L’indispensable réforme de la loi sur la Titrisation
En Tunisie , la titrisation a été introduite par la loi n°2001-83 du 24 juillet 2001 portant promulgation du code des organismes de placement collectif et les textes subséquents dont notamment le décret n° 2001-2278 du 25 septembre 2001 portant application des dispositions des articles 15, 29, 35, 36 et 37 du code des organismes de placement collectif et le règlement du Conseil du Marché Financier relatif aux Fonds communs de Créances et aux sociétés de gestion desdits fonds.
Selon le texte de loi , le Fonds Commun de Créances est défini comme étant une copropriété ayant pour objet unique l’acquisition de créances saines détenues par les banques ou d’autres organismes prévus par décret en vue d’émettre des parts représentatives de ces créances sur le marché financier.
En effet, la titrisation consiste à regrouper des créances de même nature et à les céder à une structure ad hoc (fonds commun de créances), qui s’en sert comme garanties pour émettre des titres négociables. Le paiement des intérêts et du principal sur ces titres est directement lié aux flux financiers générés par le fonds commun. Pour les souscripteurs, l’intérêt des titres souscrits réside dans leur rendement élevé par rapport au risque de crédit, un rehaussement de crédit étant généralement offert sur l’ensemble ou une partie de l’émission. En outre, les caractéristiques de libellé et les flux de trésorerie peuvent être adaptés aux besoins spécifiques de catégories particulières d’investisseurs.
Ces mécanismes ne sont toutefois pas figés. De nombreuses techniques sont relativement récentes et l’innovation s’accélère. Des formules modernes, reposant sur des structures complexes et raffinées, cherchent à élargir la nature et la composition des créances sous-jacentes.
L’examen du cadre juridique en vigueur en Tunisie suscite au moins trois remarques de fond:
- Une éligibilité restreinte en ce qui concerne les initiateurs (cédants). La titrisation n’est réservée qu’aux seuls établissements bancaires, à l’exclusion des entreprises commerciales et industrielles privées ou publiques.
- Un champ d’application limité. Les créances titrisables ne portent que sur les créances résultant de crédits bancaires et dont la durée restante est supérieure à trois ans.
- Une rigidité au niveau des règles de fonctionnement des Fonds Communs de Créances (fonds fermés, plafonnés, non rechargeables, à émission unique, résultant d’un cédant unique, dépourvus de la personnalité morale et soumis à l’obligation de notation lors de l’émission et en cours de vie).
Ce constat est d’autant plus vrai qu’il n’est pas propre au contexte tunisien. Les expériences vécues dans d’autres pays (Etats-Unis, Europe) y compris dans notre région (cas du Maroc) montrent que la titrisation a toujours été abordée avec prudence lors de son démarrage mais évolue dans le temps. Elle commence tout d’abord par être réservée aux établissements financiers et s’étend ultérieurement aux entreprises industrielles et commerciales publiques et privées avec, en parallèle, l’assouplissement des règles de fonctionnement tout en veillant en permanence au renforcement des exigences en matière de régulation.
L’intérêt de la Titrisation n’est pas à redémontrer malgré toutes les appréhensions qui ont surgi avec la crise des subprimes en 2008. Les nombreuses réformes apportées aux différentes juridictions de par le monde, dont en particulier celles visant un meilleur encadrement des marchés et des pratiques, laissent présager que la relance de la titrisation est possible. Les frémissements observés sur les marchés internationaux ces dernières années le démontrent.
Nous disposons aujourd’hui en Tunisie d’une vision rétrospective par rapport à une expérience vieille de quinze ans, ce qui nous permet d’établir un bilan, malheureusement, amer de cette nouvelle discipline. En effet, en dehors des deux opérations de cinquante millions de dinars chacune, initiées respectivement en 2005 et 2006 par la BIAT, aucune autre opération n’a vu le jour. La titrisation a sombré depuis 2006 dans une phase de stagnation qui risque d’être interminable si l’on ne se penche pas sur la problématique liée à la teneur des dispositions règlementaires en vigueur. L’intérêt de ressusciter le débat autour de cette question en vue d’envisager les réformes qui s’imposent, semble être manifeste.
La réforme du cadre juridique serait en effet d’un intérêt capital si l’on considère la conjoncture économique et financière difficile qui sévit aujourd’hui. Le recours à la diversification des instruments de financement dans l’objectif de contribuer efficacement à l’amélioration du financement de l’économie nationale devient indispensable.
La baisse des investissements étrangers, la tension accrue sur le budget de l’Etat, les besoins de financement colossaux des grands projets publics structurants, les difficultés des entreprises publiques à mobiliser des financements et le resserrement des liquidités bancaires sont autant d’arguments qui militent en faveur de la recherche de nouvelles perspectives de levée de fonds.
La titrisation en tant que technique de financement alternatif figure parmi les instruments que l’Etat et les professionnels du marché financier se doivent de promouvoir. L’objectif étant d’en faire un véritable levier de financement assez puissant de l’économie.
Pour ne citer que l’expérience du Maroc, il est opportun de souligner l’impact positif qu’a eu la réforme profonde de la loi sur la titrisation introduite en 2013 sur cette activité.
En effet, l’expérience du Maroc a montré que l’adoption d’un cadre juridique évolutif et expansionniste a permis de ressusciter l’intérêt des initiateurs potentiels (Banques, Groupes privés, Entreprises publiques) à l’égard de cette technique de financement et d’accroitre l’attractivité pour les investisseurs. La loi de 2013 semble avoir amorcé la relance de cette activité après une longue période de stagnation similaire à la nôtre. Les nouveaux textes réglementaires permettent désormais de titriser tous types d’actifs tangibles et non tangibles et d’élargir la liste des initiateurs à l’ensemble des acteurs économiques (personnes morales) ayant des actifs éligibles.
Aujourd’hui, les banques au Maroc manifestent clairement une attention grandissante à l’égard de la titrisation et prennent de plus en plus conscience de son importance en tant qu’alternative sérieuse pour le financement de l’économie. D’ailleurs, plusieurs sociétés de gestion de Fonds Communs de Créances, filiales de banques, ont vu le jour. Les années à venir verront fort probablement une montée en charge substantielle de cette activité au Maroc eu égard aux évolutions attendues en termes de règles prudentielles pour les banques et aux tensions de liquidités qui pèsent sur les acteurs économiques d’une manière générale.
La loi de 2001, ayant posé les contours d’un premier cadre juridique de la titrisation en Tunisie, il est à notre sens grand temps d’envisager son amendement afin de mettre en évidence les intérêts que cette technique financière serait en mesure de procurer en faveur des entreprises industrielles et commerciales publiques ou privées à savoir :
- la diversification des sources de financement,
- la réduction des couts de financement,
- le transfert total ou partiel des risques,
- et l’amélioration de la présentation du bilan.
Les axes de la réforme préconisée doivent, à notre avis, s’orienter vers une expansion substantielle tant en termes de nature d’actifs, que de marchés et de méthodes. Il s’agirait en particulier d’envisager :
- l’élargissement du champs d’application de la titrisation de manière à étendre le périmètre d’éligibilité à toutes créances actuelles ou futures , aux actifs tangibles et non tangibles,
- l’extension de la liste des initiateurs éligibles aux autres établissements financiers, aux entreprises et groupes privés et aux entreprises publiques, cesdernières ont aujourd’hui et plus que jamais besoin de mobiliser des ressources substantielles de financement adossées plutôt à la valeur des actifs qu’elles détiennent en dehors des contraintes que posent les allocations budgétaires classiques,
- une plus grande flexibilité du régime de change pour plus d’attractivité des financements externes,
- l’assouplissement des règles de fonctionnement des véhicules de titrisation (Fonds Communs de Créances),
- le renforcement de la sécurité des investisseurs au sens d’une meilleure régulation et non d’interdiction,
- la révision des règles d’allocation d’actifs pour les investisseurs institutionnels (OPCVM et entreprises d’assurance) afin d’accentuer l’attrait de ce marché supplémentaire et cette source d’activité récurrente,
- l’admission des titres issus de la titrisation au refinancement auprès de la BCT,
- le renforcement des mécanismes favorisant la liquidité des titres émis sur un marché secondaire profond et dynamique,
- la mise en place d’incitations fiscales devant naturellement accompagner le nouveau cadre juridique (éviter le surcoût fiscal, mettre en place des traités de non double imposition, envisager des incitations fiscales pour certaines émissions).
Il est, bien entendu, que l’expansion projetée pourra être concrétisée progressivement dans la durée mais l’essentiel est de franchir le premier pas et d’amorcer le processus de la réforme. Une première action simple et à effet immédiat serait la promulgation des décrets prévus par l’article 35 de la loi de 2001-83 du 24 juillet 2001, pour définir les organismes autres que les banques détenteurs de créances éligibles à la titrisation ainsi que les caractéristiques de ces créances.
Habib Chebbi
PDG de Tunisie Titrisation
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