Impact économique des maladies non-transmissibles en Tunisie et actions
Le futur de la médecine peut désormais être lu dans l’histoire de l’aviation civile. En effet, la richesse de cette dernière en événements technologiques et apprentissages humains a toujours inspiré les processus innovants en médecine: de la sécurité des patients, du personnel soignant, jusqu’à l’adoption de nouvelles technologies à buts diagnostiques et thérapeutiques. Malgré les progrès curatifs et diagnostiques documentés et l’extension significative de l’espérance de vie, il reste un domaine où beaucoup de systèmes de santé jouent encore un câche-câche morbide avec le temps: la prévention des maladies non-transmissibles (MNT).
Ces dernières sont au nombre de 5: maladies cardio-vasculaires, maladies pulmonaires chroniques, diabète, cancers et maladies mentales. Le dénominateur commun de ces entités cliniques est qu’elles sont toutes liées au style de vie et qu’elles peuvent donc toutes être prévenues à un très haut degré. Il ya certes une composante héréditaire qui augmente le risque chez certaines personnes, mais les facteurs déclenchants sont très souvent liés aux choix individuels des personnes en question. Il y a 4 facteurs déclenchants dont les risques relatifs se multiplient (et ne s’additionnent pas) quand ils s’associent chez une même personne: le tabagisme, l’abus d’alcool, l’obésité/sédentarité et l’alimentation malsaine.
Quelques chiffres pour s’échauffer
A elles seules, l’obésité et la sédentarité sont responsables de la grande majorité des cas de diabète de l’adulte. En 2014, le monde comptait plus de 600 millions d’adultes obèses et 1 milliard 200 milles individus en surpoids. Plus de 200 millions d’enfants d’age scolaire sont en surcharge pondérale que qui se traduit statistiquement par la survenue de plus en plus précoce d’événements morbides raccourcissant cette même espérance de vie.
Le tabagisme et le sucre sont directement responsables du décès d’un adulte toutes le 6 secondes dans le monde. C’est ainsi qu’environ 14,400 familles perdent un parent proche par jour, et plus de 14 millions de personnes âgées entre 30-70 ans meurent chaque année à cause des MNT.
Bien que ces 4 facteurs de risque aient une pénétration variable dans les sociétés civiles des divers pays, les MNT constituent un fléau qui accable et ralenti les économies des pays en voie de développement. Ainsi, les pertes économiques globales causées par les MNT s’estiment à quelques US$ 7 Milliards entre 2015-2025 pour les pays en voie de développement -dont la Tunisie fait partie.
Tous ces chiffres sont à la hausse et évoluent à une vitesse à couper le souffle.
Cadres et accords globaux de lutte contre les MNT
Devant les tendances statistiques alarmantes et les enjeux économiques importants des MNT, l’OMS a élaboré un plan d’action sur plusieurs volets avec 9 objectifs globaux, ainsi que 25 indicateurs de progrès relatifs à la mortalité, morbidité facteurs de risque et des actions mises en place pour répondre aux MNT - à atteindre jusqu’en 2025. Chaque objectif et indicateur est doté d’une série d’outils pratiques pour la mise en place et la mesure de l’impact interventionnel. Le cadre d’action le plus développé avec des résultats aussi immédiats que tangibles étant la convention cadre de la lutte contre le tabagisme (FCTC).
Pour sa part, l’ONU a aussi défini 33 indicateurs de santé dans les Objectifs de Développement Durables (ODD), dont 7 sont directement liés aux MNT.La fin de cette année va marquer un point de référence pour le plan d’action global de l’OMS
contre les MNT: En effet, tous les pays signataires (la Tunisie est de la partie) de ce plan doivent
soumettre un rapport sur leurs progrès respectifs et concrets dans ce cadre.
Figure1: Les 9 objectifs de lutte contre les MNT
Et la Tunisie dans tout cela?
En 2008, selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), en Afrique du Nord et au Moyen Orient, 69% des décès d’individus âgés entre 30-70 ans étaient liés aux MNT. En 2030, ce chiffre sera de 80%. En Tunisie, le taux de mortalité du aux MNT était déjà à 82% en 2012, soit 2% plus haut que le chiffre regional projeté en 2030! Nous ne pensons pas que c’est la bonne manière d’être en avance sur les autres pays de la région…
Au vu de ces chiffres et par simple patriotisme, nous avons décidé de venir en aide au gouvernement Tunisien et mettre en oeuvre notre experience de plus de 25 ans, sur 4 continents et avec plus de 40 systèmes de santé publique. C'est ainsi que depuis Novembre 2016, nous avons commencé une série d’interactions avec les principaux acteurs locaux, de la Ministre la Santé en personne jusqu’à la Direction des Soins de Santé de Base (DSSB) en passant par l’Institut National de Nutrition (INNT), l’OMS et bien d’autres.
Nous avons investi 8 mois de notre temps et fonds privés et entrepris une série d’engagements intensifs qui nous ont permis de:
1- Dresser une cartographie assez réaliste des forces, faiblesses, opportunités et menaces des 2 programmes nationaux déjà en place (Etudes SWOT: Obésité/ Tabagisme).
2- Estimer l’impact économique des MNT en Tunisie (ou autrement dit, le cumul des coûts de l’inaction vis-à-vis des MNT) dont nous exposons quelques chiffres çi-après.
3- Définir les premiers piliers d’une nouvelle stratégie nationale durable de lutte contre les MNT, ancrée dans les principes des ODD et les cadres stratégiques de l’OMS. La base de cette stratégie étant une approche pluridisciplinaire fonctionnelle fondée sur les principes de ‘la santé dans toutes les politiques’.
4- Présenter les résultats préliminaires de notre engagement de courtoisie à Mme la Ministre de la Santé Publique et son cabinet.
Impact économique des MNT en Tunisie
1- Selon notre étude, 43% du budget du Ministère de la Santé Publique à été absorbé par les MNT. Nous n’avons pas pu retracer les effets de cet ‘investissement’ sur les maladies en question ou sur la qualité des soins portés aux patients.
2- Le coût de l’inaction vis-à-vis des MNT sur la période 2017-2030 s’estime à 27 millions de dinars.
3- Ceci représente 28% de notre PIB de 2015 sur une période de juste 13 ans.
4- Ceci représente aussi 5,6 fois le budget annuel du Ministère de la Santé Publique - MSP (point de référence 2013).
5- Ceci veut dire qu’au rythme de la croissance économique actuel (moyenne de 1,25%), la Tunisie aura besoin de mettre toute son économie en marche pendant plus de 25 ans pour compenser les seules pertes économiques liées aux MNT!
Pour mieux comprendre, les coûts que représentent ces chiffres sont liés aux pertes économiques directes et indirectes, les coûts du traitement, les coûts du personnel soignant, le manque à gagner du à la baisse sensible de productivité des malades chroniques du en grande partie à leur absentéisme fréquent, etc. Cet impact est d’autant plus grand que l’économie du pays est faible.
6- En Tunisie, un investissement étatique estimé a seulement 0,5% du budget annuel du MSP sur les prochaines 15 années, suffirait pour renverser l’impact négatif des MNT en Tunisie.
Actions
Ces chiffres permettent non seulement de mieux apprécier l’impact des MNT en Tunisie, mais aussi de monter le niveau de priorité et l’urgence d’action à l’encontre de ce problème. Il ya 2 bras de levier immédiatement actionnables. Notre expérience montre que les impacts positifs des 2 composantes suivantes se multiplient à mesure que leur execution avance:
1- Le Ministère de la Santé a pris conscience du problème. Cependant, l’action unilatérale de ce dernier ne suffira pas. Le succès de tels programmes repose très lourdement sur la capacité du gouvernement à mettre en place une stratégie nationale multi-sectorielle, fonctionnelle (= pas théoriquement fonctionnelle) et bien structurée. Pour accélérer cette entreprise, il ya plusieurs exemples à suivre dans le monde et nous n’auront pas besoin de réinventer la roue. En nous basant sur les résultats de notre étude, nous avons élaboré et soumis au Ministère une feuille de route très détaillée permettant la mise en place efficace, rapide et très peu couteuse d’une telle instance.
2- les chiffres alarmants sus-cités, sont bien la somme des mauvais choix de comportements alimentaire et physique de certains membres de la société civile tunisienne. Montrer les autres et/ou le gouvernement du doigt comme uniques responsables de cette débâcle socio-économique du secteur, sans toutefois se mettre soi-même en question, serait à la fois irresponsable et non-productif. La plus grande partie de la solution à ce problème économique reste d’abord et avant tout entre les mains de chacun de nos citoyens. Il ne tient qu’à vous de sauver notre économie des abysses en arrêtant de fumer, en adoptant des habitudes nutritionnelles saines et en exerçant une activité physique de façon régulière. C’est aussi simple que cela! Notre MSP est l’un des rares ministères au monde à avoir mis en place un numéro vert avec 65 consultations gratuites à travers tout le territoire pour aider au sevrage tabagique - patches de nicotine inclus et gratuits.
Résultats
Il ya des indicateurs bien définis qui peuvent aider -de façon objective- a retracer l’efficacité et mesurer l’impact de la somme des interventions contre les MNT. Nous prendrons comme exemple l’indice de tabagisme de l’OMS. Ayant une fourchette de 0-100 cet indice est inversement proportionnel à la prévalence nationale de consommation de tabac. Il est donc à comprendre qu’un indice élevé correspond à une petite population de tabagiques dans le pays en question et vice versa. La tendance à la hausse de cet indice correspondra donc à une diminution en nombre de la population de fumeurs. Plusieurs études scientifiques ont bien documenté l’impact positif de la baisse de l’incidence du tabagisme sur le risque de mortalité lié aux maladies cardio-vasculaires et aux cancers qui s’en suivent. La vitesse et l’amplitude auxquelles cet indice évolue va dicter le niveau de gains économiques acquis (ou de pertes économiques évitées) notamment grâce à la diminution en fréquence de ce facteur de risque.
Figure 2: Benchmark: Evolution des indices du tabagisme sur 25 ans dans 4 pays
La figure 2 montre que l’indice de tabagisme en Tunisie était plus haut que ceux de l’Australie et du Japon en 1990, mais que ces derniers ont consacré beaucoup plus d’effort à réduire le taux de tabagisme dans leurs pays durant ces 25 dernières années.
L’augmentation de 15 points de l’index de tabagisme actuel en Tunisie pourrait engendrer un gain économique de 8-10% jusqu’en 2030, réduisant ainsi du tiers le déficit cumulé du aux MNT durant cette même période. Ceci se traduirait par une aubaine de 9 milliards de dinars tunisiens qui pourraient contribuer à une augmentation significative de la qualité et de la couverture des soins médicaux, à financer un meilleur système éducatif et à créer de nouveaux emplois. Le tout contribuant à une meilleure qualité de vie pour tous les tunisiens. Oui, 15 points seulement et uniquement sur l’indice de tabagisme ont cet effet multiplicateur. Singapour et les pays représentés çi-contre l’ont fait, pourquoi pas nous?
Figure 3: Evolution du taux d’obésité en Tunisie 1980-2013
En somme, il est clair que contribuer à la croissance économique est le devoir de tout citoyen.
En revanche, notre contribution au déclin économique demeure en Tunisie un problème de prise de conscience et de responsabilité majeures à l’échelle individuelle. Ainsi par exemple, le port de la ceinture de sécurité devrait être motivé par notre responsabilité individuelle de diminuer le risque de dommages corporels voire de sauver notre propre vie en cas d’accident, plutôt que par le risque de recevoir une amende. La crise actuelle de la santé publique en Tunisie est bien complexe, mais soyons très clairs: dans cette débâcle, le citoyen tunisien a une part de responsabilité non-négligeable. C’est bien la somme des mauvais choix de style de vie de chacun qui contribue chaque année à anéantir 43% du budget du ministère et fragilise ainsi directement le reste de l’économie. Le futur durable de la santé publique en Tunisie dépend avant tout de notre capacité individuelle à prévenir nos maladies, plutôt que de la capacité de l’Etat à construire de nouveaux hôpitaux, pour les remplir de lits de malades et de technologies inutilement chères.
De façon plus globale, les progrès achevés par tous les systèmes de santé sont mesurables et désormais rapportés de façon régulière à travers des indicateurs et objectifs globaux bien définis. Un benchmarking de la Tunisie n’a jamais été aussi facile à faire et à visualiser. Dans notre contexte actuel et vu l’impact économique et social des MNT en Tunisie, il nous tient d’apprendre vite et d’executer, car si nous n’avançons pas au moins à la même vitesse que les autres, nous reculons. L’indice de tabagisme le démontre si bien. Notre point de départ et le cadre d’actions à entreprendre au niveau personnel pour aider à redresser ce tableau est désormais bien défini. Une société civile moderne ne se défini que par la somme des individus responsables qui la constituent et les principes qui les gouvernent. En 2017, l’inaction et l’irresponsabilité de certains membres de la société tunisienne ne sont plus une option. Les Autrichiens ont trouvé une bonne manière d’apprendre aux enfants d’âge scolaire une raison pour les inciter au port de casque: ‘Celui qui a un cerveau, qu’il le protège!’. Aujourd’hui, l’adhésion à cette règle est de 100%.
Pour les MNT en Tunisie, le dessin est déjà fait. A bon entendeur…
Figure 4: Infographie: Impact socio-économique des MNT en Tunisie (Etude EmKay Consulting 2017
Dr Mehdi Khaled
Founder & Managing Director, EmKay Consulting, Singapore
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