Opinions - 13.11.2016

La nouvelle Russie: Est-ce «le retour de l’enfant prodigue» sur la scène internationale ?

La nouvelle Russie: Est-ce «le retour  de l’enfant prodigue»  sur la scène internationale ?

Dans le cadre des «rendez-vous d’Amilcar», l’Institut tunisien des études stratégiques a accueilli le mardi 4 octobre 2016 le directeur de l’Institut russe des études stratégiques, Leonid Reshetnikov, qui a donné une conférence sur la nouvelle Russie et les grandes orientations de sa nouvelle politique étrangère.

Désigné par le président Vladimir Poutine en avril 2009 à la tête de l’Ires, Leonid Reshetnikov, qui est docteur en histoire et lieutenant-général, a servi de 1976 à 2009 au Service du renseignement extérieur russe où il a occupé, à la fin de sa carrière, le poste de chef du département de l’information et d’analyse. Il est par ailleurs l’auteur de plusieurs livres dont le dernier, paru en 2013, a pour titre Retour en Russie. La troisième voie ou les blocages du désespoir.

Vu que les informations et les données dont il a fait part sont importantes, j’ai estimé qu’il serait utile de les partager avec ceux qui s’intéressent aux affaires internationales mais qui n’ont pas eu l’occasion d’assister à la conférence, ainsi qu’avec ceux qui persistent à regarder le monde d’un seul œil, et s’obstinent à vouloir mettre les «œufs» de la politique étrangère de la Tunisie dans le seul panier américain, bien que l’expérience ait bien montré que les promesses des Etats-Unis sont creuses et font songer au fameux vers d’Abu-Ettayyeb Al-Mutanabbi: «La générosité des hommes s’exprime par la main, et la leur par la langue. Au diable, eux et leur générosité».

Voici, ci-après, les extraits qui m’ont paru les plus pertinents des propos de Leonid Reshetnikov :
  • La Russie est aujourd’hui retournée à sa position naturelle sur la scène internationale et elle ne la quittera plus jamais comme ce fut le cas dans les années quatre-vingt-dix du siècle dernier. Les Etats-Unis ne pourront jamais l’écarter de cette position en dépit de leurs multiples tentatives de conjurer le président Vladimir Poutine.
  • Moscou désire avoir des rapports normaux avec Washington, néanmoins les choses ne vont pas dans le sens souhaité, parce que les Etats-Unis ne veulent pas comprendre que la Russie est, comme l’a dit le président Jacques Chirac au conférencier une fois, une civilisation à part entière et qui a son mot à dire dans les affaires internationales.

Dans ce contexte, le conférencier a dit, avec ironie, que l’un des  membres de l’équipe travaillant avec l’ancien secrétaire d’Etat américain Henry Kissinger lui a déclaré une fois: «La Russie doit nécessairement comprendre que l’Amérique est chargée d’une mission divine, celle de conduire le monde». A quoi il a répliqué: «Et l’Amérique doit obligatoirement comprendre que chaque pays dans le monde a sa propre mission».

  • Les bases de l’Otan encerclent la Russie de tous les côtés. Les Etats-Unis et leurs alliés doivent cesser cet encerclement qui, faut-il le noter, a paradoxalement poussé les Russes à développer leurs moyens dans tous les domaines.
  • La Russie est en désaccord avec les politiques des Etats-Unis dans la région arabe.

Elle s’oppose à l’hégémonie américano-occidentale imposée au monde arabe et fait barrage à la division de ces pays, comme ce fut le cas en Irak et au Soudan et comme les Etats-Unis et leur coalition cherchent à faire actuellement en Syrie et  en Libye.
  • Les rapports de la Russie avec le monde arabe, qui est un monde grand et vaste, sont de loin plus vieux que ceux des Etats-Unis avec ce monde.
La Russie a avec les Arabes —qui sont ses voisins, ses partenaires et ses alliés—des intérêts primordiaux, tant au Moyen-Orient qu’en Afrique du Nord.
Compte tenu de ces éléments et des importants moyens dont elle dispose, la Russie peut et considère qu’il est de son devoir de venir en aide à ses partenaires et alliés arabes et d’empêcher la partition, le démembrement et la défaillance de leurs pays.
Si la Russie est résolue à préserver l’unité des pays de ses alliés, c’est parce qu’elle a vécu l’amère expérience de la dislocation de l’Union Soviétique où 25 millions de Russes se sont trouvés, du jour au lendemain, en dehors de leur patrie.
  • La Russie ne permettra jamais la division de la Syrie quelles que soient les pressions ou les tentations dont elle fait l’objet.

A ce propos, il a révélé que les Etats-Unis et leurs alliés ont proposé à Moscou de lui «offrir»  un petit Etat satellite de la Syrie divisée en contrepartie de son désengagement du conflit syrien. Pour leur part, les pays du Golfe lui ont proposé des milliards de dollars (il n’a pas précisé le nombre) en échange de son retrait de la Syrie.

Sur un autre plan, il a noté que ce n’était pas par faiblesse que la Russie n’avait pas répondu à l’attaque de son chasseur-bombardier en Syrie, mais c’était plutôt parce qu’elle savait que ce ne n’étaient pas les Turcs qui l’avaient abattu. Toutefois, a-t-il ajouté, elle avait riposté par la manière qu’elle avait jugé la plus appropriée et sa riposte était réellement douloureuse.

  • L’anéantissement de «l’Etat islamique en Irak et en Syrie» est possible. Néanmoins, ce qui empêche d’atteindre cet objectif c’est l’envie du camp hostile à la Syrie d’évincer Bachar Al-Assad.

Les Américains doivent oublier leurs visées sur ce pays, car la Russie, qui considère que le gouvernement d’Al-Assad est légitime, s’emploiera à unifier les forces nationales syriennes. 

  • La lutte contre les organismes terroristes est une lutte ouverte, et ces  organismes représentent pour la Russie une menace  réelle.

C’est ce qui explique son intervention en Syrie et justifie sa coopération avec l’Iran ainsi qu’avec tout autre pays qui lutte, avec sincérité, contre le terrorisme.

  • «L’Etat islamique en Irak et en Syrie» essuiera une défaite cuisante en Syrie dans quelques mois. Toutefois, cela risque de donner lieu à une «autre Syrie» quelque part ailleurs.

Il n’est pas exclu que ce soit la Libye. Si c’est le cas, le danger sera grand pour les pays du Maghreb mais aussi pour les pays européens méditerranéens et particulièrement l’Italie et l’Espagne.

  • La situation en Algérie est «difficile». Il est nécessaire que la stabilité y soit maintenue.
  • L’expérience politique de la Tunisie mérite d’être étudiée car elle prouve qu’il n’existe pas de contradiction entre Islam et démocratie.
  • La Russie ne fait pas de distinction entre les musulmans sunnites et les musulmans chiites. Elle coopère avec tous ceux qui veulent coopérer avec elle, qu’ils soient sunnites ou chiites. En atteste sa coopération avec la Syrie qui compte 15 millions de sunnites.

En outre, elle croit que la politique d’un pays est toujours fonction de ses intérêts nationaux.

  • Les rapports de la Russie avec l’Arabie Saoudite sont compliqués. En effet, Riyad a créé beaucoup de problèmes à Moscou en Tchétchénie. 

De plus, les positions des deux pays à l’égard de la Syrie sont diamétralement opposées.

  • La dimension asiatique dans l’architecture de la nouvelle politique extérieure de la Russie vient en  seconde position après la dimension européenne.

La Chine, qui ne représente aucun danger pour la Russie, est un excellent partenaire. Cependant et bien que le partenariat sino-russe embrasse plusieurs domaines, il ne s’élève pas au rang d’une alliance.

 Mohamed Ibrahim Hsairi

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