe, villas, terrains à vocation multiple et immeubles et appartements. Il s’agit de:
- Résidences de luxe: 13
- Villas: 110
- Terrains à bâtir: 228
- Immeubles: 8
- Appartements: 141
Ces biens se situent essentiellement dans trois grandes zones:
- Tunis Banlieue Nord: 180 biens à Gammarth, La Marsa, Sidi Bou Saïd, Carthage, les Berges du Lac…,
- Cap Bon 60 biens à Hammamet, Nabeul,
- Le Sahel: 200 biens à Hammam Sousse, Sahloul, Chatt Mariem, Monastir et Mahdia
Un travail de titan devait alors commencer pour, d’une part, assurer la préservation de ces biens et, de l’autre, engager leur cession sur appel d’offres. Tout un parcours du combattant pour reconstituer le dossier complet de chaque bien, annoncer sa mise en vente et réussir à décrocher les meilleures offres possibles à un prix supérieur au prix plancher de l’expertise gardé sous scellés.
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Article intéressant. Vous vous aviez pu ajouter soit l'équivalent approximatif en devise étrangère, soit un taux de change approximatif à une date précise, cela aurait pu stimuler les éventuels investisseurs étrangers. Merci d'avance.