Femmes aux commandes
La domination de l’homme a fait son temps et est devenue quelque chose de suranné qu’il nous faut dépasser, comme il nous faut évoluer et laisser derrière nous ce débat anachronique. Pour garantir l’avenir, beaucoup de créations sociologiques doivent être réexaminées et si besoin est remises en question. Il en est ainsi de la fiction étatique, de la tradition lorsqu’elle nous tire vers l’arrière. Il nous faut valoriser et capitaliser l’Humain, les peuples et les populations comme les fondements premiers de la civilisation. L’Etat a fait son temps et de nos jours, cette notion n’a plus rien à apporter, sinon des contradictions. L’avenir du monde est un avenir des Hommes dans une conception globale (hommes, femmes et enfants).de nos jours ce n’est plus aussi compliqué puisque nous disposons de la technologie qui permet aux peuples de se rapprocher et de dialoguer, échanger et planifier en commun. Nous aurions tort de ne pas en profiter pour le bien commun. Devons-nous toujours ressasser ces sempiternelles questions d’égalité hommes/femmes, de parité et de non-discrimination. Pourquoi ne pas tenir les réponses logiques comme acquises et passer à autre chose. Le monde d’aujourd’hui ne valorise plus la domination et plutôt la condamne surtout quand elle s’opère en dépit du bon sens et nous porte à régresser dans nos valeurs. Une fois pour toute tranchons la question et passons à autre chose.
Aragon était l’un des promoteurs du féminin en poésie. Il était aussi un visionnaire et pensait que l’avenir de l’humanité ne peut passer qu’à travers l’affranchissement réel de la femme dans sa condition de personne et sociale.
L'avenir de l'homme est la femme Je vous dis que l'homme est né pour
Elle est la couleur de son âme la femme et né pour l'amour
Elle est sa rumeur et son bruit Tout du monde ancien va changer
Et sans elle il n'est qu'un blasphème D'abord la vie et puis la mort
Il n'est qu'un noyau sans le fruit Et toutes choses partagées
Sa bouche souffle un vent sauvage Le pain blanc les baisers qui saignent
Sa vie appartient aux ravages On verra le couple et son règne
Et sa propre main le détruit Neiger comme les orangers.
(Louis Aragon - "Le Fou d'Elsa", poème, NRF Gallimard, 1963 - au chapitre IV, pages 164 et 165) Même la science va dans ce sens. Les résultats d’une étude scientifique de la ‘’Norwegian School of Economics’’ (N.H.H.), école de commerce norvégienne réputée, affirment que les femmes sont de meilleurs leaders que les hommes, et qu’elles sont plus efficaces sur des postes à responsabilité. En effet, un bon manager doit savoir motiver ses équipes et collaborateurs. Pour ce faire, il doit réunir certaines qualités. Cette étude a été réalisée par le département ‘’Comportement de Leadership et d’Organisation’’ de l’école, sur une population de 3 000 managers, hommes et femmes, afin d’étudier leurs personnalités leurs réactions et leur efficacité dans cinq domaines différents:
- L’initiative et la communication,
- L’ouverture d’esprit et la capacité d’innovation,
- La sociabilité et le soutien,
- Les méthodes de management et la définition des objectifs,
- La gestion du stress et la stabilité émotionnelle.
Quatre de ces domaines voient la population féminine dominante et seul le domaine de la gestion du stress et la stabilité émotionnelle a vu la dominance masculine. Cela s’explique par la nature même de la psychologie féminine, c’est-à-dire par le fait que les femmes avec des postes à responsabilité ont tendance à s’inquiéter plus facilement que les hommes, ce qui n’est, cependant, pas, à proprement parler, une mauvaise chose en soi. D’autant que cela ne remet pas en cause le fait qu’elles sont véritablement mieux à même de gérer des postes de management que la gent masculine. Il résulte de ce constat que les recruteurs, qui privilégient principalement les hommes, emploieraient, en effet, des leaders beaucoup moins qualifiés, ce qui aurait forcément un impact négatif sur l’efficacité des institutions. Dans la plupart des pays du monde, seule une très faible proportion des femmes a des postes de direction et lorsque les employés sont interrogés sur la question, plus des deux-tiers d’entre eux, soit plus de six salariés sur dix, considèrent préférable d’être dirigé par un homme plutôt qu’une femme (étude Etude Randstad Workmonitor). Il ressort donc que la femme comme leader est victime de l’archaïsme des mentalités, tant féminines que masculines, puisque les femmes elles-mêmes portent le même regard, teinté de suspicion et de doutes, sur les aptitudes des femmes manager et ne sont pas plus bienveillantes que les hommes envers elles. Précisons que l’Etude Randstad Workmonitor couvre 33 pays à travers le monde et donc tous les modèles socio-économiques. L’étude est conduite en ligne auprès d’une population d’employés âgés de 18 à 65 ans, travaillant au minimum 24 heures par semaine. La taille minimum du panel est de 400 répondants par pays, couvrant tous les secteurs. 14 400 personnes sont ainsi interrogées dans les 33 pays dans lesquels l’étude est conduite, ce qui permet d’obtenir une image fiable, fidèle à la réalité.
Dans l’absolu, la vie passe plus par la personne des femmes et même l’humanité, si elle veut assurer sa pérennité et sa survie, a un besoin impérieux des femmes. C’est un fait indéniable et imprescriptible. Est-il constructif de s’accrocher encore et encore, à des querelles de hiérarchie, de qui est supérieur ? Le monde d’aujourd’hui n’est plus à cela, mais il est à l’égalité et de plus en plus s’effacent les différences sociales d’homme et de femme. Mais encore faut-il que tous l’acceptent, et laissent de côté leur paranoïa ou leurs ambitions déplacées de pouvoir. Le bon sens nous oriente vers l’égalité de droit et de fait, pour éviter des conflits qui nous forceraient à la stagnation ou plus, à la régression.
Bien d’autres études, sociologiques ou autres, démontreraient que la femme ne serait pas seulement l'égale de l'homme, mais bien plutôt sa supérieure et que sa supériorité reposerait d’abord et principalement sur des bases naturelles biophysiologiques, qui lui assurerait une prédominance dans l’espèce, contrairement au règne animal. Déjà, du point de vue de la longévité, toutes les statistiques indiquent que la femme vivrait plus longtemps que l'homme. En effet, si l'espérance de vie chez l'homme est de 68 ans, chez la femme, il est de 75 ans, en moyenne. Cette différence d’ailleurs s'accroitrait avec l'âge, si bien qu’après 65 ans, dans le monde, les femmes sont deux fois plus nombreuses que les hommes et trois fois plus nombreuses après 85 ans. Ces chiffres sont édifiants si l’on considère qu'il y a en moyenne plus de garçons (106) qui naissent que de filles (100) dans le monde. La résistance féminine est donc plus grande à tous les stades de la vie, pour des conditions sociologiques identiques, qu’elles soient liées au travail ou à l’affectivité, à tel point que sur le plan mental, même, les femmes seraient plus stables. Ainsi, les taux de suicides dans le monde montrent qu’ils sont trois à cinq fois plus élevés concernant les hommes que les femmes, tout comme il y a nettement plus d'hommes que de femmes dans les hôpitaux psychiatriques. Finalement, l'homme ne devrait sa domination sur le monde qu'à son agressivité et sa violence naturelle d'origine hormonale, ainsi qu’à des artifices socio-éducatifs et environnementaux. Le dernier refuge de l'homme, sa force physique, n'est plus qu'une valeur périmée, d’intérêt ludique (sport), de moins en moins utile dans le monde moderne, avec l’automation et/ou la technique et le développement technologique.
L’histoire de la plupart des civilisations s’est construite sur ce débat de supériorité et de suprématie, comme la fondation de Carthage par exemple. Certaines civilisations ont fait de la femme, l’ombre de l’homme et parfois elles ont été réduites en esclavage ou quasiment. Pour arriver à la situation d’aujourd’hui, pour que les valeurs humanistes progressent, il a fallu des millénaires d’« infini servage » avec toujours en filigrane l’image du pécher originel que la femme a porté comme un jouc dans les temps du Moyen Age et que les inquisitions successives ont cultivée et décrétée, pour assurer leurs privilèges et une mainmise arbitraire sur le devenir de l’Humanité. Il a fallu une ‘’lutte à tous les niveaux’’ pour combattre ‘’l’ancienne oraison’’ qui s’était imposée comme une malédiction et qui semble peser encore lourd sur la Terre. Et comme le dit Jean Ferrat (Jean Ferrat, "La femme est l'avenir de l'homme", 1975):
Il faudra réapprendre à vivre
Ensemble écrire un nouveau livre
Redécouvrir tous les possibles
Chaque chose enfin partagée
Tout dans le couple va changer
D'une manière irréversible.
Mais finalement les temps sont toujours appelés à changer, même si ce n’est pas assez vite. La femme moderne a finalement eu accès au statut de penseur-créateur, mais leur erreur, pour la plupart d’entre elles, a été de vouloir faire et agir comme des hommes, au lieu de rester elles-mêmes, c’est-à-dire femmes et se comporter comme telles. Cette tendance au mimétisme sur l'homme, pour gagner son émancipation, à imiter l'homme au et par le travail, leur confère certes l'autonomie matérielle, mais elle est préoccupante. En effet il ne convient pas de concevoir la place de la femme dans la société dans une perspective de remplacement d'une domination par une autre, mais d’équilibre. Reconnaître la femme en tant qu'individu, sans chercher à homogénéiser les genres, valoriser les particularités essentielles des femmes et des hommes, pour aboutir à une complémentarité incontestable. Celles des femmes qui n’ont pas subi cette fracture psychosociologique, cette pensée ambivalente et ce vécu contradictoire entre corps et esprit, et qui sont restées elles-mêmes, ont été de grandes femmes et ont beaucoup donné à l’humanité et aux sociétés.
Mais sous ce vernis civilisationnel, nos sociétés ne sont pas adaptées à recevoir ces femmes gestionnaires de l’espace social pour le bien commun. En effet, cette volonté de faire leur demande bien des sacrifices, sur le plan psychologique, car la gestion de la société ne peut s’exercer par une simple transposition de la pensée, se détacher de son corps, accéder à une pensée élevée à un niveau général. Pour accéder au statut d’Homme (au sens des droits de l’Homme) et avoir le droit de participer aux activités de la société, la femme s’est vu devoir renoncer à être un individu original, à ‘’toute perte de temps’’ liée aux soins maternels et à la famille, stérilisant leur vie personnelle au profit de la société. Elles finissent bien sûr par acquérir les codes culturels, pour réussir aussi facilement qu’un homme, mais ce ne sont plus elles. Elles cherchent alors à s’imposer socialement, de manière injuste, par la revendication de quotas qui viennent alimenter les programmes politiques et le militantisme féministe. Beaucoup de sacrifice leur est demandé pour un bien maigre résultat. Les hommes par contre commencent eux aussi à se prendre au jeu et à investir la place laissée vacante auprès des enfants et apprennent le maternage. Certains pays vivent l’émergence d’un nouveau phénomène sociétal comme un signe de modernité et de développement, l’homme au foyer. Celui-ci prend en charge le carcan familial et domestique et laisse la femme libre de sortir de chez elle pour aller travailler et dans ce cadre, les femmes sont drainées, aspirées par la sphère économique, qui aime les employer, car souvent plus compétentes et moins coûteuses que les hommes, sans que la parité homme/ femme n’ait réussi à en estomper les effets discriminatoires.
Toute société a un besoin impérieux des femmes. C’est une vérité indéniable qui ne doit pas s’étendre en dehors du bon sens. Il est inutile pour un homme conscient, d’ignorer cette position de force des femmes. Qu’il veuille se rassurer en protégeant ses femmes du regard de la société n’y changera rien car leur pouvoir est là, bien en évidence. La résolution de ce conflit passe par la promotion réelle des femmes dans l’espace social pour ce qu’elles sont et non par référence comparative avec le genre masculin. Encore faut-il que ce contrat social soit accepté par tous, et que les féministes ne le brisent pas par leur volonté de faire de la femme une espèce protégée ou un succédané d’homme. De même, la promotion de femmes incompétentes au nom de l’égalité ou d’une quelconque parité imposée, empêche toutes les autres d’accéder à une forme de reconnaissance méritée. Voilà qui provoque encore des tensions chez les femmes compétentes et les hommes en général. Enfin, la reconnaissance de la supériorité naturelle des femmes dans n’importe quelle société, ne doit pas empêcher un homme de cultiver sa pensée et de la transcender à travers ses propres réalisations. En faisant preuve d’exigence à l’égard de lui-même, il acquiert une nouvelle place dans un ordre social équilibré. La supériorité physique historique de l'homme, étendue à d'autres domaines dans les siècles où le monde avançait à la force physique, ne peut plus lui servir de prétexte pour maintenir une organisation sociale où il resterait dominant. L'heure est à l'égalité de considération dans le respect et la valorisation des différences pour le progrès de la civilisation. Il est aisé d’observer que les pays où les femmes ont acquis l’égalité réelle, sont plus pacifiques et l’économie y est plus florissante. Il est aussi acquis que certaines valeurs sociales, comme la négociation, l’empathie, le souci d’autrui et de la planète, seraient féminines, alors que la morale dite masculine serait basée sur la justice (obéissance, règle, droit, devoir, discipline). Il est vrai aussi que les femmes sont capables d’autant de dureté que les hommes dans certaines positions, en fonction de leur environnement ou de leurs expériences. Ce ne sont pas des valeurs spontanées, échues, mais des valeurs attendues que l’on cultive dès la naissance par l’éducation. Aussi n’est-il pas déplacé de penser que, si les femmes prenaient part aux décisions dans les domaines sociaux sensibles, il y aurait moins de conflits menés, soit par vengeance et représailles, soit par orgueil et volonté de domination. Quand on remarque les capacités d’empathie, d’oubli de soi et de souci des autres, des femmes, c’est parce qu’elles sont seulement dans le rôle que la société leur a assigné. Certes, ces qualités sont profitables au monde, mais elles n’ont rien à voir avec la moralité des femmes. On peut d’ailleurs se demander si les femmes auraient été plus agressives physiquement, si elles avaient eu la même force musculaire que les hommes. On parle d’ailleurs peu de la violence des femmes. Élisabeth Badinter, féministe notoire, a abordé cet aspect dans ‘’Fausse route’’. Dans son livre, elle nous invite à « renoncer à une vision angélique des femmes qui fait pièce à la diabolisation des hommes », elle écrit : « À vouloir ignorer systématiquement la violence et le pouvoir des femmes, à les proclamer constamment opprimées, donc innocentes, on trace en creux le portrait d’une humanité coupée en deux, peu conforme à la vérité. D’un côté, les victimes de l’oppression masculine, de l’autre, les bourreaux tout-puissants ». De nos jours, aucune réalité d’État verrait les femmes citoyennes comme des êtres légalement incompétents et irresponsables qui ne peuvent se marier, trouver un emploi ou étudier sans l’autorisation ou le soutien de la loi. Elles ont désormais un travail, des droits civils et politiques, tel que le droit de vote et sont aussi présentes dans le monde politique. Tout en elles démontre qu’elles sont, au moins en apparence, moins limitée qu’autrefois. Mais si les femmes peuvent maintenant certifier leur féminité, elles ne peuvent toujours pas le faire sans avoir peur de retourner à la femme emprisonnée dans les préjugés. Elles savent pertinemment que les femmes ne sont promues que par un système économique et social qui cherche à rentabiliser tout être humain, par des choix influencés par des groupes de pression quelconques, les revendications politiques féministes prenant pour appui une situation sociale objective et non des choix personnels. Les promoteurs des droits des femmes dans les sociétés modernes cherchent à les extraire de leur statut, en opérant une simple transposition de genre et c’est ce qui explique qu’elles soient présentes dans la sphère socio-économique, mais pas acceptées sur le même pied d’égalité. En tant qu’Homme objet de droit, elles font tout ce que font les hommes, mais en tant que femmes, elles sont toujours considérées comme inférieure, les mentalités machistes n’ayant pas évolué.
Depuis l’insurrection tunisienne de 2011, Considérer la question de la femme dans notre société peut surprendre de par sa naïveté. En effet, tous diraient que la femme a une place dans la vie sociale égale à celle de l'homme depuis l’indépendance. Mais ce que chacun défend dans ses dires, chacun le dénie dans ses actions et son comportement. De vieux clichés tendent à ressurgir au point de se demander si nous ne sommes pas en train de revenir à une mentalité sociale rétrograde d’avant 1956 ou telle qu’elle a cours, au présent, dans certaines sociétés encore archaïques. Il est un autre fait établi, qu’une majorité de Tunisiens accepte les opinions affirmant la supériorité d'un genre, le masculin, sur l'autre. C’est ce qui explique que le principe d'une égalité hommes-femmes peine encore à s'imposer, concernant les rôles dévolus à chacun dans la société, même si celui-ci est appuyé par la garantie constitutionnelle et le droit international. Si les femmes sont aujourd’hui plus diplômées en moyenne que les hommes, elles s’orientent plus souvent vers les filières littéraires ou sociales, moins valorisées, alors que les garçons vont majoritaires vers les filières plus sélectives, comme les écoles d’ingénieurs. Les attitudes discriminatoires de la part des employeurs renforcent les difficultés qu’ont les femmes à réconcilier vie professionnelle et vie familiale. Les femmes occupent massivement des métiers reproduisant généralement les tâches de ménages, qu’elles assurent traditionnellement au sein de la famille. Il s’agit par exemple d’activités de logistique et de soins : secrétaires, sages-femmes ou bien infirmières, assistantes maternelles ainsi que employées de maison. Dans le monde industriel même, les femmes sont très présentes dans les secteurs du textile et de l’habillement. Imposer la mixité et la parité professionnelle par le droit, dans ce contexte n’est pas automatiquement synonyme d’égalité professionnelle, lorsque la mentalité sociale ne suit pas et que les archaïsmes et préjugés persistent. Que ce soit dans la vie professionnelle, familiale ou scolaire, les stéréotypes sur la place respective des femmes et des hommes restent tenaces en Tunisie. Une forte majorité de Tunisiens rejette les opinions qui défendent réellement l’égalité des genres. Ainsi, moins de deux personnes sur dix estiment que les femmes sont autant aptes à diriger et moins du quart remettent en question le modèle de la femme au foyer prenant soin des enfants. Ils invoquent alors comme argument que, chez la femme, la raison serait défaillante du fait de leur excessive émotivité et de leur tendance naturelle à résoudre les problèmes par l’affectif et non par le raisonnement. Ils font de ces valeurs, des défauts, alors que ce sont en réalité des vertus nécessaires à une gouvernance positive. Aussi dans le rôle dévolu aux femmes ou aux hommes, les conceptions traditionnelles restent vivaces, pour la moitié de la population adulte tunisienne. Celle-ci considère encore que pour une femme, la vie professionnelle est moins importante que la famille. Et, si toutefois neuf Tunisiens sur dix défendent une éducation similaire pour filles et garçons, près d'un sur deux pense que, par nature, les filles sont plus sages et donc plus faibles et les garçons plus turbulents et par conséquent plus forts. Pour une majorité des Tunisiens encore, les femmes doivent rester au foyer pour s'occuper des enfants et de la maison pendant que l'homme travaille. Dans la société tunisienne, ce cliché périmé du modèle de la femme au foyer, est, paradoxalement, encore très ancré et existe aussi bien chez les hommes que chez les femmes. En conséquence, l’idée que les femmes au travail ne sont pas intéressées par des postes à responsabilité se concrétise dans les faits, puisque les femmes accèdent moins souvent que les hommes à des postes sommitaux hiérarchiques. Près d'un quart de la population active, dans laquelle les femmes (une sur deux), estime encore qu'un homme a naturellement plus d'autorité qu'une femme et souhaiteraient avoir un homme comme chef hiérarchique. Par ailleurs, la différenciation dans l’éducation apparait davantage dans la pratique des loisirs que dans l’acquisition de connaissances. La plupart considèrent que certains sports, certaines activités et certains jeux, conviennent mieux aux filles qu'aux garçons ou inversement. Et là, l'éducation et la pression des préjugés sociaux jouent un rôle clef dans les différences entre les hommes et les femmes alors que les motifs biologiques ne sont pas nécessairement mis en avant. Ainsi les femmes sont-elles, pour une part, complices de cette situation. Simone de Beauvoir disait d’ailleurs à ce propos : « Les femmes - sauf en certains congrès qui restent des manifestations abstraites - ne disent pas "nous" ; les hommes disent "les femmes", et elles reprennent ces mots pour se désigner elles-mêmes ; mais elles ne se posent pas authentiquement comme Sujet ».
Aussi, malgré des avancées en matière de droit des femmes, la hiérarchisation des genres au profit de l'homme reste un fait omniprésent dans la réalité tunisienne. On constate un écart flagrant entre le discours sur la femme et la réalité de sa situation au sein de la société. L’expression "La Femme Tunisienne" est une désignation, une étiquette, un slogan du féminisme politique, qui s'est fondu dans le langage commun, pour acquérir au fil du temps une portée normative forte, mais somme toute impersonnelle et désincarnée. Cette notion remonte à l'époque où la cause de la femme était devenue un enjeu politique de promotion de la modernité vis-à-vis de l’occident. Mais l’image qui est défendue, est celle d’une femme qui n'existe que dans l'imaginaire collectif et qui, pour exister, s'impose aux femmes dans leur pluralité, en leur assignant un modèle normatif identitaire standardisé. La lutte pour décider de ce qu'est "La Femme Tunisienne" et de qui peut prétendre à ce titre, divise irrémédiablement les femmes en tant que groupe de revendication et fait du tort à leur statut social. Le mouvement féministe tunisien est fragile et manque de structuration, ce qui se répercute forcément sur sa difficulté à se positionner par rapport à la tension entre un discours officiel, qui a été repris dans la Constitution et la règlementation actuelles et une réalité qui peine à changer.
Il est temps de porter un regard différent et novateur sur les femmes dans le monde et celles de notre pays, mais surtout pas celui que nous imposent les sociétés, la femme-objet, la femme soumise, la femme autoritaire ou dictatrice. Il s'agit pour le féminisme tunisien d'élaborer un projet pour replacer toutes les femmes dans leur véritable féminité, dans leur nature de femme, parfaitement imparfaites dans leur humanité. Voir les femmes dans des situations du quotidien ou dans des lieux qui leur sont propres, sans chercher à les rendre objets ou à les transformer, mais plutôt de les laisser dans leur essence. En effet, à force de vouloir trop rapprocher et égaliser l'homme, les femmes tunisiennes modernistes en oublient leur origine et leur véritable importance dans le monde. Les femmes doivent se réconcilier avec leur féminité personnelle d'aujourd’hui, se mettre en valeur comme femmes, dans une féminité naturelle, dans leur grâce, portant l’espoir. En voulant placer la femme à l'égale de l'homme, et de lui donner des rôles commandés par des règles imposées, on l'éloigne de sa propre nature pour en faire un être sans identité.
L'heure est à l'équilibre des genres et cette vérité passe par l’éveil des consciences et la révision des mentalités. Il faut savoir comme une évidence, que si les femmes sont toutes différentes, chacune a sa place dans l’ordre social, dans une version propre de féminité. La femme en elle-même est Sauvage car hostile aux prisons et douce à la fois, elle sait aimer, tout en pouvant voir les blessures et les peurs des Hommes, capable de se recentrer à chaque fois qu'elle se sent mal à l'aise dans son corps et son esprit. La femme est une incarnation bien différente d’un bel objet. Prendre conscience de toutes ses dimensions et les incarner permet à la femme de recontacter sa puissance personnelle. La richesse de ses qualités et valeurs intrinsèques lui permet de s’inscrire dans le monde et d’être en accord avec elle-même et les autres. Une femme détient le pouvoir d’exercer la force de son coeur, de la communiquer au monde et de la renouveler chaque jour sans chercher à asservir, dominer ou écraser l'autre, naturellement et avec harmonie.
La Femme réelle est une force vive indispensable, capable d’aider les êtres humains à retrouver au fond d'eux-mêmes les valeurs de compassion, d’indulgence, d'humanité et de paix, à travers le monde, non pas en vertu d'une morale qu’elle possèderait, mais parce que la déshumanisation générale des sociétés et leurs maux leur fait peur. Les gouvernants du monde vont d'idée en idée, de théorie en théorie, de guerre en guerre, au point de ne plus savoir à quel point ils ont rompu avec la vie, poussés en avant par leurs ambitions, nées d’une peur obscure de leurs semblables et ayant perdu leur lucidité, au point que le mot "humanité" reste, pour eux, vide de sens. Rendre la Femme au monde, cela signifierait lui redonner (au monde) une sagesse profonde, puissante, qui s'extériorise immédiatement en des actes humains, urgents, et de bon sens. Cela implique aussi une modification radicale de l'esprit technocrate de l’Etat et son administration, qui a pris à la longue un visage inhumain, car lui manquent les grandes caractéristiques nécessaires à sa gouvernance, que sont, l'ordre, la lucidité profonde, la sagesse, la réflexion, le temps et la paix.
Quand la femme se sera retrouvée et aura retrouvé la place qui lui est due, elle redeviendra, par ce fait même, le support salvateur du monde, une observatrice lucide, attentive, perspicace et calme, davantage spectatrice active de soi et du monde, ce qui pourra lui permettre de prendre un certain "recul" pour dénoncer et redresser les erreurs actuelles.
L’objectif des femmes en tant que groupe devrait donc être, de jouer en même temps la féminité, la force et l’énergie. Elles ne devraient pas être obligées de se soumettre à une sorte de neutralité forcée du fait, qu’en politique ou en entreprise, il est de mise de ne pas montrer ses émotions et de jouer de la séduction, parce que le pouvoir a été exclusivement masculin pendant des millénaires. Le féminisme doit être conquérant et non victimaire comme tendent à le positionner les règles de droit en la matière ou les mouvements sociaux qui les revendiquent. Aucun mouvement féministe ne peut prétendre exprimer ce que veulent toutes les femmes. Les femmes doivent se donne les moyens du changement et de la liberté en essayant de modifier les comportements sociaux, leurs propres comportements et leurs buts dans la construction de leur identité. Il est dommage que le modèle préconisé par les femmes d’aujourd’hui soit celui de leur grand-mère car il n’est pas libératoire. La voie vers l’égalité, c’est de mettre l’accent sur ce qui unit hommes et femmes et sur ce qu’ils ont en commun en tant qu’êtres humains. Ensuite, au nom de cette ressemblance, d’égal à égal, revendiquer les mêmes droits. La parité n’a de vertu que de mettre en évidence les inégalités flagrantes dont personne ne tenait et ne tient compte. Avec la consécration constitutionnelle de 2014, on a même introduit, dans la Constitution, la différence biologique, ce qui est inacceptable. C’est la porte ouverte au différentialisme et au multiculturalisme, à la ségrégation institutionnalisée. A partir du moment où l’on impose des quotas comme paramètre d’application des droits de l’Homme, il est évident qu’un jour ou l’autre, d’autres exclus vont utiliser les mêmes procédés pour exiger leur prise en compte, ce qui est une conséquence normale mais pas toujours recommandable et de bon aloi.
Dans le schéma féministe égalitaire, il est désormais plus difficile d’être un homme qu’une femme, ce qui le pousse à se radicaliser. Auparavant, l’homme avait cette supériorité soi-disant donnée d’avance : le petit garçon supérieur à la petite fille, car don du ciel, alors qu’elle au contraire, était une charge. Mais aujourd’hui dans notre société, les paramètres qui caractérisaient l’homme, c’est-à-dire l’autorité, le pouvoir, la supériorité, etc., ne lui appartiennent plus exclusivement. Aussi seront-ils contraints de reconnaître leur part de féminité pour réaliser cette ressemblance des genres.
Monji Ben Raies
Universitaire,
Enseignant et chercheur en droit public et sciences politiques,
Université de Tunis-El Manar,
Faculté de Droit et des Sciences politiques de Tunis.
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