Nejib Chebbi: Bardo II, ou le Grenelle tunisien
La situation financière de l’Etat est préoccupante. Le taux de l’endettement public avoisine les 62% du PIB et pourrait dépasser les 70% en fin d’année, le déficit budgétaire, estimé à 3,7 milliards dans la loi de finance de 2016 se creuse de quelque 2,5 milliards supplémentaires. De leur côté, les caisses sociales (CNRPS, CNSS ET CNAM) ont accumulé au cours des trois dernières années un déficit de quelque 1,6 milliard de dinars et menacent sérieusement de ne plus pouvoir assurer le paiement des pensions de retraite ni le remboursement les dépenses de santé. En un mot l’Etat fait face à une véritable asphyxie financière. Rappelons qu’il a dû recourir le mois dernier à l’emprunt intérieur pour assurer le paiement des traitements des fonctionnaires et qu’il craint de ne pas pouvoir honorer ses engagements extérieurs en 2017.
Cette asphyxie financière s’inscrit dans un contexte économique particulièrement difficile : tendance baissière de l’investissement, tarissement des revenus du tourisme et des transferts des Tunisiens à l’étranger, déséquilibres de la balance commerciale et de la balance des paiements, entrainant un déficit du compte courant de près de 9% du PIB, pressions sur les réserves en devises et chute conséquente de la monnaie nationale, gonflement de la dette publique etc. etc.
Face à cette situation l’Etat envisage la mise en œuvre d’une véritable politique d’austérité. Il s’y est déjà engagé dans un « Mémorandum de Politiques Economiques et Financières » adressé au FMI, au mois de mai dernier.
Dans ce mémorandum, l’Etat s’engage à adopter dès ce mois de septembre 2016 une « stratégie de réforme de la fonction publique ». Cette stratégie prévoit entre autres mesures: le gel du recrutement des fonctionnaires, l’encouragement à leur départ volontaire, le non remplacement des départs massifs à la retraite programmés pour 2018, le redéploiement des fonctionnaires dans les régions, la révision de leur statut, de leur mode de recrutement ainsi que de la grille de leur avancement et la structure de leurs primes et indemnités. Cette stratégie serait mise en œuvre dès décembre prochain pour les quatre grands ministères (Santé, Education, Finance et Equipement) soit près de la moitié des fonctionnaires. La masse salariale serait quant à elle comprimée à 12,7% du PIB pour être ramenée à12% à l’horizon 2020.Le gouvernement se propose aussi de reporter à 2019 les augmentations de salaires prévues pour 2017. A ces mesures propres à la fonction publique s’ajoutent d’autres touchant les entreprises publiques, la flexibilité du dinar, la fiscalité et le secteur bancaire.
Ces engagements ont été pris de manière unilatérale, sans informer l’opinion ni l’associer à la prise de décision. Ces choix risquent de susciter des remous parmi les classes sociales concernées.Ellesprovoquent déjà des tensions avec les syndicats de travailleurs et nombre de groupes politiques de gauche. L’opinion appréhende quant à elle avec inquiétude et angoisse les différentes augmentations d’impôts envisagées par le nouveau projet de loi de finance.
Ce climat morose et quelque peu tendu n’est guère propice à l’entente et au consensus qu’appelle une situation économique délicate. L’austérité s’impose aujourd’hui à la Tunisie comme solution incontournable, aucun pays ne peut vivre durablement au dessus de ses moyens, surtout pas un pays dont l’économie est bloquée depuis bientôt six ans pour des raisons essentiellement politiques et dont l’avenir est hypothéqué par deux menaces qui handicapent toute reprise sérieuse de l’investissement : les tensions sociales et l’insécurité.
Toutes les classes sociales sont appelées à s’entendre sur les sacrifices à consentir, à le faire dans la solidarité et avec un sentiment d’équité. Lorsque les nations affrontent des situations difficiles, de crise ou un défi majeur jusque-là inconnu, elles organisent un débat et forgent un consensus que les pouvoirs publics s’engagent à appliquer. Il me vient à l’esprit l’exemple du « Grenelle » français. Face à la crise de mai 1968 et de nouveau pour affronter les périls qui pèsent sur l’environnement en 2007, les représentants de l’Etat, des syndicats, du patronat et de la société civile se sont réunis au siège du ministère du travail, rue de Grenelle, pour forger un consensus exprimé en des objectifs concrets et quantifiables que le parlement a ensuite entérinés et leur a ainsidonné la force obligatoire de la loi.
La Tunisie a un beau précédent dans ce domaine et qui lui a valu le prix Nobel de la paix en reconnaissance de l’ingéniosité de son peuple qui s’est frayé un chemin pacifique et consensuel à la transition démocratique, dans une région dévastée par les guerres civiles et la violence politique. Ce furent les pourparlers du dialogue national qui se sont déroulés au siège de la Chambre des Conseillers, un bâtiment qui, s’il n’a pas la beauté du château de la rue deGrenelle, offre toutes les commodités pour abriter une nouvelle consultation nationale sur les questions les plus urgentes et qui hypothèquent notre avenir.
Je propose de réunir un Bardo II où seraient représentés, le gouvernement, les partis, les organisations nationales et patronales, les représentants des régions et des jeunes pour débattre de deux thèmes, exclusivement : la question sociale et celle du développement régional.
Pour la première il s’agit de débattre de la question des salaires, de la réforme de l’administration, des caisses sociales, de la lutte contre l’évasion fiscale et la corruption et d’établir au travers d’autant d’ateliers que nécessaires et avec l’aide d’experts de divers bords des objectifs concrets définis dans le cadre d’un calendrier précis. Ces accords constitueraient le substrat d’un consensus, fait d’équité et de solidarité qui nous préserverait des périls qui nous guettent, dans cette phase critique de notre histoire.
Pour la seconde question, qui a été à la base de la Révolution tunisienne, il faudrait reconnaître que nous n’avons jamais assisté à autant de discours depuis six ans, si peu suivis d’effets, si non jamais. Très peu de conscience réelle du problème transparait des différents discours sur le développement régional. On se rend si peu compte que croissance et développement ne sont pas synonymes et qu’au contraire, la croissance seule est susceptible d’aggraver les déséquilibres entre les régions. Car avec le même modèle de développement on recréerait les richesses aux mêmes endroits et on engendrerait les mêmes inégalités régionales et sociales. On se rend si peu compte que le développement crée les conditions d’un élargissement de la croissance, de l’intégration nationale, un facteur si essentiel pour la mise à niveau des régions exclues, leur assurer une égalité de chance pour attirer les investissements, participer à la création des richesses et de l’emploi et recréer ainsi le sentiment de cohésion nationale qui commence à nous faire cruellement défaut.
Les représentants des régions discuteraient en atelier spécifiques, en présence de l’Etat, du mouvement politique et de la société civile, de leurs besoins en santé, éducation, routes et autoroutes, chemins de fer, protection de l’environnement et diffusion de la culture et des arts dans des régions désertifiées et abandonnées à elles-mêmes. Ils exprimeraient leurs besoins et l’Etat expliquerait quels sont ses moyens et tous se mettraient d’accord sur des objectifs quantifiés et répartis dans le temps selon un calendrier précis.
Ce dialogue constitueraitla substance d’un consensus social nouveau qui permettrait à la Tunisie de traverser dans l’unité et la solidarité cette zone de turbulence et de créer à moyen terme les conditions d’une véritable relance économique.
Enfin, ces pourparlers seraient ouverts aux journalistes pour permettre à l’opinion de les suivre et d’y adhérer.
De tels accords sont seuls à même de rétablir la confiance dans l’économie tunisienne et attirer les investissements locaux ou extérieurs. Ne pas les aborder dans l’immédiat et compter sur l’aide internationale, c’est tout bonnement se tromper d’époque et méconnaître cette sagesse élémentaire qui dit « aide -toi le ciel t’aidera ».
Nejib Chebbi
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Peut être faudrait -il s´inspirer de l´exemple de la Corée du sud dans les 50 du siècle dernier. Certes ce pays a pu profiter du conflit Est -Ouest ( la guerre froide) surtout pour le financement où les Etats-unis ont à chaque fois débourser d´énormes sommes d´argent pour soutenir les plans du gouvernement de l'Etat sud coréen. Il faut par cóntre rappeler que les gouvernements sud coréens étaient de droite et très répressifs. et ont dû affronté le peuple et surtout les étudiants sud coréens presque en permanence. Mais les gouvernants sud coréens n étaient extrêmement nationalistes et ont dû affronter même les Etats Unis alors que cette dernière la puissance occupante du pays. Deux principes par contre á rappeler des plans sudcoréens. L´etats a son mot á dire en toute chose, et la production est basée sur la substitution de l´importation. Il ne s´ agit pas de produire n´ importe quoi pour s´ enrichir mais produire ce qui manque à la consommation du people, La consommation des fruits et légumes existant dans le pays doivent être développés , telles les dattes. l´huile d´olive et les autre fruits et légumes existant dans la pays. Mais la guerre froide est finie, et la Corée du sud est devenue comme les autres. les Etats Unis trouvent d´autres prétextes pour ne plus aider la Corée du sud, mais la réelle raison est la fin de la guerre froide. Cependant le people est devenue capable d´un comportement réaliste des affaires économiques. Il est devenu mûr. Il faudrait aux Tunisiens de trouver une autre voie démocratique spécifiquement tunisienne.
Il faut aussi créer un dialogue national pour la jeunesse, qui a des rêves plein la tête et des projets pour la Tunisie mais personne pour l'écouter, par ailleurs les chiffres de l'ONU pour 2015 atteste du transfert de 4,2 milliards de dollars des tunisiens de l'étranger soit plus de 50%d'augmentation en 5 ans, il y a par contre une absence totale de stratégies pour orienter au moins une partie de ces fonds vers des secteurs économiques ou regions prioritaires et pire de nombreux investissements sont mals étudiés et donc à fond perdus, il est tant de penser eauxnfin a l'économie et aux tunisiens.