Opinions - 19.12.2015

Mansour Moalla : Sauver la Tunisie

Sauver la Tunisie

On ne reconnaît plus la Tunisie, après la fin du  règne du héros de l’Indépendance, le pouvoir désastreux d’un dictateur, une révolution confisquée par le parti islamiste auréolé par les prisons du nouveau maître du pays et enfin le sursaut provoqué par de « vraies» élections législatives et présidentielles en 2014 et la profonde déception provoquée par la gestion des nouveaux dirigeants et l’agitation de leurs partisans qui commence à friser le ridicule, se souciant peu de la considération conférée au pays et à ses citoyens par le prix Nobel.

Ce processus de dégradation doit s’arrêter. Il faut sauver le pays avant qu’il ne soit totalement épuisé. Tout un chacun en est conscient. Pour ce faire, il faut des réformes profondes, audacieuses même si elles risquent d’être douloureuses. Le chef de l’Etat l’a annoncé mais on ne voit rien venir et aboutir.

Eviter un exécutif à deux têtes

Il y a lieu d’abord d’éviter la confusion gouvernementale d’un exécutif à deux têtes. On a voulu utiliser à la fois le régime présidentiel et le régime parlementaire. Il a été suffisamment démontré qu’ils sont incompatibles.

L’élu au suffrage universel finit par dominer la scène. Le défaut du régime présidentiel, dont le pays a longtemps souffert, est que le Président, élu pour 5 ans, est incontrôlable : aucune autorité constitutionnelle ne pouvait mettre fin à ses erreurs ou limiter ses abus. Il doit donc éviter de se mêler du «quotidien» et rester l’arbitre et le recours. Sinon, à qui s’adresser lorsque rien ne va ? En revanche, le chef du gouvernement est contrôlable et on peut le sanctionner s’il n’est pas à la hauteur de sa mission. Ce qui arrive aujourd’hui : le gouvernement est oublié et on attaque le Président, ce qui risque de discréditer le régime et de détériorer la crédibilité du pouvoir

Calmer l’agitation politique et sociale et combattre le terrorisme

Cela étant, et pour réussir à sauver le pays, il faut calmer l’agitation sociale qui ne fait que s’aggraver. La grève est un droit peut-être mais elle instaure le désordre, incompatible avec tout redressement économique. Les syndicats devraient participer au gouvernement et comprendre les problèmes de l’intérieur : c’est plus positif. C’est mieux que la participation du parti islamique qui doit d’abord se «tunisifier» et éviter l’utilisation politique de la religion d’autant plus que cette confusion ne peut qu’entraîner des malheurs, comme on le constate en Egypte et ailleurs, et donner naissance au terrorisme. La lutte contre ce dernier fléau s’impose. Il compromet toute chance de redressement économique, en installant l’insécurité et la peur.

Priorité à la croissance économique

Ce sont là des préalables inévitables pour redresser la situation et espérer une reprise de la croissance économique presque nulle aujourd’hui et qui risque de devenir négative avec son cortège  de chômage, de déficit et de restrictions et une agitation politique dangereuse.
Il y a lieu, s’il le faut, de consentir des sacrifices importants pour créer les conditions d’une croissanceÚ
Úéconomique du même ordre que celle qui a été obtenue depuis l’indépendance et avant la Révolution, c’est-à-dire de l’ordre de 5% par an, ce qui est un objectif minimum. Ces sacrifices pourront se traduire par la réduction de certaines charges publiques de gestion et l’on doit l’accepter. La gratuité des services publics ne doit plus être un dogme. Chacun doit les rémunérer à la hauteur de ses moyens. On peut ainsi dégager les ressources nécessaires pour rétablir la sécurité et la stabilité.

Les réformes

Ces sacrifices peuvent être supportés et acceptés si des réformes profondes et importantes sont réalisées même si elles nécessitent de l’audace et un grand patriotisme. Ces réformes sont connues. On peu les énumérer et les expliciter rapidement, chacune d’elles nécessitant de longs développements.

La réforme de l’Etat : décentralisation, déconcentration

Il s’agit d’abord de la réforme de l’Etat : instaurer une décentralisation réelle et importante et une déconcentration effective pour rapprocher le pouvoir des populations concernées, les intéresser à leur sort et les responsabiliser et en faire des citoyens et non des êtres passifs attendant tout du sommet. J’ai évoqué cette réforme avec plus de détails dans un précédent numéro de Leaders. Déconcentration et décentralisation allègeront les charges de l’Etat central et introduiront la société civile dans la vie réelle du pays. L’Etat doit progressivement se délester de tout ce que la société civile peut entreprendre : cela va du transport terrestre, ferroviaire, aérien et maritime jusqu’à la santé ou l’éducation, en commençant par l’importation du thé et du café ! Gérer convenablement les attributions de souveraineté : justice, diplomatie, défense, sécurité est déjà un vaste champ d’action qu’on ne peut déléguer à personne. Parallèlement, les organismes de sécurité sociale doivent être responsabilisés et dynamisés, ce qui nécessite des mesures précises et urgentes.

Eviter le monopole

Les organisations économiques et les entreprises étatiques doivent faire l’objet d’un examen critique profond et l’Etat ne doit garder que celles qui dépassent les moyens de la société civile. Celles gardées ne doivent pas détenir de monopole, synonyme de mauvaise gestion, qu’il s’agisse du transport, de l’énergie, des mines, de l’eau par exemple. L’Etat pourra ainsi les gérer plus efficacement.

En réalité, l’Etat ne doit devenir gestionnaire que lorsqu’on ne peut pas faire autrement. Un gestionnaire n’est jamais parfait et s’expose à l’erreur et aux difficultés. L’Etat doit l’éviter dans toute la mesure du possible pour ne pas se discréditer. Un Etat mauvais gestionnaire ne peut pas exiger la bonne gestion des autres acteurs économiques. L’exemple de la principale banque étatique est évident. L’Etat peut contrôler toutes les banques sans avoir à en gérer une ou plusieurs, ce qui ne peut être pour lui qu’un handicap sérieux.

La Tunisie : un pays modèle

En conclusion, on peut dire qu’il est temps que le pays et ses dirigeants fassent le point le plus tôt possible et établissent, dans le cadre du Plan en cours, l’élaboration de toutes les réformes nécessaires dont on vient de donner quelques exemples. Sans ces réformes, le pays est condamné à la régression et à la décadence. Aucun patriote sérieux ne peut l’accepter. Surtout pas ceux qui ont eu la chance et le bonheur de participer à la construction de l’Etat tunisien indépendant et qui espéraient et espèrent encore qu’on pourra en faire un Etat modèle, ce qu’il n’est pas encore, mais qui peut le devenir. La Révolution a accouché d’un Etat républicain qui se veut démocratique : il faut espérer que la liberté et l’efficacité viendront s’appuyer mutuellement pour sauver le pays et en faire réellement un Etat modèle, et le prix Nobel doit nous encourager à participer à ce redressement national qui s’impose à toutes les catégories de la population.

Mansour Moalla


 

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10 Commentaires
Les Commentaires
JeanPierreryf - 19-12-2015 16:38

Mais monsieur vous faîtes une analyse parfaite sauf que vous ne mettez pas l'accent sur l'essentiel a savoir ce déni complet de démocratie que constitue l’alliance entre Nidha et Nada! Comment voulez vous que l'on parle de démocratie quand le pouvoir est de nouveau confisqué par un attelage improbable qui empêche toute alternance et qui constitue en réalité une nouvelle dictature soft.Comment voulez vous ,par ailleurs que ce pouvoir présente un réel programme de progrès quand deux partis aux conceptions de la société totalement opposée tirent a hue et à dia?

Jmel Moiunir - 19-12-2015 21:53

Parfait Si Mansour,et pour le réaliser ,il est urgent de convoquer et chercher les compétences leaders tunisiens qui sont écartés des postes de décision, le tunisien est intelligent et trouve les solutions optimales de tous les problèmes du pays

Une dictature softe est le présent - 20-12-2015 11:50

Nidaa tounes n'est ni leader dans le gouvernement ni représenté de tel dans les medias. Le président de ce parti est occupée par le parlement. Le secrétaire général de ce parti est chassé par le fils de BCE et ne croit plus en ce parti tel qu´il est. BCE venait de ce parti et était élu par les non-nahdaouistes. Avec le consensus nécessaire aboutissant à un chef de gouvernement indépendant des partis, BCE n'est plus supportée par les non-nahdaouistes de principe mais de ceux qui veulent survivre après l'ère du déchu ben Ali. On a l'impression que la fin de la démocratisation vient de commencer pour revenir à l'avant révolution avec une nouvelle équipe destouri-nahdahouiste.

Valembois de Lépigny Serge - 20-12-2015 15:11

Je suis en Tunisie depuis 15 ans, & marié avec une Kairouanaise. Donc je pense savoir ce que je dis. Mr Mansour, le seul & unique de la Tunisie, c'est qu'elle ne travaille pas ! Que ce soit dans les services étatiques, dans les agences de banques, dans les tribunaux, dans les sociétés financières étatiques, à la Sonède, à la Steg,à l'inspection du tavail etc...etc...tout le monde s'en fout. On commence à 8H30/9 heures, on prend son café au bistrot d'a coté,on va déjeuner à 12H30, on revient à 15 et on part à 17H. C'est cette mentalité qu'il vs faudra changer, et je vs souhaite bien du plaisir.

Picard H. - 20-12-2015 15:12

Pour avoir séjournee tous les hivers en Tunisie pendant dix ans, je suis en partie d'accord avec cette analyse mais, j'ai observé suffisamment les citoyens de votre pays pour avoir la certitude qu'ils ne sont pas prêts à s'imposer les sacrifices que l'état est en droit d'attendre d'eux. L'état ne peux y arriver seul dans un pays où l'économie est si fragile et aussi instable. En plus d'être aux prises avec le terrorisme, les dirigeants n'ont pas l'appui dont ils auraient besoin pour mener le pays vers des résultats satisfaisants! Le passé et, l'histoire du pays sont peut-être responsables de l'indiscipline des citoyens! H. Picard

el khlifi mokhtar - 22-12-2015 13:26

Ce fut une erreur grossière de ceux qui nous ont imposé un régime parlementaire tricéphale ( la gauche et Ennahdha).Leur erreur a été de bâtir le pays en partant de zéro et tout effacer, ce qui n'est pas réaliste.Il fallait partir de l'existant et de le réformer.Nous aurions gagné du temps et de l'argent.La situation du pays sur le plan sécuritaire, économique et social, notre mentalité et le manque de maturité de nos politiques exigent un Pouvoir fort en mesure de prendre les décisions urgentes qui s'imposent. Je pense qu'il faille passer par une nécessaire réforme des institutions, le moment voulu.Cependant,la situation étant ce qu'elle est, il n'y a rien à attendre des politiques au pouvoir et dans l'opposition et qui ont crevé nos écrans de télévision.L'espoir, si cet espoir existe encore, est que la femme, la jeunesse, les intellectuels, les experts et la société civile se retrouvent dans une formation qui orienterait, soutiendrait et contrôlerait l'action d'un Gouvernement qu'ils choisiraient.

Hypothèse pour réussir - 23-12-2015 14:10

La priorité des priorités c'est que les tunisiens changent de mentalité, en admettant que pour relever le pays ils lui doivent des sacrifices, donc arrêter de penser stricto sensu dans son intérêt individuel abstraction faite de l'intérêt collectif. c'est seulement avec cette conviction que la construction d'une Tunisie prospère démarrera sur des bases solides et à partir delà tout le reste sera réalisable, en commençant par le travail indispensable pour la mise en œuvre des chantiers (réformes) à entreprendre.

Mounir Dhouib - 24-12-2015 19:53

Discours politique et "populiste", sans plus, malheureusement. Il faut réaliser une croissance de 5% minimum ? mais le problème est justement comment atteindre ce taux ? Ce n'est pas une décision politique mais un programme économique pragmatique qui doit être proposé pour justement atteindre un tel objectif. Toutes les autres propositions tombent malheureusement dans le même registre: il faut ... il faut ... il faut ... mais rien, absolument rien de concret, de pragmatique. Que préconisez-vous, CONCRÈTEMENT, Si Mansour, pour calmer l'agitation sociale ? Rien ! Pour lutter contre le terrorisme? Rien ! Pour aller vers plus de décentralisation et de déconcentration? Rien ! Le problème majeur de la Tunisie aujourd'hui c'est que à des situations urgentes on s'ingénue à proposer des "idéaux", des objectifs bateaux qui sont loin d'avoir pied à terre mais plutôt la tête dans les nuages. La notion "temps" est absolument absente de votre analyse Si Mansour, malgré tout le respect que j'ai toujours eu pour votre personne ! Aujourd'hui le gouvernement et la classe politique doivent laisser les questions "stratégiques" à plus tard et s'atteler pendant 2-3 ans à résoudre les problèmes urgents et cruciaux à commencer par le chômage. Contentez-vous Si Mansour, toute la classe politique, de l'extrême gauche à l'extrême "Nahdha" soutiennent, TOUS, exactement le même discours que le vôtre, donc, quel nouvel apport ?

DOGUI Mohamed - 06-01-2016 10:20

J'aurai aimé vous vous voir vous engager pour un poste de haut dirigeant au pouvoir afin d'agir et pas uniquement parler.

mrabet nedra. - 22-12-2016 09:18

cet article exprimé ce qu on ressent tous les jours il faut trouver une solution pour réaliser ces objectifs. avec des personnes mûres lucides compétentes etresponsables fortes et honnêtes comme si Mansour.

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