Mustapha Kamel Nabli : Les impératifs d’une guerre réelle contre le terrorisme
Les Tunisiens sont devenus plus que jamais conscients, après la dernière attaque meurtrière de l’Avenue Mohamed V sur la Garde Présidentielle, que le terrorisme est devenu un danger suffisamment sérieux pour être considéré comme la plus grande priorité. La guerre contre le terrorisme doit faire partie des urgences et être menée avec la plus grande efficacité.
Les déclarations d’intention de lutte contre le terrorisme ont été multiples, et les actions et les opérations menées par les services sécuritaires et militaires contre les terroristes ont été réelles avec des résultats importants. Nous devons en particulier saluer les efforts et le travail énormes effectués par ces services. Les pertes en vie humaines de dizaines de nos militaires et sécuritaires sont là pour le prouver. Ils ont payé de leur vie leur engagement pour ce pays et la protection de ses citoyens et de son Etat. Il y a aussi le travail et les sacrifices de tous ceux et celles qui travaillent dans les services de sécurité et de l’armée depuis des années pour déjouer les tentatives d’attentats, pour poursuivre les coupables et sécuriser le pays. Nous leur devons toute la reconnaissance et le soutien sans réserve.
Il y a aussi les efforts louables et activités des autres structures de l’Etat et des organisations de la société civile dans les domaines de l’éducation, de la culture, des affaires religieuses, du développement économique et social.
Mais dans cette nouvelle phase d’une guerre déclarée contre le terrorisme nous devons reconnaitre que cela reste insuffisant et que nous devons nous assurer des moyens pour que cette guerre soit gagnée avec le moindre coût et dans les délais les plus courts. Cela exige d’aller beaucoup plus loin et avec plus de détermination, c’est-à-dire la réunion de trois impératifs.
1/ Le premier impératif est celui du caractère sérieux de cette lutte
Quand je parle de sérieux je m’adresse à nous tous Tunisiens, je parle de notre engagement à soutenir pleinement et réellement cet effort. Ce sérieux doit caractériser l’action et les attitudes de l’Etat dans son ensemble, du gouvernement, du système politique, des organisations nationales et de la société civile et du citoyen tout court.
Ce sérieux doit être traduit à trois niveaux:
a- Faire de la lutte contre le terrorisme une priorité absolue réelle
Les déclarations d’intention et les proclamations ne manquent pas. Mais elles ne sont pas traduites dans nos choix et actions de tous les jours. Il est navrant de remarquer combien de fois les actions et les déclarations sont loin de traduire cette priorité, et sont axées sur d’autres orientées vers les intérêts spécifiques. Une telle priorité doit être claire, réelle et absolue et se refléter au niveau des choix budgétaires et de la priorité accordée à son financement, au niveau de notre politique nationale et de notre politique étrangère, au niveau des débats politiques et de société, au niveau des relations sociales et de la nécessité de leur apaisement et au niveau de l’engagement de chacun à plus de discipline dans le travail, et dans l’accomplissement du devoir.
b- Mettre tout le pays en état d'alerte générale
Il est impératif de procéder au renforcement des dispositifs sécuritaires au niveau des établissements publics et appeler les privés à faire de même dans les lieux ouverts aux grand public. Le sérieux de notre engagement contre le terrorisme doit aussi se retrouver au niveau de l’action et du comportement de chaque citoyen qui doit être mobilisé en permanence pour détecter, combattre et alerter contre les risques et les activités terroristes.
c- Faire de la discipline un devoir patriotique
La discipline doit se retrouver au niveau de l’engagement de chacun dans le travail et dans l’accomplissement du devoir. Il faut combattre le laisser aller, le désordre, et promouvoir le sens civique et la citoyenneté.
Il doit se refléter au niveau des relations sociales et de la nécessité de leur apaisement alors que le pays fait face à de tels dangers. Les revendications sociales peuvent être des plus légitimes, mais en face des dangers qui nous guettent il est plus prioritaire de défendre la vie que le niveau de vie.
2/Le deuxième impératif est celui de la globalité de la guerre contre le terrorisme.
La dimension sécuritaire est centrale et fondamentale dans cette guerre. Elle doit s’attaquer et viser les structures et groupes qui planifient, commandent et organisent les actions terroristes à l’intérieur comme à l’extérieur. Comme elles visent les structures, cellules et personnes qui sont instrumentalisés pour l’exécution de leurs basses œuvres.
Mais cette action n’est pas suffisante, car elle s’attaque seulement aux manifestations ultimes. Elle ne s’attaque pas aux racines de la maladie et à ce qui la nourrit.
a- Il y a d’abord le financement du terrorisme qui doit occuper une place centrale dans cette guerre. Les trois sources principales de ce financement doivent être taries : le financement interne,celui provenant de l’extérieur par des moyens divers, et celui lié aux activités de la contrebande. Plusieurs faillent règlementaires et opérationnelles caractérisent notre système de contrôle des sources de financement des associations et des partis politiques. Des apports et transferts de sommes importantes peuvent se faire dans la légalité et sans inquiétude aucune. Et contrairement aux préjugés qui règnent en ces temps de totale confusion, ces transferts ne passent pas nécessairement par la Banque Centrale qui n'a pas les moyens juridiques de contrôle direct.
Nous devons agir à tous les niveaux pour combler les insuffisances légales et règlementaires, pour améliorer la coordination entre ces différents services et renforcer les moyens de contrôle et de répression. Cela nécessite l’implication active et organisée des divers intervenants : les services de la douane, le contrôle aux frontières, le suivi et contrôle financier des associations, les banques et la Banque Centrale ; en ajoutant le Ministère des Finances dont le rôle reste mal défini dans ce domaine.
De telles réformes peuvent s'opérer d'une manière rapide et pas couteuse, elle nécessite uniquement une réelle volonté politique et une prise de conscience de la gravité d'un tel laxisme au niveau des textes de loi.
b- Il y a ensuite les racines intellectuelles du terrorisme, ces sources qui nourrissent l’extrémisme, et arrivent à transformer des jeunes tourmentés et désœuvrés en instruments de destruction sociale. C’est l’action au niveau du système éducatif, de la culture et du discours et de l’encadrement des activités religieuses.
c- Il y a enfin les causes d’ordre économique et social, où l’action doit viser à créer des alternatives et de donner de l’espoir aux jeunes, surtout dans les zones déshéritées en vue de les rendre moins vulnérables à l’appel des vendeurs de la mort.
Il n’est pas suffisant d’avoir une stratégie qui inclut ces différentes composantes essentielles. Il faut qu’elles soient modulées, coordonnées et mises en œuvre de manière simultanée avec le soutien nécessaire en terme de diplomatie, de communications, de médias et d’action psychologique. Il faut qu’elles soient déclinées avec un agenda dans le temps qui couvre le court terme, le moyen et le long terme.
3/ Le troisième impératif est celui de l’organisation et des moyens
C’est un impératif fondamental. Il est évident qu’une guerre réussie et efficace doit être orientée et impulsée par les structures politiques légitimes et responsables, mais elle doit être gérée et mise en œuvre par une organisation et des structures qui sont capables de concevoir et planifier, de coordonner, de veiller au suivi de l’exécution et de l’évaluation.
Ce sont des structures opérationnelles nécessaires pour réussir une telle action d’envergure nationale.
A ce propos il faut rappeler qu’il y a deux structures prévues qui sont en relation avec cela. La première est le Conseil National de Sécurité qui existe déjà, et la deuxième est la Commission Nationale de Lutte contre le Terrorisme prévue par la loi n 2015-26 du 7 août 2015, et qui n’a pas encore été mise en place.
Il faut reconnaître que ces deux structures de par leur nature et conception ne répondent pas aux besoins de la situation. Il leur manque le caractère opérationnel et de permanence qui sont nécessaires pour assurer les tâches essentielles de travail approfondi de conception, continue de coordination, et responsable d’impulsion et d’évaluation.
Ce travail doit être réalisé en continue, en relation proche et étroite avec les plus hauts responsables politiques. C’est une structure semblable à un Etat-Major de guerre dont nous avons besoin.
Il faut toutefois clarifier qu’elle ne se substitue nullement aux états-majors existants au niveau des structures purement militaires et de sécurité intérieure qui doivent continuer à assumer pleinement et selon toutes les règles en vigueur leurs responsabilités.
La structure que nous proposons doit être conçue comme celle de soutien rapproché aux décideurs politiques pour assurer la complémentarité des activités sécuritaires avec les autres composantes de la guerre globale contre le terrorisme.
Un autre intérêt majeur d’une telle structure serait de mobiliser et utiliser toutes les compétences du pays qui sont pertinentes pour la lutte contre le terrorisme. Pour qu’une telle structure puisse fonctionner comme le « cerveau » de la guerre contre le terrorisme, elle doit pouvoir réaliser les meilleures stratégies, analyses et études, ainsi que de développer les meilleures options et les actions les plus efficaces. Il est par conséquent impératif de mobiliser toutes les compétences et les spécialistes dans les divers domaines qui complètent ceux de la sécurité:la psychologie, la psychologie sociale, le droit, la culture et les études religieuses et théologiques, la finance, les communications et médias, la sociologie, l’économie et le développement, la géopolitique et la diplomatie. Tous les moyens disponibles de la nation doivent être mis au service de cette mission, ce qui exige des structures et organisation appropriées.
C’est par référence à ces impératifs que nous pouvons et devons juger de l’adéquation ou non des actions et des politiques menées dans la guerre contre le terrorisme. Il est évident que nous sommes encore loin du compte.
Mustapha Kamel Nabli
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