Mapping Sculptures in Carthago : Un musée archéologique revisité grâce aux nouvelles technologies
Les nouveaux Carthaginois, les fans du patrimoine et le grand public ont été conviés, au musée national de Carthage, du vendredi 24 juin au dimanche 26 juin à un spectacle nocturne inédit en Tunisie. La manifestation « Mapping Sculptures in Carthago » est en effet la première véritable animation nocturne dans un musée tunisien.
Un travail d’équipe pour une animation exceptionnelle
Elle a été conçue par le jeune Hatem Drissi, archéologue, historien de l’art et muséographe initié à la restauration et l’étude techniques des statues au Musée national du Bardo et à l’Ecole du Louvre. Il s’agit d’une réalisation du Design Lab, un collectif de vidéastes (néologisme créé à partir de la fusion des noms vidéo et cinéaste pour désigner en général un cinéaste professionnel utilisant les techniques de la vidéo numérique) spécialisés dans la production d’évènements audiovisuels dans les espaces culturels et hauts lieux de la culture et de développeurs d’outils numériques. Organisée dans le périmètre du musée situé sur la colline de Byrsa, elle nous propose une dizaine de sculptures emblématiques du musée de Carthage, exposées en plein air, qui constituent un condensé de l’histoire des fouilles archéologiques depuis le milieu du XIXème siècle et nous invite à un parcours nocturne dédié à la grande cité antique.
Balisé à l’entrée par un plan qui le présente au visiteur, l’itinéraire choisi est fait d’une quinzaine d’étapes. Il introduit le visiteur, charmé par les effets de la lumière sur les sculptures et les autres vestiges exposés, dans un univers ludique, interactif et féérique et offre, grâce à la technique du mapping video, des médiations interactives avec le public pour lui faire découvrir, par le biais de cette technique, les chefs-d’œuvre de la sculpture antique du musée.
Mapping video, son et lumière pour la splendeur des lieux
Egalement appelée « fresque lumineuse », cette technique sert à transformer des objets de forme irrégulière, comme les sculptures, les monuments, les colonnes, les façades architecturales ou les arbres en surface d’affichage pour la projection de la lumière ou de vidéos grâce à des vidéoprojecteurs sophistiqués et des logiciels spécialisés, remodelant ainsi la réalité visible et animant les objets statiques.
La lumière projetée sur les pièces archéologiques de l’exposition les habille d’une seconde peau virtuelle, recrée, sur les surfaces projetées, des images à 360 degrés, de grande taille et sublime l’œuvre qu’elle éclaire. Ce parcours nocturne offre à notre regard conquis une variété infinie de couleurs chatoyantes mettant en valeur les habits qui drapent les sculptures ou les belles tresses des chevelures antiques. Il restitue, par là même, les couleurs antiques des habits en ayant recours à des pigments anciens révélés par des recherches de laboratoires qui s’appuient sur la détection des traces de couleurs que l’usure du temps n’a pas complétement effacées. C’est l’imagination féconde et créatrice du vidéaste, orienté par l’archéologue, qui supplée au défaut de connaissances si bien que nous sommes en présence d’une exposition alliant, à la rigueur scientifique de l’informaticien et à l’objectivité de l’historien, la fantaisie de l’artiste.
La projection vidéo permet d’ajouter des textes, des images et des représentations contribuant ainsi, grâce à l’adaptation d’un contenu visuel spécifique et adéquat, à une reconstitution en 3 D des parties manquantes de certaines sculptures. Elle débouche sur une meilleure connaissance de l’œuvre exposée et à la diffusion, d’une manière ludique et interactive, du savoir acquis grâce aux recherches archéologiques puisque le visiteur est au centre du spectacle qui lui est proposé. La musique accompagnant les effets visuels est, elle aussi, en parfaite harmonie, avec les pièces archéologiques exposées et contribue à en percer le secret.
Morceaux choisis du parcours nocturne
Nous avons apprécié toutes les étapes de ce parcours nocturne et les grandes vertus pédagogiques de la technique du mapping video que nous allons illustrer par des scènes qui nous ont marqué et qui ont impressionné les visiteurs. Les lumières, qui habillent les ruines de la Carthage punique en contre-bas de la colline de Byrsa ainsi que le contenu visuel choisi, constitué de caractères puniques affichés sur les vestiges majestueux mais qui semblent flotter dans la nuit carthaginoise, disent la magnificence de la cité punique du temps de sa splendeur. Accompagnant la fresque lumineuse, la musique guerrière suggère la destruction de Carthage par les Romains et l’avènement, par les armes d’abord, d’une nouvelle civilisation sur les terres africaines.
La sculpture du centaure, chevauché par un Amour et à qui il manque la partie humaine et le cavalier qui le chevauche, est parfaitement reconstituée grâce à un contenu visuel, complément virtuel de la sculpture amputée de sa moitié humaine et composé des éléments manquants. Cet habillage virtuel s’y articule, par ailleurs, comme son complément naturel.
La vidéo représentant Mercure, qui s’affiche sur la sculpture propose des images, des symboles, des représentations et un texte qui visualisent les différents attributs traditionnels du dieu du commerce, des voleurs, du voyage et aussi guérisseur, comme la bourse, le caducée, les sandales ailées tandis que la statue d’époque romaine (s’agit-il d’Apollon Sauroctone ou d’Hermès portant Dionysos enfant ?), qui est une imitation d’un chef-d’œuvre de l’art grec classique, voit s’afficher sur sa surface des informations et des esquisses qui évoquent la genèse de l’œuvre. Mais ces textes gagneraient à expliciter le contenu visuel parfois hermétique pour un public non initié à la mythologie gréco-romaine et qui n’arrive pas à comprendre par exemple la présence du caducée et des sandales ailées dans l’habillage vidéo de la sculpture.
Une véritable animation muséographique nocturne
Avec cette exposition, nous sommes au cœur de la véritable animation muséographique qui valorise le patrimoine à l’opposé de certains évènements nocturnes où, en guise d’animation, on vous propose, dans l’enceinte du musée, un programme musical qui sert de repoussoir pour le patrimoine muséal mal valorisé. Tout se passe comme si les responsables des musées, incapables de le valoriser grâce à une politique muséale appropriée, appelaient à leur secours les grands musiciens et les grands chanteurs pour le faire valoir et visiter.
Mettant les nouvelles technologies de l’information et de la communication et particulièrement la technique du mapping video au service de la valorisation du patrimoine archéologique, ce genre d’exposition permet une immersion corporelle et intellectuelle profonde du visiteur dans l’univers des sculptures romaines animées (dans le sens où l’on leur insuffle le mouvement et la vie), en quelque sorte ressuscitées et favorise la rencontre et l’interaction entre le musée et le public. C’est en tentant de restituer la couleur locale carthaginoise et en réussissant souvent cette restitution grâce aux recours aux technologies numériques, aux jeux de lumière et à la musique qui accompagne ou déclenche la vidéo que les initiateurs et les réalisateurs de l’animation ont essayé de faire adhérer le visiteur à leur projet et de l’y associer.
Cette première animation nocturne a connu un franc succès. Le commissaire de l’exposition Hatem Drissi, relayant des informations fournies par les services de sécurité, s’est félicité de la présence de 1700 personnes pendant la soirée inaugurale de l’exposition. Tous ces visiteurs témoignent de la demande sociale pour ce genre d’animation tandis que nous avons pu constater une affluence respectable, durant la seconde nuit, en dépit de la concurrence, dans l’Acropolium voisin, d’un concert. Ce constat ne peut qu’encourager d’autres musées à tenter l’expérience et qu’ouvrir des perspectives prometteuses pour un développement durable lié à la valorisation du patrimoine muséal.
La réussite est due au travail en symbiose et à la synergie agissante entre les différentes compétences associées dans la réalisation du projet comme l’archéologue, l’historien de l’art, le muséographe, le vidéaste, le développeur d’outils numériques et les partenaires l’ayant financé. Le soutien efficace de l’Institut Français de Tunisie et la contribution de la Fondation Lazaar à ce projet ne peuvent qu’être loués avec une mention spéciale pour la réussite du partenariat public-privé à l’occasion de cette exposition. S’y ajoute l’heureuse association, comme médiateurs culturels, des étudiants de Licence ou du Mastère du patrimoine de la Faculté des sciences humaines et sociales de Tunis et de la Faculté des lettres, des arts et des humanités de la Manouba. Formés au métiers du patrimoine, ces jeunes ont été ainsi associé à une manifestation qui leur a montré un domaine d’application de leurs études. Puissent les décideurs tirer les innombrables leçons de cette heureuse expérience.
Habib Mellakh
Universitaire et Président de l’AMMC
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