Mon ami et frère d’armes le colonel Ferchichi tel que je l’ai connu de 1950 à 2016
J’avais encore 15 ans lorsque j’ai connu pour la première fois l’élève Hmida Ben Belgacem Ferchichi. C’était au début des années cinquante au collège Alaoui, en face de la caserne du 4ème Zouave (Régiment français d’infanterie) à Montfleury Tunis. Nous y avons usé, ensemble, tant de fonds de culottes pendant les 6 ou 7 ans du secondaire. Lui, il venait de Béja et moi de Djerba. Rencontre Nord-Sud peu banale en ces temps difficiles. Il fallait avoir une raison valable, telle que s’inscrire à un collège, pour monter à Tunis; si loin et si compliqué
Notre pays était encore sous protectorat français. En ces temps glorieux, l’effervescence nationaliste battait son plein. Elle s’est déjà exprimée par des actions de plus en plus violentes à travers tout le pays et notre collège a été contaminé par le virus de ce patriotisme rampant.
Ces événements nous excitaient et on participait nombreux aux manifestations organisées intra-muros ou à l’extérieur sous le nez de nos si chers voisins les Zouaves. Ces manifestations anticolonialistes étaient inspirées par nos «profs» tunisiens et dirigées par nos aînés des classes terminales.
Monsieur Lucien Paye, le directeur français de l’Instruction publique (ministre de l’Education du Bey) était la cible privilégiée de notre colère. Notre slogan, commun à tous les lycées et collèges : «A bas Paye»… «A bas Paye», irritait les flics et déclenchait coups de matraque, bombes lacrymogènes et renvoi pour les meneurs et les plus excités d’entre nous.
Le directeur du collège, Monsieur Labarde, était un homme bien. Il était compréhensif lorsqu’on se hasardait à manifester en classe ou dans la cour. Il était respectable et respecté par tous. Mais son attitude envers nous n’était pas appréciée par l’autorité coloniale qui n’a pas tardé à le remplacer. D’ailleurs, très vite des rumeurs ont été ébruitées discrètement par «Am Mahmoud», le concierge, qui nous vendait de succulents casse-croûtes pendant la récréation. On disait qu’on allait le remplacer par un homme à poigne. La confirmation ne tarda pas à nous tomber sur la tête. Et Monsieur Bramerais vint! On le disait un dur à cuire. Il venait du lycée Stéphen Pichon de Bizerte, réservé, paraît-il, aux enfants des colons ou aux fils des grandes tentes. Le nouveau directeur tarda à se montrer. Il faisait monter la pression par des rumeurs cauchemardesques. On le disait brutal et qu’il allait balayer tout sur son passage. Nous étions avertis qu’il venait pour nous mater. On faisait tout pour nous effrayer. En vain!
Lorsqu’on a aperçu un jour Monsieur Bramerais, devant la salle des «profs», nous avons découvert un «colosse», un «malabar» ! Il portait toujours des costumes sombres avec un large chapeau mou qui lui cachait la moitié des yeux. Souvent, il arpentait couloirs, cours de récréation, salles de classe ou d’études. Notre cher nouveau directeur cherchait toujours et par tous les moyens à nous impressionner. Il n’arrêtait pas de rouler les mécaniques. Il appelait les troupes «antimanif» de la police pour un oui ou pour un non. Il a même, un jour d’été, provoqué un de nos camarades qui avait par hasard retroussé les manches de sa chemise qui découvraient des biceps impressionnants. Notre directeur bien-aimé trouvait cela arrogant de la part d’un élève, ce qui l’irritait au plus haut point.
Cette agressivité nous excitait davantage et aiguisait encore plus notre patriotisme au fur et à mesure qu’on avançait en âge et montait en classe. Au bout de 6 à 7 ans, on était prêts pour la bagarre. Cette ambiance électrique par la faute de Monsieur Bramerais nous a encouragés, Ferchichi, moi-même et tant d’autres à opter sans hésitation pour la carrière militaire. Merci Monsieur Bramerais.
C’est ainsi qu’à la fin du secondaire, répondant à l’appel du nouveau ministère de la Défense nationale, nous nous sommes retrouvés, Hmida Ferchichi et moi-même, sans nous être concertés, au collège Sadiki pour passer le concours d’entrée à l’Ecole spéciale militaire inter armes (Esmia) St-Cyr France.
Ayant réussi tous les deux ainsi que 120 autres candidats, nous avons été enrôlés dans l’armée pour un contrat de 10 ans. Et ce fut pour une carrière commune d’une quarantaine d’années. Lui dans l’arme de l’infanterie et moi dans l’arme blindée cavalerie (A.B.C). Ces deux armes sœurs se battent toujours ensemble côte à côte. On dit botte à botte dans l’A.B.C qui se charge de la rupture des lignes ennemies. L’infanterie s’y engouffre, achève les résidus et occupe le terrain.
Au cours de ces longues et laborieuses années, j’ai eu le temps de bien connaître l’officier subalterne puis l’officier supérieur Ferchichi et d’apprécier en lui son esprit chevaleresque en plus de ses qualités de chef militaire acquises au cours de ces longues années par différents stages de formation ( forces spéciales), de qualification (cours de capitaine), de commandement (cours d’état- major, cours supérieur de guerre et enfin l’Institut de défense nationale). C’est tout ce qu’il faut pour faire un grand chef.
Le 22 février 2016, alors que je m’apprêtais à lui rendre visite à l’Hôpital militaire, je fus surpris par la nouvelle de son décès. A cette nouvelle inattendue, car je le savais en bonne santé, je n’ai pu retenir mes larmes. C’était plus fort que moi. C’était dans un silence atroce et sourd.
Une longue et sincère amitié forgée par une camaraderie de classe (6 à 7 ans) puis une longue confrérie d’armes (40 ans) et une retraite de 20 ans environ nous a accompagnés pendant presque 70 ans. Ensemble, nous avons fait un sacré bout de chemin de 1950 à 2016.
Pendant toute cette longue marche, un profond respect réciproque et une certaine «complicité» partagée, inavouée et innocente et jamais mis à l’épreuve ont marqué nos rapports.
Le jour de son enterrement, j’ai été de nouveau choqué de voir que ce soldat de valeur n’a pas été honoré comme il se devait. En reconnaissance des services rendus à l’armée et à la nation. Le minimum qu’on était en droit d’espérer pour lui, c’était qu’une section des forces spéciales de l’armée (et personne d’autre) le prît à bras-le-corps jusqu’à sa dernière demeure.
Le colonel Ferchichi à la tête de ses pairs, tout aussi compétents, a créé et formé ces unités d’élite. Puis, il les a accompagnées depuis le niveau de la section jusqu’à la brigade qu’il a créée et commandée avec brio. Sa carrière prit fin au Régiment de police militaire où il a fait montre de nouveau de son savoir-faire. Ses camarades de la «promotion Bourguiba» dont moi-même, ainsi que ceux qui ont participé avec lui à la défense de la ville de Bizerte en juillet 1961, reconnaissent en lui de grandes qualités et particulièrement son courage, son aptitude physique et sa volonté de se battre. On peut beaucoup écrire sur sa brillante carrière. On peut parler pendant longtemps de notre cher et regretté colonel Ferchichi. Pour me résumer, je dirai qu’il était un officier de très grande valeur qui a toujours représenté pour moi cette force tranquille productive en temps de paix capable de se transformer rapidement en force brutale en temps de guerre. Puisse Dieu miséricordieux l’accueillir dans Son immense Paradis.
Général Elkateb
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Je connaissais personnellement le colonel Ferchichi.. Il était un homme courageux, un homme d'honneur.... Que dieu aye son âme..
UNE LEGENDE !!!
Ferchichi est un ami personnel à moi chaque fois quand je descend d ici en France je passe chez lui à El aouina c est lui qui me forger au commando . Inoubliable ce frère de cœur qui aime sa nation et son armee paix sur lui aussi je salut notre grande armee mon cœur avec eux