Moncer Rouissi: Prenons garde!
Le pays est en danger et nous n’avons aujourd’hui d’autre choix que de nous atteler ensemble, avec ardeur et détermination, à mobiliser toutes les énergies nationales pour nous sortir de la zone de turbulence et pour donner au gouvernement actuel toutes les chances de réussir dans sa mission telle que définie par le Document de Carthage.
C’est ainsi et ainsi seulement que nous permettrons à la Tunisie, en puisant dans ses ressources propres d’abord et avant tout, de dépasser une crise grave qui semble désormais rebelle à toute solution et que nous éviterons un tsunami qui risque de tout emporter et mettre en péril notre principal acquis, la démocratie et ses institutions, alors même que cet acquis n’a pas eu le temps suffisant pour prouver son efficience et son efficacité.
Ne nous y trompons pas! Il y va de l’avenir de notre nation, de son existence même!
Il ne s’agit là ni de fabulation ni d’un excès de pessimisme. La situation du pays est là ; le désespoir, le découragement et l’abattement de nos jeunes sont ce que chacun d’entre nous peut constater ; quant à notre environnement régional il est ce qu’il est…
La crise est de notre responsabilité à tous, à des degrés divers. L’Etat et les gouvernements successifs depuis 6 ans surtout et d’abord. Les partis politiques également. Mais aussi l’Etat durant la période antérieure.
Nous sommes aujourd’hui les témoins de multiples manifestations de défi à l’Etat et de ses représentants, pratiquement de déni d’Etat tout court, et nous en venons presque à nous habituer à la précarité des gouvernements.
Or nous assistons à l’effritement de nombre d’Etats et de communautés nationales, à leur effondrement, que ce soit du fait de forces occultes ou de par l’inconscience et l’irresponsabilité des citoyens de ces entités!
Il est certes des pays qui peuvent vivre sans gouvernement ou presque. Ceci a été et est possible en Belgique, en Italie, en Espagne et même au Liban…Cela n’est ni possible ni permis à l’heure actuelle en Tunisie.
Que faire dans ces conditions?
1. Quitte à se répéter, nous n’avons d’autre choix que de donner au gouvernement actuel le maximum de chances de réussite. A cet égard le Document de Carthage devrait être complété par un véritable Plan d’Action de consensus adopté à l’occasion d’une Conférence du Dialogue National avec la plus large participation possible.
Peu importe aujourd’hui les multiples réserves sur le timing de la constitution de ce gouvernement, sa composition et la consistance des premières mesures qu’il a prises.
Ce gouvernement a été constitué quelques mois seulement après un remaniement ministériel opéré le 6 Janvier 2016 et alors que le gouvernement remanié avait été formé seulement 11 mois auparavant !!
La politique n’est-elle pas l’art de savoir gérer le temps et le calendrier?
La situation du pays étant ce qu’elle est, n’était-il pas plus approprié d’avoir recours à un gouvernement composé de compétences nationales ayant de l’expérience, du savoir faire et une grande crédibilité pour la période qui reste de l’actuel mandat présidentiel au moins ; à charge pour les partis et les autres organisations de jouer le rôle nécessaire et légitime qui est le leur concernant le suivi, le contrôle et le redressement au sein de l’Assemblée des Représentants du Peuple et dans les autres instances nationales.
L’heure n’est certainement pas à la symbolique telle que rajeunissement ou autre ! Ce qui importe aujourd’hui c’est d’avoir des gouvernants qui ont la capacité confirmée de réagir vite à des situations complexes, d’insuffler l’optimisme parmi nos concitoyens de sorte que ces derniers s’engagent résolument dans une mobilisation globale pour un avenir meilleur.
2. Par ailleurs, il est impératif que le gouvernement actuel honore les engagements du gouvernement précédent envers l’Union Générale des Travailleurs de Tunisie (UGTT) quoiqu’il en coûte à la collectivité nationale. Il y va de la crédibilité de l’Etat.
Une fois cela convenu, tout demeure possible ou presque, y compris le devoir de respecter une trêve sociale pour une période raisonnable et celui de convenir des nécessités et conditions d’une paix civile plus que jamais nécessaire.
Il était illusoire de se fixer comme objectif un gouvernement d’Union Nationale avec la participation de l’Union Générale des Travailleurs de Tunisie. Il a finalement suffi que l’UGTT participe à la rédaction du Document de Carthage et qu’elle l’ait signée preuve incontestable d’esprit de responsabilité et d’un sens élevé du patriotisme de sa part.
Rappelons à ce propos que le Président Bourguiba avait réussi à former le 15 Avril 1956 un gouvernement avec une large participation des partenaires sociaux et notamment de l’UGTT. Il en a été de même le 29 Juillet 1957 et le 12 Novembre 1964. Cela a été possible et d’autant plus facile à réaliser que cette participation intervenait au lendemain de l’indépendance et que les dirigeants des organisations dites nationales étaient exclusivement destouriennes. Ce faisant, le Président Bourguiba avait même réussi à supprimer les primes servies aux fonctionnaires et à geler les salaires pendant dix ans en contre partie, il est vrai, du gel des prix des produits de première nécessité.
C’était là un moment de l’histoire, une période à jamais révolue…
Et puis était-il opportun de demander à l’UGTT d’accepter ce qui lui a été demandé à la veille de son Congrès ?
Encore une fois, la politique n’est-elle pas l’art de savoir gérer le temps?
3. Sur un autre plan, il est impératif de faire tout notre possible pour assurer le succès du Forum International pour l’Investissement prévu pour la fin Novembre, et ce en dépit des réserves possibles sur son timing et sur notre aptitude à satisfaire ses exigences et ses pré-requis à l’heure actuelle.
Pareille manifestation ne peut en effet prétendre à la réussite en période de grande agitation sociale et de multiplication des manifestations de défi à l’Etat…et en l’absence d’études de projets crédibles, précises et chiffrées.
Trouver un accord honorable avec l’UGTT, restaurer l’autorité de l’Etat et la primauté du droit et de la loi sont des priorités absolues.
Les projets urgents, novateurs et générateurs d’emplois ne manquent pas. Il en existe beaucoup dans les tiroirs. L’administration tunisienne a quant à elle un immense et précieux savoir faire et dispose de compétences reconnues dans la conception de projets. De même que la Tunisie dispose d’un grand nombre d’experts qui seraient à n’en point douter volontaires pour réaliser pareille tâche, si tant est qu’on le leur demande.
4. Cela étant, il est impératif que nous disposions d’une contribution financière propre et adéquate pour la réalisation de ces projets. C’est là une condition nécessaire pour que nos partenaires acceptent de concourir à leur réalisation.
Dans ce contexte, il est impératif de prendre urgemment un certain nombre d’initiatives en vue d’une part de gagner la confiance d’u peuple devenu sceptique et méfiant et d’autre part de conforter les ressources de l’Etat, tels que:
a. La généralisation de la lutte contre la corruption, la contrebande et le commerce parallèle. Il convient à ce propos de saluer certaines initiatives récentes qui incitent à l’optimisme.
b. La fermeté dans la lutte contre l’évasion fiscale.
c. L’initiative d’une souscription nationale volontaire qui serait par exemple dédiée à un programme national de propreté, de préservation de l’environnement, de l’esthétique de nos villes et villages, de la bonne maintenance de nos écoles, nos dispensaires et hôpitaux … avec une mobilisation adéquate de la société civile et du volontariat. Pareille initiative peut et doit être un outil de mobilisation populaire et son organisation et sa gestion sont de la plus haute importance.
d. Libérer les énergies créatrices et ce notamment:
- En accordant la priorité à l’examen du projet de loi sur la réconciliation économique.
- En mettant au point un plan précis pour accélérer l’examen par la justice des affaires pendantes relatives à la période d’avant 2010-2011.
- En adoptant, en concertation avec les partenaires sociaux, un cadre d’urgence de relance de l’activité économique.
5. Veiller à préserver l’autorité et l’invulnérabilité de l’Etat et à assurer le respect de la loi. Il convient à cet égard de saluer les mesures prises actuellement par le Gouvernorat de Tunis en matière de lutte contre l’occupation anarchique des espaces publics et contre la contrebande et le commerce parallèle.
Il est par ailleurs impératif de consolider les fondements de l’Etat notamment en parachevant la mise en place des institutions prévues par la Constitution, de fixer l’organisation des pouvoirs régionaux et locaux et en édictant un statut spécial pour le corps des gouverneurs, des délégués et de l’ensemble des préposés au pouvoir local et de manière à garantir la neutralité et la compétence de ces responsables. Comme il est urgent d’organiser les élections municipales et régionales.
6. Hâter la mise en place du Conseil National du Dialogue Social.
C’est ainsi et ainsi seulement, et après cela et non point avant, que tout ou presque deviendra possible, y compris le recours à des mesures douloureuses dont on ne peut faire l’économie et que tout un chacun devra accepter.
Le salut ne viendra que de nous même. Sachons mobiliser nos ressources. Elles sont immenses!
Quand la Nation est en danger, nous sommes tous concernés.
Moncer Rouissi
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Une anayse comprehensive, programme charge et bien concu. Qui est a l'ecoute? Esperons que la majoriite des tunisiens et surtout des responsables et des leaders en prennent possession. C'est la survie de la Tunisie qui est sur la balance.
Cher Professeur Moncer Rouissi ainsi je préfère vous appeler car c'est le plus honorable comme titre. D'abord j'ai une question si simple qui me vient à l'esprit en vous lisant: pourquoi n'avez vous pas dit et écrit cela quand vous étiez aux commandes ? Quant à votre article, je trouves certainement votre analyse tout à fait recevable sur le plan théorique mais elle ne résiste pas à la critique. Si je suis complètement convaincu de l'intérêt de mobiliser les ressources du pays, je ne suis pas du tout d'accord sur ces points: - l'autorité de l'Etat et l'application de la loi ne garantissent en rien une stabilité socioéconomique et ce pour une raison simple qui dépend largement des forces politiques dominant la scène mais aussi cela correspond parfaitement à l'idée que l'Etat a toujours raison or cela dépend comme vous le savez très bien de ceux qui gouvernent (redevabilité, crédibilité, patriotisme, croyance à la chose publique et mains propres outre l'impartialité); - si l'administration est comme vous le dites hautement qualifiée et regorge de compétences (je ne suis pas certain) elle est aussi en même temps une pépinière de la corruption, du clientélisme, du copinage, de la vaine compétition entre protagonistes pour maintenir son pouvoir ou obtenir un autre plus avantageux. D'ailleurs c'est devenu un slogan en Tunisie qui me semble très significatif : celui qui grimpe l'échelle c'est l'arriviste, soumis, incompétent et assoiffé de pouvoir et non le plus compétent et le plus intègre. - Tout est réduit à l'investissement comme moteur de changement et de développement comme assez souvent la majorité croient est en soi un frein à l'innovation politique car, et vous êtes le sociologue, le premier environnement favorable à l'investissement est le sens de responsabilité et l'enracinement de la valeur travail, chose qui me semble en voie de disparition pour ne pas dire elle n'existe pas car notre modèle de socialisation/éducation n'a pas et ne permet guère le développement de ces valeurs; - enfin les partenaires sociaux (UGTT et UTICA) ne s'inscrivent pas ou jamais sur le terrain de booster la machine de production mais ils glissent progressivement, de manière tout a fait dissimulée, vers le champ politique pour jouer un rôle politique sans être perçu comme tel ; ils sont par ailleurs restés prisonniers d'une conception complètement révolue de la question sociale : pour l'UGTT augmenter le salaire suffit pour encourager à travailler or cette équation est erronée; et pour l'UTICA, elle ne fait rien en matière d'encouragement des investissements et de sensibilisation sur les conditions sociales du travail dans l'entreprise et l'acquittement de ses charges sociales et il suffit de voir le nombre d'entreprises ayant une dette envers la CNSS outre la forte réticence d'aller investir dans les régions défavorisées.
Tout à fait d'accord M. Monser. Beaucoup de patriotisme et de sens de responsabilité là dedans ! Profond respect et meilleures salutations. VIVE LA TUNISIE. Larbi Guesmi / Membre Choura Nahdha