La Tunisie Signe la déclaration d'acceptation de la juridiction de la Cour africaine des droits de l’Homme
Le 13 avril 2017, la Tunisie, représentée par la Ministre des affaires étrangères, M. Khemais Jhinaoui et en présence du Président de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (CAfDHP) accompagné de deux juges a signé déclaration reconnaissant la compétence de la CAfDHP à recevoir des requêtes émanant d’individus et d’organisations non-gouvernementales (ONG), ayant le statut d’observateur auprès de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples, conformément au paragraphe 6 de l’article 34 du Protocole relatif à la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples, portant création dudit tribunal ratifié par notre pays par le décret N° 2007-2135 du21/08/2007 après approbation par la loi N° 2007-47 du 17/07/2007.
Il s’agit là d’un événement majeur en matière de renforcement et de consolidation de la protection des droits de l’homme dont il convient de s’arrêter brièvement sur la signification de cette signature et d’en mesurer la portée.
I. Signification
La CAfDHP a été créée en vertu de l’article 1er du Protocole relatif à la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, qui a été adopté en juin 1998 par les États membres de l’OUA à Ouagadougou au Burkina Faso. Le Protocole est entré en vigueur le 25 janvier 2004, soit 30 jours après sa ratification par 15 États membres .
La CAfDHP a compétence pour connaître de toute affaire ou différend dont elle est saisie concernant l’interprétation et l’application de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples de 1981 (entrée en vigueur en 1987), qui est le principal instrument de l’Afrique en matière des droits de l’homme, du Protocole instituant la Cour et de tout « autre instrument pertinent relatif auxdroits de l’homme ratifié par les États concernés».
La Cour a reçu mandat de compléter et renforcer les fonctions de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples Commission de Banjul). Mais contrairement à la Commission dont les décisions ont uniquement valeur de recommandations, les décisions de la Cour sont des décisions judiciaires (arrêts) contraignantes et peuvent comporter des ordonnances d’action ou d’abstention ainsi que des indemnisationset des réparations.
Conformément à l’article 5 du Protocole de 1998 instituant la Cour, la Commission de Banjul, les États parties au Protocole et les organisations intergouvernementales africaines ont qualité pour saisir la Cour. Par ailleurs, eten vertu de l’article 5.3 du Protocole, « la Cour peut permettre aux individus ainsi qu’aux ONG dotées du statut d’observateur auprès de la Commission africaine d’introduire des requêtes directement devant elle, conformément à l’article 34(6) ».
Ainsi, les organisations non gouvernementales dotées du statut d’observateur auprès de la Commission et les citoyens des États parties ayant déclaré accepter sa compétence peuvent saisir la Cour, directement, conformément à l’article 34(6) . Cependant, cette compétence est soumise à la volonté préalable de l’Etat partie au Protocole. En effet, les individus et ONG ne peuvent saisir directement la Cour que si et seulement si l’Etat en cause a fait la déclaration au titre de l’article 34(6) du Protocole autorisant une telle démarche. Cet article dispose, justement, que : « A tout moment à partir de la ratification du présent Protocole, l'Etat doit faire une déclaration acceptant la compétence de la Cour pour recevoir les requêtes énoncées à l'article 5(3) du présent Protocole. La Cour ne reçoit aucune requête en application de l'article 5(3) intéressant un Etat partie qui n'a pas fait une telle déclaration ».
II. Portée
La capacité de la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples à recevoir des communications individuelles est fondamentale pour sa crédibilité dans son rôle de lutte contre l’impunité et de protection des droits de l’Homme sur le continent africain. Pourtant, parmi les Etats ayant ratifié le Protocole, seuls sept Etats ont fait la déclaration au titre de l’article 34(6) .
La Tunisie, désormais huitième pays à signer la déclaration, exprime son engagement d’aller de l’avant dans la voie de l’instauration de l’Etat de droit et affirme pleinement son adhésion aux différents mécanismes et systèmes régionaux et internationaux de protection des droits de l’Homme.
Ceci est particulièrement cohérent pour un pays comme la Tunisie qui tend, depuis la révolution du14 janvier 2011, et grâce à la Constitution du 27 janvier 2014, à réussir sa transition démocratique en renforçant les mécanismes de défense des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Il en va également de la crédibilité, régionale et internationale, de la transition démocratique tunisienne de figurer parmi les premiers États membres de l’Union africaine à signer une telle déclaration qu’on qualifierait de révolutionnaire, puisqu’elle consacre un concept largement controversé en droit international : le droit des individus à recourir aux juridictions internationales .
En, il convient de rappeler que les arrêts de la Cour portent non seulement sur les interprétations de la Charte, mais aussi « de tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l'homme et ratifié par les États concernés » (selon l’article 3.1).
C’est dire l’importance de bien cerner les retombées juridiques et politiques d’une telle adhésion et de se préparer, le cas échéant, à une harmonisation de la législation nationale avec les dispositions des textes africains régissant les droits de l’Homme et ratifiés par la Tunisie.
Hajer Gueldich
Maître de conférences agrégée
Membre de la Commission de l’Union africaine sur le droit international
(1) Voir www.african-court.org/fret www.au.int/organs/cj
(2) Aujourd’hui Union africaine
(3) Au 31 décembre 2016, 30 États avaient ratifié le Protocole.
(4) A la différence des autres cours régionales, la faculté donnée aux individus et aux ONG de saisir la Cour n’est pas limitée à un intérêt à agir particulier, comme celui d’être une victime directe de la violation des droits de l’Homme. Une fois l’autorisation donnée par un Etat partie, conformément à l’article 34.6 du Protocole, tout individu ou ONG ayant le statut d’observateur à la Commission africaine, quelle que soit sa nationalité civile ou juridique, peut accéder à la Cour pour contester les violations des droits de l’Homme commises par cet Etat.
En ce sens, la Cour devrait rejoindre la jurisprudence de la Commission africaine qui a expliqué dans une décision (Malawi African Association et autres c/ Mauritanie) : « Les auteurs d’une communication ne doivent pas forcément être les victimes ou des membres de leurs familles. Cette caractéristique reflète une sensibilité aux difficultés pratiques que peuvent rencontrer les individus dans les pays où les droits de l’Homme sont violés. Les voies de recours nationales ou internationales peuvent ne pas être accessibles aux victimes elles-mêmes ou peuvent s’avérer dangereuses à suivre ».
(5) Tanzanie, Côte d’Ivoire, Malawi, Burkina Faso, Mali, Bénin et Ghana. Le Rwanda a retiré sa déclaration en février 2016.
(6) En guise de comparaison, il convient de rappeler la réticence du système européen au moment de sa création, quant à ce processus ; toute requête individuelle devait nécessairement passer devant la Commission avant, éventuellement, d’être portée à la connaissance de la Cour si, et seulement si, l’Etat en cause avait fait une déclaration préalable d’acceptation. Quand la Convention européenne a été adoptée en 1950, la disposition entrouvrant la voie aux requêtes individuelles représentait une nouveauté en droit international, et plusieurs pays européens ont été réticents à les accepter. Au moment de l’entrée en vigueur de la Convention en 1953, seuls 3 des 10 pays ayant ratifié avaient fait une déclaration acceptant les requêtes individuelles. En 1960, ils étaient 10 sur un total de 15 pays liés par la Convention. Par la suite, les Etats réfractaires sont devenus de plus en plus marginalisés, les nouveaux membres du Conseil de l’Europe acceptant rapidement tous les engagements de la Convention. Face à ce renversement de tendance, le Conseil de l’Europe a finalement adopté le Protocole n°11, entrée en vigueur en novembre 1998, imposant le recours individuel à tous les Etats parties.
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