Caïd Essebsi sur Nessma : Les révélations, les affirmations et les confirmations
Près de deux heures durant, le président Béji Caïd Essebsi s’est livré dimanche soir sur Nessma TV à un exercice nécessaire d’explication, d’argumentation et d’annonces. Le retrait de l’UPL (Slim Riahi) et du Machrou (Mohsen Marzouk) du soutien au gouvernement, la sortie de crise pour la Libye, la dépénalisation de la consommation du cannabis, le déblocage de la formation du Conseil supérieur de la Magistrature, la révision ou non de la Constitution et un nouveau code des libertés individuelles ont été au centre de ses propos. Interrogé par Sofiane Ben Farhat et Khelifa Trabelsi dans un entretien modéré par Hassen Belwaer (en baptême de feu), BCE devait répondre également aux questions de journalistes de six radios régionales.
Habile de ce genre d’exercice, le président Caïd Essebsi a été tour à tour dans les révélations, les appels, les affirmations et les confirmations.
Les révélations
Dépénalisation de la primo-consommation du cannabis. Le projet de loi soumis à l’ARP prenant du retard, le président Caïd Essebsi n’attendra pas davantage pour épargner aux jeunes consommateurs pour la première fois, les affres de la prison. Il prendra une initiative dans ce sens et en informera le Conseil de Sécurité nationale (qui regroupe notamment le président de l’ARP, le chef du Gouvernement et les quatre ministres de souveraineté.)
Libye. S’il a accéléré son initiative pour trouver de concert avec ses homologues algérien et égyptien un concept de sortie de crise pour la Libye, s’est qu’il voyait venir non sans appréhension de nouveaux acteurs internationaux (La Russie ?). Il craignait en effet de voir les « géants » s’affronter autour de la Libye ce qui serait loin de faciliter l’aboutissement d’un processus inter-libyen à 100%, hors de toute interférence étrangère. Aucune faction ne sera exclue, et le maréchal Hafter viendra bientôt à Tunis. D’autres aussi.
Code des libertés individuelles. BCE chargera une personnalité indépendante reconnue de présider un groupe de travail appelé à élaborer un projet de code des libertés individuelles qui sera soumis à l’ARP.
Une nouvelle décoration pour les héros de la lutte contre le terrorisme. Elle sera décernée à l’occasion de la célébration, le 7 mars prochain de la Bataille de Ben Guerdane. Le chef du du Gouvernement, Youssef Chahed, s’y rendra à cette occasion et annoncera une série de nouveaux projets de développement en faveur de la région.
Les appels
Les voies du retour. Le premier, en termes à peine voilés, à Slim Riahi et Mohsen Marzouk pour leur dire que les portes du retour au soutien du gouvernement restent ouvertes. Il y va de l’intérêt national. « Quand on prend sa distance vis-à-vis de l’Etat, tout le monde y perd : l’Etat, eux-mêmes et le le peuple », dira Caïd Essebsi.
Aux magistrats de trouver eux-mêmes la solution. Le second appel, direct, est destiné aux magistrats afin qu’ils trouvent la solution appropriée afin de nommer les trois membres manquants, nécessaires à compléter la composition du Conseil Supérieur de la Magistrature. Un déblocage qui permettra la formation de la Cour constitutionnelle. « Je ne souhaite pas intervenir personnellement à travers une proposition, déclarera-t-il, ni voir le gouvernement introduire devant l’ARP un projet de loi apportant des modifications sur le mécanisme de fonctionnement du Conseil. J’en appelle plutôt aux magistrats afin qu’ils hâtent eux-mêmes le dénouement de la question ».
Les affirmations
Pas de révision constitutionnelle. Le président Caïd Essebsi, bien que conscient du régime politique actuel hybride entre présidentiel et constitutionnel (Ni arabe, ni français, dira-t-il), ne compte pas engager une révision de la Constitution à ce sujet. Il s’en accommode.
Seul le ministre des Affaires étrangères conduit la mise en œuvre de la politique extérieure. « Je n’ai pas mandaté Rached Ghannouchi, avec qui je m’entends, par ailleurs, bien, dans la mise en œuvre de mon initiative en faveur de la Libye » affirmera clairement BCE. La politique extérieure est de mon ressort exclusif et seul le ministre des Affaires étrangères m’y représente. Je comprends cependant que des chefs de parti s’adonnent à des activités extérieures et je ne pense pas que cela se fasse en opposition avec nos orientations. Rached Ghannouchi me tient informé de ses visites à l’étranger et je l’en remercie. » Les frontières sont ainsi tracées.
Les confirmations
Mehdi Jomaa briguait Carthage. « Oui, j’ai appris que Mehdi Jomaa aurait été tenté, sous la pression des siens, de postuler à la magistrature suprême, en 2014, confirmera BCE. C’était contraire aux accords convenus lors du Dialogue national. Apprenant la nouvelle alors qu’il était en mission au Caire, le secrétaire général de l’UGTT, Hassine Abbassi a dû rentrer d’urgence à Tunis pour l’en dissuader.
Débloquer les projets à l’arrêt. Le président s’engage à apporter tout son appui au gouvernement pour relancer les chantiers bloqués, mettre en œuvre les projets approuvés et accélérer les programmes d’emploi, dans toutes les régions.
La plus longue interview: nécessaire et utile
Prolongée pendant près de deux heures, l’interview de BCE ce dimanche aura été la plus longue acordée depuis la révolution. Même si elle laisse inévitablement les Tunisiens sur leur faim sur nombre de questions, elle a été riche en informations et analyses. BCD avait été cependant sans cesse coupé, ne pouvant pas aller jusqu'au bout de sa pensée. Ses interviewers voulaient en effet couvrir le maximum de sujets alors qu’il avait lui, comme à son accoutumée, des messages précis à faire passer. Plus particulièrement, la séquence analyse géopolitique de la situation dans la région et dans le monde (c’est son art) n’a pas bénéficié de suffisamment de temps, le contenu effectif de son initiative pour la Libye et les différentes étapes prévues sont restés sous silence, les prochaines élections municipales aussi. Mais, l’exercice était nécessaire et bien mené.
Taoufik Habaieb
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